Michel Duvert: Croix à Masparraute
Etude
des croix du cimetière de Masparraute
(Amikuze,
Basse-Navarre)
Données
ethnographiques et archéologiques
Michel
Duvert
Eusko
Ikaskuntza, Cuadernos de la session de antropologia y etnografia 4,
1985, pp. 667-661.
Les
stèles discoïdales ont retenu l’attention de nombreux chercheurs,
en revanche peu d’études sont consacrées aux croix et à leur
évolution. Nous tenterons de combler en partie cette lacune.
Limites du travail
Nous
avons choisi de nous situer en Basse-Navarre, plus particulièrement
en Amikuze, autour de Masparraute (voir carte), et ce, pour les
raisons suivantes. Ce pays a produit des stèles discoïdales d’une
rare originalité, tout au long du XVIIe siècle (voir
Colas, 1924). La croix est un monument tardif qui
semble apparaître
au cours
de ce
même siècle.
La
croix, contemporaine des belles stèles d’Amikuze, s’impose de
plus en plus dans le courant des XVIIIe-XIXe
siècles. Elle sera remplacée par les
caveaux modernes. C’est donc, en ce sens, un monument de
«transition» entre le
grand art funéraire de la stèle discoïdale et les productions
modernes largement dépourvues de personnalité. Etudier la croix
revient à étudier la forme de monument funéraire qui a vu la
disparition de notre art funéraire basque.
La croix est un monument diversifié, aux significations
complexes, comme le
feront apparaître quelques données recueillies grâce à la mise
en œuvre d’un
questionnaire réalisé par l’association
Lauburu.
Données ethnographiques
A- Structure d’un cimetière
Comme
partout en Iparralde, le cimetière d’Amikuze est divisé en
«unités» correspondant aux cimetières des maisons: chaque
cimetière renferme une ou plusieurs tombes. Un trait particulier est
à noter dans ce pays: au pied de nombreux monuments funéraires,
côté ouest (c’est-à-dire dans «l’allée» séparant les
diverses tombes), il y a, posé à même le sol, une pierre plate.
Cette pierre est rectangulaire ou arrondie à une extrémité, elle
est plus rarement semi-circulaire; on continue à en faire pour les
caveaux modernes (Fig. 1- Premier plan). On s’y agenouille pour
prier (1, 2, 3: Fig. 1).
B- Vocabulaire, rites
Masparraute:
Le cimetière se dit souvent hil herria et celui d’une
maison, hil harria
(il renferme
trois ou
quatre tombes). La
tombe dans son ensemble (monument et tumulus) se dit tumba. La
stèle discoïdale
se dit:
harri gizona;
le tumulus:
hil meta
(on y
met des
fleurs); la petite
allée séparant
deux tombes:
bide. Il y avait, en 1981, dans le cimetière: des stéles
discoïdales, des croix
(kurutzia) de pierre, de bois (pour les petits enfants
uniquement-Fig. 5-) et de fer.
Lantabat:
voici des données obtenues en 1978. Le cimetière se dit hil
herriak (toujours au pluriel), ce mot désigne également celui d’une
maison. Dans ce dernier il y a plusieurs tombes; on respecte un cycle
de neuf ans pour une tombe; l’enterrement se pratique à environ
1,5 métre de profondeur. Un
témoin nous
a dit
que la
stèle discoïdale
s’appelle kalistra
kurutzia. La croix
se nomme gurutzea ou kurutzia; les croix de bois sont inconnues ici;
les croix de fer sont
réservées aux petits enfants (on y accroche une couronne ou une
tête d’ange).
Le caveau
moderne se
dit kavoa.
Le
monument funéraire dressé, quelque soit son type, est en général
appellé harri pikatua ou kurutzia. Les jours d’enterrement on y
accroche des croix
de marbre et on
dispose divers objets sur
les tumulus qui sont
ordinnairement fleuris. Sauf les discoïdales, les monuments
sont souvent peints en
blanc et
en noir
pour les
lettres et
symboles uniquement.
La peinture est
refaite, si besoin, à la Toussaint; cette pratique est toujours en
vigueur pour les monuments anciens au moins. La peinture qui
s’accumule avec le temps finit par effacer des symboles sculptés,
dés lors la peinture peut donner
lieu à des déviations étranges (nous avons souvent noté
cela dans bien des cimetières
bas-navarrais).
Enfin,
le maître d’Alegera nous a fait remarquer des traces de rouille
dues à des
monuments de
fer plaqués
contre les
stèles et
les croix;
il a
vu de
tels «assemblages» dans la vallée quand il était jeune.
Nous avons retrouvé ces traces de rouille dans les monuments des
quartiers de Behaune, Saint-Martin et Ascombegui.
Garris:
des données complémentaires ont été obtenues en 1977 en
particulier auprès d’une personne chargée de l’entretien du
cimetière. Notre interlocuteur
fut ici
la seule
personne à
se souvenir
de l’existence
du «baratz», ou
«andereen baratzia»; son amatxi lui avait dit que c’était là,
contre la maison, que
l’on mettait
les enfants
morts sans
baptême. Le cimetière se dit hil harriak et celui d’une
maison hil harriak ou hil herriak (toujours au pluriel). Les
monuments funéraires en pierre sont globalement désignés par harri
kurutzia ou kurutzia (un témoin appelle les discoïdales: croix
basques car «c’est comme cela que faisaient les vieux basques
autrefois»); la plate-tombe se dit harri pikatia (harri lauza étant
une dalle dans les champs).
Les
croix de bois et de fer sont connues, elles désignent
essentiellement des tombes
d’enfants mais
de grandes
croix de
bois peuvent
être mises
sur des
tombes de
personnes peu
fortunées. Les
croix (mais
pas les
stèles discoïdales)
peuvent être peintes en blanc (à la chaux) ou en gris avec des
lettres en noir. Le tumulus se dit lur meta, on y met des fleurs et
divers objets; dans un cimetière chaque tombe est séparée de la
voisine par un espace: hil herritako bidea. Un cimetière peut être
délimité par une petite haie basse: hesia (mais seulement dans le
cas de «maisons fortunées»,
semble-t-il).
Enfin,
dans ce village, il existe un espace contre le mur nord de l’église,
c’est: lurra benedikatu gabea. Là sont enterrés les petits
enfants morts sans baptême (le dernier enterrement a eu lieu ici, il
y a une quinzaine d’années; c’était un enfant d’un de nos
informateurs). Les sépultures n’y ont ni tumulus ni monument.
Le
«paysage» du cimetière,
les monuments eux mêmes et les rites présentent
bien des nuances dans ces villages voisins. Dans le pays voisin de
l’Ostabarret par exemple voici une vieille coutume, aujourd’hui
abandonnée ou inconnue dans les
villages cités plus haut. Le
cimetière commun et
celui de chaque
maison s’appelle
toujours hil
harriak ou
hil herriak;
en général
tous les
monuments funéraires sont appellés kurutzia. Dans ces
cimetières communaux les
petits enfants pouvaient être enterrés à part, hors des hil
harriak («surtout pas au milieu du cimetière» nous dit un témoin);
ils n’avaient droit qu’à un
tumulus.
C- Résumé
Nous
retiendrons que le mot kurutzia a effacé, en général, dans la
mémoire des gens, celui. des discoïdales. Si la croix est peinte,
ce n’est jamais le cas pour les discoïdales nous disent les
informateurs (mais nous avons vu des discoïdales peintes, hors de
cette zone). Les croix sont diversifiées, celles qui sont en bois ou
en fer peuvent être réservées aux enfants (pour les petits enfants
morts sans baptême la situation est complexe). Les croix de pierre
sont toujours pour des sépultures d’adulte.
Trois
photographies illustrent ces données:
-
Fig. 2: un hil harriak au quartier Saint-Martin de Lantabat, en
1978; vue prise de
l’est. Quatre
tumulus sont
surmontés de
quatre croix
dont deux
sont peintes en blanc et noir. Noter les fleurs sur les
tumulus et les deux croix de marbre.
-
Fig. 3: un hil harriak à Camou-Mixe, vu de l’ouest (les
discoïdales au second plan ont été placées et scellées par
l’association Lauburu, en 1982; elles n’étaient plus
utilisées). Sur ce hil harriak il y a quatre tombes avec trois
croix de pierre et une en fer signalant la tombe d’un enfant. Les
tumulus ne sont pas
apparents (parfois
la terre
est simplement
grattée à
cet endroit).
-
Fig. 4: le hil harriak du premier plan est surmonté par deux croix
de bois; celui du second plan est surmonté par trois croix de
pierre. Ces hil harriak sont vu de l’ouest; noter les pierres
posées au chevet des sépultures (voir Fig. 1): Labets,
1981.
Etude des croix de Masparraute
1.
Croix de bois, Fig. 5: ces croix, aujourd’hui disparues,
surmontaient des tombes
d’enfants (jusque vers 1980). Nous avons reproduit les trois
formes observées. Leur hauteur n’excédait guère une soixantaine
de centimètres. Elles
étaient directement
plantées en
terre et
formées de
deux montants.
2. Il existe une croix de bois ayant les dimensions et la forme d’une croix de pierre, à la tête d’une sépulture, contre le mur sud de l’église; c’est une tombe d’adulte.
2. Il existe une croix de bois ayant les dimensions et la forme d’une croix de pierre, à la tête d’une sépulture, contre le mur sud de l’église; c’est une tombe d’adulte.
Outre
cet ensemble de croix funéraires, signalons la grande croix du
cimetière, exécutée par M. J. B. Urruty, charpentier au village.
Son père avait fait des croix de cimetière (Duvert et al. 1983).
Toutes les œuvres étudiées ci-dessous sont en pierre et
proviennent, sauf exception, du village (voir tableau). Nous les
avons regroupées en ensembles homogènes, traduisant
l’activité d’ateliers ou de maîtres particuliers.
Ces
œuvres illustrent un même archétype: I) la date est sur le montant
horizontal, elle est encadrée par une grande croix et par une plus
petite ou par la lettre H surmontée d’une croix (allusion à
I.H.S.); 2) sur une face on voit une grande croix dont les extrémités
s’achèvent par une petite croix contenue dans un cercle; 3) les
bras se terminent par des excroissances; 4) toutes sont datées de
1709. La Fig. 10 se rattache peut-être à ce groupe.
Dans
cet ensemble homogène on peut éventuellement distinguer deux
maîtres. Celui des Fig. 6 et 8 se distingue par l’utilisation de
la lettre H surmontée de la croix et par la date interrompue le long
de l’axe de symétrie du monument.
4- Fig. 12, 14, 16
4- Fig. 12, 14, 16
Ces
œuvres se caractérisent ainsi: 1) une face porte le nom du défunt
et dans deux cas une date (1706: Fig. 14; 1705 ou 1758 (?): Fig. 16);
2) l’autre face porte une grande croix terminée par quatre cercles
avec une petite croix inscrite. On
peut à
nouveau distinguer
deux maîtres,
celui de
la Fig.
12 ne
date pas
son œuvre
et n’utilise
pas la
lettre H
surmontée de
la croix.
5-
Fig. 11
Cette
œuvre rappelle les trois précédentes.
6-
Fig. 13
Le
répertoire de cette croix est très original; elle date de 1717.
7-
Fig. 15
Ici
aussi le répertoire est original; noter une éventuelle arbalète
sur cette œuvre qui semble dater de 1701.
Les
quatre ensembles
de croix
que nous
venons de
voir (3
à 6)
forment un tout
relativement cohérent. Ce sont de petits monuments dont la hauteur
n’excède guère 90 cm. Elles semblent propres aux deux villages
voisins de Masparraute et
de Succos;
on n’en
connaît pas
d’équivalent ailleurs.
8-
Fig. 17, 18
Par
leurs faces sans inscription ces œuvres reprennent un thème qui est
celui de discoïdales que l’on ne rencontre pas habituellement en
Amikuze (voir Colas, 1924, et, à titre d’exemple les Fig. 19 et
20). Ces croix sont donc conçues comme de simples supports sur
lesquels on a plaqué des thèmes et des structures qui sont propres
à la discoïdale.
Noter
que Ioannes de Sorapuru était tisserand (Fig. 17); par ailleurs
Ioannes et sa femme Gratiane ont chacun un monument funéraire. Ce
fait se vérifie souvent (Duvert, 1981).
9-
Fig. 21, 22
Il
s’agit sûrement là des pierres d’une autre génération de
Sorhapuru. 80 ans séparent les
œuvres de ces deux
générations, l’art funéraire s’est
considérablement affaibli entre temps.
L’oeuvre Fig. 21 porte des traces de lettres; cette croix
est probablement un remploi. Enfin, les prénoms Dominique cachent
peut-être un homme et une femme; les noms sont simplement gravés.
10-
Fig. 23
Une
œuvre identique est incluse dans le mur d’une maison proche du
cimetière. Cette pierre est gravée et sculptée en creux.
11-
Fig. 24
Cette
œuvre médiocre est simplement gravée.
12-
Fig. 25
Stèle
discoïdale très tardive qui est connue comme un simple support sur
lequel on
a figuré
une croix.
En ce
sens elle
est le
symétrique des
œuvres
Fig. 17 et 18. L’ère de la discoïdale est bien achevée en
cette moitié du XVIIIe
siècle, alors qu’en 1647 (Fig. 17) elle pesait de tout son poids
sur l’art naissant de la croix.
13-
Fig. 26
Cette
œuvre n’a pas été définie en Amikuze, elle reprend à quelque
nuance prêt un archétype largement diffusé dans la Soule. Sur la
face opposée, dans un cartouche peint en noir, on lit: «Ci gît
Marie Labat décédée le 22 février 1951 agée de 67 ans P.P.E.
(priez pour elle)». Autrement dit, en 1952, la croix n’est qu’un
simple support, une sorte de panneau vide de toute structure.
14-
Fig. 27
L’inscription
pose des
problèmes de
lecture sur
cette pierre
au verso
lisse. A la fin du
XVIIIe siècle, la croix n’était qu’un support. La
qualité de la taille de la pierre (les moulures par exemple) font
alors penser à un remploi.
15-
Fig. 28
Une
croix et un cœur accompagnent probablement MA (Marie) et IESUS.
On notera
la formule
tout à
fait exceptionnelle
dans notre
art funéraire:
«Vous qui passez priez pour les trépassés d’Echegoin». Ce type
de formule est connu dans l’art funéraire en France et témoigne
donc d’une mode étrangère ayant pénétré un pays qui n’a
jamais vécu replié sur lui même. Le verso est lisse. C’est
peut-être ce même maître qui a fait la croix de l’andere serora
d’Amorots, morte en 1732.
16-
Fig. 29
Ce
monument aux
formes molles
et lourdes
est profondément
sculpté, par
contre l’inscription est simplement gravée (sur une seule
face). Il y a une autre
croix semblable dans le
cimetière.
17-
Fig. 30
Le
verso est lisse. Une croix de même forme avec une inscription gravée
est conservée au
cimetière.
18-
Fig. 31
L’intérêt
de cette pierre réside dans le fait qu’elle est datée de l’ère
républicaine mise en œuvre lors de la révolution française. Le
début de cette ère fluctua; la dernière, de 1792, resta en vigueur
une douzaine d’années (Couderc, 1981). Cette pierre daterait donc
des années 1800.
19-
Fig. 32
Il
s’agit à l’évidence d’un monument remployé, retaillé. Au
verso figure une inscription: «Ci gît Jean Elgart décédé le 11
mai 1850 âgé de 68 ans.P.P.L.» Le thème choisi Fig. 32 est très
largement répandu à travers les croix du XIXe et tout
début du XXe siècles en Basse-Navarre.
20-
Fig. 33
Cette
pierre dont le verso est lisse signale la sépulture d’un homme et
d’une femme.
21-
Fig. 34
Ce
fragment rappelle la croix nº11.
22-
Fig. 35
Fragment
rappelant la Fig. 31.
23-
Fig. 36
Ce
fragment semble se rattacher à des productions connues au sud et à
l’ouest de l’Amikuze.
24-
Fig. 37
Type
de croix moderne présente dans le village.
Discussion
1—
Les données ethnographiques nous montrent qu’il existe des types
de croix aux
significations diverses: les petits enfants n’ont pas le droit
d’avoir des croix de pierre réservées aux adultes. Dans la mesure
ou la croix s’inscrit dans une
tradition ancienne,
on peut
penser que
la discoïdale
fut également
un monument présentant ce type de
spécialisation.
Les
croix sont en général peintes en deux couleurs; de rares
discoïdales le sont encore (en
Labourd Itxassou... et
Basse-Navarre
Hélette...). Nous pouvons
alors penser que les monuments funéraires anciens étaient peints et
que par
ce moyen
on a
pu différencier
des types
de représentations
particuliers (certains
symboles étant d’une couleur, les axes V et H d’une autre par
exemple, etc.). Dans cette optique on peut penser que le champ
levé a toujours suffit (il n’y a pas eu d’évolution dans la
sculpture de ces pierres, sauf très rares exceptions) car il ne
faisait que singulariser des éléments destinés
a être
éventuellement peints
et à
capter fugitivement
le soleil.
2—En
France «la croix devient l’élément essentiel du nouveau
prototype de tombe créé au XVIIe et XVIIIe siècles» dit Ariés
(1973, Voir p. 263 et suivantes) qui, par ailleurs n’a pas compris
les cimetières basques et notre pays en général. Au XVIIe
siècle on connaissait, dans la région parisienne et au nord de la
Loire, des croix de pierre, de bois et même de plâtre; elles
pouvaient être peintes ou gravées. Les croix des cimetières
basques sont donc contemporaines des croix françaises. Le Pays
Basque est un pays largement ouvert aux cultures étrangères; c’est
un espace qui accepte les innovations.
Parmi
les croix de Masparraute, une est remarquable par son inscription
(Fig. 28). Ariés nous dit
qu’à partir du XVIe
siècle les épitaphes
connaissent un grand essor or on notera sur cette croix la
supplique adressée au passant
(ce qui
est tout
à fait
exceptionnel, et
peut-être unique,
en Iparralde au
moins). Ce type d’exhortation pourrait apparaître vers le XIVe
siècle (Ariés, 1977,
voir p. 214 et suivantes); «ces épitaphes sont de toutes sortes,
brèves
ou longues, simples
fiches d’identité ou biographies
étendues, invitation
à la méditation sur la mort, appel à la prière d’un quelconque
passant» (Ariés, 1983). Cette mode a donc été introduite «en
bloc», sans nuance (il n’y a de basque ici que le nom de la
maison), dans un pays ouvert
aux influences
étrangères.
3—
Il nous faut dire ici quelques mots sur l’histoire des croix, à
Masparraute; elle illustre une tendance générale en Euskadi nord.
L’Amikuze possédait au XVIIe siècle (époque de
l’arrivée des croix dans notre pays) un art funéraire fort,
d’une puissante originalité. Les discoïdales de Masparraute en
témoignent encore, voir également Colas («Mais il semble que le
pays de Mixe (qui par ailleurs, renferme un plus grand nombre de
villages) doive être placé au premier rang de la Basse- Navarre
et, par conséquent, du Pays Basque tout entier, pour la richesse de
son archéologie funéraire», p. 178). Le nombre de stèles
discoïdales diminue brusquement au début du XVIIIe
siècle. Une étude statistique en cours, et portant uniquement sur
les discoïdales datées, indique une fréquence maximale dans la
première moitié du XVIIe siècle suivie d’une baisse
légère vers la seconde moitié du même siècle. La baisse
s’accentue très fortement durant la seconde moitié du XVIIIe
siècle. Il y a une corrélation très nette entre la baisse de
fréquence des discoïdales et l’apparition des croix: dans quelle
mesure ces deux phénomènes sont liés, et de quelle manière? Une
simple mode peut-elle, à ce point, déraciner des traditions les
plus établies et déranger autant le domaine de la mort? Quel est
l’état de la société basque en cette fin du XVIIe
(époque où la stèle tabulaire pénètre en Labourd)?
Les
tailleurs de pierre (qui sont tous laboureurs au XVIIIe
siècle en Labourd, Lafourcade, 1978) sont manifestement désorientés
devant cette forme nouvelle de monument, ici à Masparraute. Dans un
premier temps ils essayent
de définir un nouvel espace, pour la croix, où l’axe vertical,
qui est l’axe de
symétrie (axe V de la discoïdale) joue un rôle de repère majeur.
Sur l’une des faces des
monuments (Fig. 6 à 16) nous distinguons l’ancienne région 12 de
la discoïdale (région sommitale) occupée ici par un élément
chrétien (croix ou H surmonté de la croix). Cependant, la forme
même de la croix les surprend, car ils éprouvent le besoin de
répéter ce symbole de nombreuses fois (or, on ne voit jamais de
forme discoïdale utilisée pour décorer une stèle discoïdale...).
Tout se passe donc, dans un premier temps,
comme s’il on avait cherché à reproduire les traits du
monde de la discoïdale (les exemples Fig. 17 et 18 sont en ce sens
très révélateurs, et nous sommes
en 1647),
puis, dans
un second
temps, à
les adapter
(Fig. 6
à 16).
Peu
à peu le souvenir de la région centrale, rayonnante, s’affaiblit
(Fig. 21, 22, 23, 26) et aucun espace structuré nouveau n’apparaît.
La technique s’affaiblit, le champ-levé est à peine affirme; la
gravure qui état l’exception sur la stèle discoïdale, devient la
régie (Fig. 21 à 24 et 28 à 33). A la fin du XIXe
siècle on peindra simplement des épitaphes sur les croix qui ne
sont que des panneaux (c’est à dire, des surfaces sans espace
structuré), voire de simples supports. Les caveaux modernes n’auront
aucune peine à déloger ces
pauvres réalisations
et les
hargins, le
cœur et
l’esprit vidés,
se convertiront
en de simples techniciens. Ils seront
marbriers, ils assembleront du
marbre «industriel»
selon des
directives données
par des
catalogues. L’art
funéraire basque aura vécu. Ce n’est pas le seul
domaine perdu par les
hargins, l’architecture subira le même sort; c’est le
XIXe siècle finissant qui imposera ce style «basque»
défini par des étrangers à notre culture (1).
Que
se passe-t-il en Iparralde en ce XVIIIe siècle qui verra
la fin brutale de nos
institutions? Nous avons pris en compte ce désarroi des vieux
maîtres dans
notre tentative
de réintroduire
un art
funéraire à
la fois
basque et
contemporain, en Iparralde (voir Etchehandy,
1983).
La
Navarre, les divers pays composant la Basse-Navarre sont indiqués
(d’aprés Goyheneche, 1979). Sont figurés les villages de
Masparraute (M, en noir), Succos (S), Labets (L), Camou-Mixe (C),
Garris (G), et Lantabat (LA).
(1) Toutefois l’art du linteau continuera de s’inscrire dans la grande tradition tout au long du XVIIIe siècle et jusqu’à la moitié du XIXe siècle environ; à ces époques de grandes œuvres seront créées en Basse-Navarre.
Bibliographie
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P., Images de l’homme devant la mort, Ed. Seuil, Paris,
1983, 277 p.
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L., La tombe basque. Recueil d’inscriptions funéraires et
domestiques du Pays Basque français, 1906-1924, Bayonne et
Paris, Foltzer et Champion, 1924, 404 p.
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P., Le calendrier, Presses universitaires de France,
Paris, Que sais je?, nº 203, 1981, 125
p.
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M., Etude d’un groupe de stèles discoïdales du XVIIe
siècle, en Amikuze (Basse-Navarre), Cuadernos de etnología y
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DUVERT,
M., SALDOU, J., FISCHER, M., Etude d’une famille de charpentiers
en Basse- Navarre. Bulletin du Musée Basque, Bayonne, 1983,
n° 100, pp. 53-84.
ETCHEHANDY
, M., Vers un nouveau cimetière basque, Corde Magno, Abbaye
Nôtre Dame de Belloc, 1983, nº 109, pp. 15-26.
GOYHENECHE,
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nouvelle d’éditions régionales et de diffusion, Pau, 1979, 680
p. et cartes.
LAFOURCADE
, M., Les contrats de mariage du Pays de Labourd sous le régne
de Louis XVI. Etude juridique et sociologique, Thèse d’Etat,
Université de Pau, 1978.
Resumen
En
este trabajo intentamos estudiar la historia y la significación de
la cruz en la
mente popular
vasca. Las
cruces proceden
esencialmente de
Martxuta (o
Masparraute, en Amikuze; Baxenabarra, ver
mapa).
En
la primera
parte del
trabajo damos
algunos resultados
conseguidos con
encuestas etnográficas. En la segunda parte estudiamos los
monumentos. Se puede ver
que a lo largo del siglo
XVIII las cruces poco a
poco se convierten
meramente en paneles para inscribir el nombre del difunto y a
veces la fecha de su fallecimiento
o su edad; a
veces, hay un motivo
decorativo. Los hargines de los siglos
XVII y XVIII no
han podido imponer o
definir y mantener, con
este tipo de monumento funerario, un espacio original y fuerte
(como fue el caso con la discoidea) para desarrollar una
creación colectiva, como lo habían hecho en los siglos
precedentes. La brutal desaparición del
arte funerario vasco ante la invasión de las sepulturas
modernas fue un proceso
ineluctable.
Tenemos
que comprender este proceso, este debilitamiento, porque ahora
intentamos reintroducir un arte funerario vasco de nuestro tiempo en
los cementerios de Iparralde.
Iruzkinak
Argitaratu iruzkina