Michel Duvert: Croix à Masparraute

Etude des croix du cimetière de Masparraute
(Amikuze, Basse-Navarre)
Données ethnographiques et archéologiques

Michel Duvert
Eusko Ikaskuntza, Cuadernos de la session de antropologia y etnografia 4, 1985, pp. 667-661.


Les stèles discoïdales ont retenu l’attention de nombreux chercheurs, en revanche peu d’études sont consacrées aux croix et à leur évolution. Nous tenterons de combler en partie cette lacune.

Limites du travail

Nous avons choisi de nous situer en Basse-Navarre, plus particulièrement en Amikuze, autour de Masparraute (voir carte), et ce, pour les raisons suivantes. Ce pays a produit des stèles discoïdales d’une rare originalité, tout au long du XVIIe siècle (voir Colas, 1924). La croix est un monument tardif qui semble apparaître au cours de ce même siècle.
La croix, contemporaine des belles stèles d’Amikuze, s’impose de plus en plus dans le courant des XVIIIe-XIXe siècles. Elle sera remplacée par les caveaux modernes. C’est donc, en ce sens, un monument de «transition» entre le grand art funéraire de la stèle discoïdale et les productions modernes largement dépourvues de personnalité. Etudier la croix revient à étudier la forme de monument funéraire qui a vu la disparition de notre art funéraire basque. La croix est un monument diversifié, aux significations complexes, comme le feront apparaître quelques données recueillies grâce à la mise en œuvre d’un questionnaire réalisé par l’association Lauburu.

Données ethnographiques

A- Structure d’un cimetière

Comme partout en Iparralde, le cimetière d’Amikuze est divisé en «unités» correspondant aux cimetières des maisons: chaque cimetière renferme une ou plusieurs tombes. Un trait particulier est à noter dans ce pays: au pied de nombreux monuments funéraires, côté ouest (c’est-à-dire dans «l’allée» séparant les diverses tombes), il y a, posé à même le sol, une pierre plate. Cette pierre est rectangulaire ou arrondie à une extrémité, elle est plus rarement semi-circulaire; on continue à en faire pour les caveaux modernes (Fig. 1- Premier plan). On s’y agenouille pour prier (1, 2, 3: Fig. 1).

B- Vocabulaire, rites

Masparraute: Le cimetière se dit souvent hil herria et celui d’une maison, hil harria (il renferme trois ou quatre tombes). La tombe dans son ensemble (monument et tumulus) se dit tumba. La stèle discoïdale se dit: harri gizona; le tumulus: hil meta (on y met des fleurs); la petite allée séparant deux tombes: bide. Il y avait, en 1981, dans le cimetière: des stéles discoïdales, des croix (kurutzia) de pierre, de bois (pour les petits enfants uniquement-Fig. 5-) et de fer.
Lantabat: voici des données obtenues en 1978. Le cimetière se dit hil herriak (toujours au pluriel), ce mot désigne également celui d’une maison. Dans ce dernier il y a plusieurs tombes; on respecte un cycle de neuf ans pour une tombe; l’enterrement se pratique à environ 1,5 métre de profondeur. Un témoin nous a dit que la stèle discoïdale s’appelle kalistra kurutzia. La croix se nomme gurutzea ou kurutzia; les croix de bois sont inconnues ici; les croix de fer sont réservées aux petits enfants (on y accroche une couronne ou une tête d’ange). Le caveau moderne se dit kavoa.
Le monument funéraire dressé, quelque soit son type, est en général appellé harri pikatua ou kurutzia. Les jours d’enterrement on y accroche des croix de marbre et on dispose divers objets sur les tumulus qui sont ordinnairement fleuris. Sauf les discoïdales, les monuments sont souvent peints en blanc et en noir pour les lettres et symboles uniquement. La peinture est refaite, si besoin, à la Toussaint; cette pratique est toujours en vigueur pour les monuments anciens au moins. La peinture qui s’accumule avec le temps finit par effacer des symboles sculptés, dés lors la peinture peut donner lieu à des déviations étranges (nous avons souvent noté cela dans bien des cimetières bas-navarrais).
Enfin, le maître d’Alegera nous a fait remarquer des traces de rouille dues à des monuments de fer plaqués contre les stèles et les croix; il a vu de tels «assemblages» dans la vallée quand il était jeune. Nous avons retrouvé ces traces de rouille dans les monuments des quartiers de Behaune, Saint-Martin et Ascombegui.
Garris: des données complémentaires ont été obtenues en 1977 en particulier auprès d’une personne chargée de l’entretien du cimetière. Notre interlocuteur fut ici la seule personne à se souvenir de l’existence du «baratz», ou «andereen baratzia»; son amatxi lui avait dit que c’était là, contre la maison, que l’on mettait les enfants morts sans baptême. Le cimetière se dit hil harriak et celui d’une maison hil harriak ou hil herriak (toujours au pluriel). Les monuments funéraires en pierre sont globalement désignés par harri kurutzia ou kurutzia (un témoin appelle les discoïdales: croix basques car «c’est comme cela que faisaient les vieux basques autrefois»); la plate-tombe se dit harri pikatia (harri lauza étant une dalle dans les champs).
Les croix de bois et de fer sont connues, elles désignent essentiellement des tombes d’enfants mais de grandes croix de bois peuvent être mises sur des tombes de personnes peu fortunées. Les croix (mais pas les stèles discoïdales) peuvent être peintes en blanc (à la chaux) ou en gris avec des lettres en noir. Le tumulus se dit lur meta, on y met des fleurs et divers objets; dans un cimetière chaque tombe est séparée de la voisine par un espace: hil herritako bidea. Un cimetière peut être délimité par une petite haie basse: hesia (mais seulement dans le cas de «maisons fortunées», semble-t-il).
Enfin, dans ce village, il existe un espace contre le mur nord de l’église, c’est: lurra benedikatu gabea. Là sont enterrés les petits enfants morts sans baptême (le dernier enterrement a eu lieu ici, il y a une quinzaine d’années; c’était un enfant d’un de nos informateurs). Les sépultures n’y ont ni tumulus ni monument.
Le «paysage» du cimetière, les monuments eux mêmes et les rites présentent bien des nuances dans ces villages voisins. Dans le pays voisin de l’Ostabarret par exemple voici une vieille coutume, aujourd’hui abandonnée ou inconnue dans les villages cités plus haut. Le cimetière commun et celui de chaque maison s’appelle toujours hil harriak ou hil herriak; en général tous les monuments funéraires sont appellés kurutzia. Dans ces cimetières communaux les petits enfants pouvaient être enterrés à part, hors des hil harriak («surtout pas au milieu du cimetière» nous dit un témoin); ils n’avaient droit qu’à un tumulus.

C- Résumé

Nous retiendrons que le mot kurutzia a effacé, en général, dans la mémoire des gens, celui. des discoïdales. Si la croix est peinte, ce n’est jamais le cas pour les discoïdales nous disent les informateurs (mais nous avons vu des discoïdales peintes, hors de cette zone). Les croix sont diversifiées, celles qui sont en bois ou en fer peuvent être réservées aux enfants (pour les petits enfants morts sans baptême la situation est complexe). Les croix de pierre sont toujours pour des sépultures d’adulte.
Trois photographies illustrent ces données:

- Fig. 2: un hil harriak au quartier Saint-Martin de Lantabat, en 1978; vue prise de l’est. Quatre tumulus sont surmontés de quatre croix dont deux sont peintes en blanc et noir. Noter les fleurs sur les tumulus et les deux croix de marbre. 

- Fig. 3: un hil harriak à Camou-Mixe, vu de l’ouest (les discoïdales au second plan ont été placées et scellées par l’association Lauburu, en 1982; elles n’étaient plus utilisées). Sur ce hil harriak il y a quatre tombes avec trois croix de pierre et une en fer signalant la tombe d’un enfant. Les tumulus ne sont pas apparents (parfois la terre est simplement grattée à cet endroit).

- Fig. 4: le hil harriak du premier plan est surmonté par deux croix de bois; celui du second plan est surmonté par trois croix de pierre. Ces hil harriak sont vu de l’ouest; noter les pierres posées au chevet des sépultures (voir Fig. 1): Labets, 1981.

Etude des croix de Masparraute

1. Croix de bois, Fig. 5: ces croix, aujourd’hui disparues, surmontaient des tombes d’enfants (jusque vers 1980). Nous avons reproduit les trois formes observées. Leur hauteur n’excédait guère une soixantaine de centimètres. Elles étaient directement plantées en terre et formées de deux montants.
 2. Il existe une croix de bois ayant les dimensions et la forme d’une croix de pierre, à la tête d’une sépulture, contre le mur sud de l’église; c’est une tombe d’adulte.
Outre cet ensemble de croix funéraires, signalons la grande croix du cimetière, exécutée par M. J. B. Urruty, charpentier au village. Son père avait fait des croix de cimetière (Duvert et al. 1983). Toutes les œuvres étudiées ci-dessous sont en pierre et proviennent, sauf exception, du village (voir tableau). Nous les avons regroupées en ensembles homogènes, traduisant l’activité d’ateliers ou de maîtres particuliers.
3- Fig. 6 à 9
Ces œuvres illustrent un même archétype: I) la date est sur le montant horizontal, elle est encadrée par une grande croix et par une plus petite ou par la lettre H surmontée d’une croix (allusion à I.H.S.); 2) sur une face on voit une grande croix dont les extrémités s’achèvent par une petite croix contenue dans un cercle; 3) les bras se terminent par des excroissances; 4) toutes sont datées de 1709. La Fig. 10 se rattache peut-être à ce groupe.
Dans cet ensemble homogène on peut éventuellement distinguer deux maîtres. Celui des Fig. 6 et 8 se distingue par l’utilisation de la lettre H surmontée de la croix et par la date interrompue le long de l’axe de symétrie du monument. 

4- Fig. 12, 14, 16
Ces œuvres se caractérisent ainsi: 1) une face porte le nom du défunt et dans deux cas une date (1706: Fig. 14; 1705 ou 1758 (?): Fig. 16); 2) l’autre face porte une grande croix terminée par quatre cercles avec une petite croix inscrite. On peut à nouveau distinguer deux maîtres, celui de la Fig. 12 ne date pas son œuvre et n’utilise pas la lettre H surmontée de la croix.

5- Fig. 11
Cette œuvre rappelle les trois précédentes.

6- Fig. 13
Le répertoire de cette croix est très original; elle date de 1717.

7- Fig. 15
Ici aussi le répertoire est original; noter une éventuelle arbalète sur cette œuvre qui semble dater de 1701.
Les quatre ensembles de croix que nous venons de voir (3 à 6) forment un tout relativement cohérent. Ce sont de petits monuments dont la hauteur n’excède guère 90 cm. Elles semblent propres aux deux villages voisins de Masparraute et de Succos; on n’en connaît pas d’équivalent ailleurs.
8- Fig. 17, 18
Par leurs faces sans inscription ces œuvres reprennent un thème qui est celui de discoïdales que l’on ne rencontre pas habituellement en Amikuze (voir Colas, 1924, et, à titre d’exemple les Fig. 19 et 20). Ces croix sont donc conçues comme de simples supports sur lesquels on a plaqué des thèmes et des structures qui sont propres à la discoïdale.
Noter que Ioannes de Sorapuru était tisserand (Fig. 17); par ailleurs Ioannes et sa femme Gratiane ont chacun un monument funéraire. Ce fait se vérifie souvent (Duvert, 1981).
9- Fig. 21, 22
Il s’agit sûrement là des pierres d’une autre génération de Sorhapuru. 80 ans séparent les œuvres de ces deux générations, l’art funéraire s’est considérablement affaibli entre temps. L’oeuvre Fig. 21 porte des traces de lettres; cette croix est probablement un remploi. Enfin, les prénoms Dominique cachent peut-être un homme et une femme; les noms sont simplement gravés.
10- Fig. 23
Une œuvre identique est incluse dans le mur d’une maison proche du cimetière. Cette pierre est gravée et sculptée en creux.

11- Fig. 24
Cette œuvre médiocre est simplement gravée.

12- Fig. 25
Stèle discoïdale très tardive qui est connue comme un simple support sur lequel on a figuré une croix. En ce sens elle est le symétrique des œuvres Fig. 17 et 18. L’ère de la discoïdale est bien achevée en cette moitié du XVIIIe siècle, alors qu’en 1647 (Fig. 17) elle pesait de tout son poids sur l’art naissant de la croix.

13- Fig. 26
Cette œuvre n’a pas été définie en Amikuze, elle reprend à quelque nuance prêt un archétype largement diffusé dans la Soule. Sur la face opposée, dans un cartouche peint en noir, on lit: «Ci gît Marie Labat décédée le 22 février 1951 agée de 67 ans P.P.E. (priez pour elle)». Autrement dit, en 1952, la croix n’est qu’un simple support, une sorte de panneau vide de toute structure.
14- Fig. 27
L’inscription pose des problèmes de lecture sur cette pierre au verso lisse. A la fin du XVIIIe siècle, la croix n’était qu’un support. La qualité de la taille de la pierre (les moulures par exemple) font alors penser à un remploi.

15- Fig. 28
Une croix et un cœur accompagnent probablement MA (Marie) et IESUS. On notera la formule tout à fait exceptionnelle dans notre art funéraire: «Vous qui passez priez pour les trépassés d’Echegoin». Ce type de formule est connu dans l’art funéraire en France et témoigne donc d’une mode étrangère ayant pénétré un pays qui n’a jamais vécu replié sur lui même. Le verso est lisse. C’est peut-être ce même maître qui a fait la croix de l’andere serora d’Amorots, morte en 1732.

16- Fig. 29
Ce monument aux formes molles et lourdes est profondément sculpté, par contre l’inscription est simplement gravée (sur une seule face). Il y a une autre croix semblable dans le cimetière.

17- Fig. 30
Le verso est lisse. Une croix de même forme avec une inscription gravée est conservée au cimetière.

18- Fig. 31
L’intérêt de cette pierre réside dans le fait qu’elle est datée de l’ère républicaine mise en œuvre lors de la révolution française. Le début de cette ère fluctua; la dernière, de 1792, resta en vigueur une douzaine d’années (Couderc, 1981). Cette pierre daterait donc des années 1800.

19- Fig. 32
Il s’agit à l’évidence d’un monument remployé, retaillé. Au verso figure une inscription: «Ci gît Jean Elgart décédé le 11 mai 1850 âgé de 68 ans.P.P.L.» Le thème choisi Fig. 32 est très largement répandu à travers les croix du XIXe et tout début du XXe siècles en Basse-Navarre.

20- Fig. 33
Cette pierre dont le verso est lisse signale la sépulture d’un homme et d’une femme.
21- Fig. 34
Ce fragment rappelle la croix nº11.

22- Fig. 35
Fragment rappelant la Fig. 31.

23- Fig. 36
Ce fragment semble se rattacher à des productions connues au sud et à l’ouest de l’Amikuze.

24- Fig. 37
Type de croix moderne présente dans le village.

Discussion

1— Les données ethnographiques nous montrent qu’il existe des types de croix aux significations diverses: les petits enfants n’ont pas le droit d’avoir des croix de pierre réservées aux adultes. Dans la mesure ou la croix s’inscrit dans une tradition ancienne, on peut penser que la discoïdale fut également un monument présentant ce type de spécialisation.
Les croix sont en général peintes en deux couleurs; de rares discoïdales le sont encore (en Labourd Itxassou... et Basse-Navarre Hélette...). Nous pouvons alors penser que les monuments funéraires anciens étaient peints et que par ce moyen on a pu différencier des types de représentations particuliers (certains symboles étant d’une couleur, les axes V et H d’une autre par exemple, etc.). Dans cette optique on peut penser que le champ levé a toujours suffit (il n’y a pas eu d’évolution dans la sculpture de ces pierres, sauf très rares exceptions) car il ne faisait que singulariser des éléments destinés a être éventuellement peints et à capter fugitivement le soleil.
2—En France «la croix devient l’élément essentiel du nouveau prototype de tombe créé au XVIIe et XVIIIe siècles» dit Ariés (1973, Voir p. 263 et suivantes) qui, par ailleurs n’a pas compris les cimetières basques et notre pays en général. Au XVIIe siècle on connaissait, dans la région parisienne et au nord de la Loire, des croix de pierre, de bois et même de plâtre; elles pouvaient être peintes ou gravées. Les croix des cimetières basques sont donc contemporaines des croix françaises. Le Pays Basque est un pays largement ouvert aux cultures étrangères; c’est un espace qui accepte les innovations.
Parmi les croix de Masparraute, une est remarquable par son inscription (Fig. 28). Ariés nous dit qu’à partir du XVIe siècle les épitaphes connaissent un grand essor or on notera sur cette croix la supplique adressée au passant (ce qui est tout à fait exceptionnel, et peut-être unique, en Iparralde au moins). Ce type d’exhortation pourrait apparaître vers le XIVe siècle (Ariés, 1977, voir p. 214 et suivantes); «ces épitaphes sont de toutes sortes, brèves ou longues, simples fiches d’identité ou biographies étendues, invitation à la méditation sur la mort, appel à la prière d’un quelconque passant» (Ariés, 1983). Cette mode a donc été introduite «en bloc», sans nuance (il n’y a de basque ici que le nom de la maison), dans un pays ouvert aux influences étrangères.
3— Il nous faut dire ici quelques mots sur l’histoire des croix, à Masparraute; elle illustre une tendance générale en Euskadi nord. L’Amikuze possédait au XVIIe siècle (époque de l’arrivée des croix dans notre pays) un art funéraire fort, d’une puissante originalité. Les discoïdales de Masparraute en témoignent encore, voir également Colas («Mais il semble que le pays de Mixe (qui par ailleurs, renferme un plus grand nombre de villages) doive être placé au premier rang de la Basse- Navarre et, par conséquent, du Pays Basque tout entier, pour la richesse de son archéologie funéraire», p. 178). Le nombre de stèles discoïdales diminue brusquement au début du XVIIIe siècle. Une étude statistique en cours, et portant uniquement sur les discoïdales datées, indique une fréquence maximale dans la première moitié du XVIIe siècle suivie d’une baisse légère vers la seconde moitié du même siècle. La baisse s’accentue très fortement durant la seconde moitié du XVIIIe siècle. Il y a une corrélation très nette entre la baisse de fréquence des discoïdales et l’apparition des croix: dans quelle mesure ces deux phénomènes sont liés, et de quelle manière? Une simple mode peut-elle, à ce point, déraciner des traditions les plus établies et déranger autant le domaine de la mort? Quel est l’état de la société basque en cette fin du XVIIe (époque où la stèle tabulaire pénètre en Labourd)?
Les tailleurs de pierre (qui sont tous laboureurs au XVIIIe siècle en Labourd, Lafourcade, 1978) sont manifestement désorientés devant cette forme nouvelle de monument, ici à Masparraute. Dans un premier temps ils essayent de définir un nouvel espace, pour la croix, où l’axe vertical, qui est l’axe de symétrie (axe V de la discoïdale) joue un rôle de repère majeur. Sur l’une des faces des monuments (Fig. 6 à 16) nous distinguons l’ancienne région 12 de la discoïdale (région sommitale) occupée ici par un élément chrétien (croix ou H surmonté de la croix). Cependant, la forme même de la croix les surprend, car ils éprouvent le besoin de répéter ce symbole de nombreuses fois (or, on ne voit jamais de forme discoïdale utilisée pour décorer une stèle discoïdale...). Tout se passe donc, dans un premier temps, comme s’il on avait cherché à reproduire les traits du monde de la discoïdale (les exemples Fig. 17 et 18 sont en ce sens très révélateurs, et nous sommes en 1647), puis, dans un second temps, à les adapter (Fig. 6 à 16).
Peu à peu le souvenir de la région centrale, rayonnante, s’affaiblit (Fig. 21, 22, 23, 26) et aucun espace structuré nouveau n’apparaît. La technique s’affaiblit, le champ-levé est à peine affirme; la gravure qui état l’exception sur la stèle discoïdale, devient la régie (Fig. 21 à 24 et 28 à 33). A la fin du XIXe siècle on peindra simplement des épitaphes sur les croix qui ne sont que des panneaux (c’est à dire, des surfaces sans espace structuré), voire de simples supports. Les caveaux modernes n’auront aucune peine à déloger ces pauvres réalisations et les hargins, le cœur et l’esprit vidés, se convertiront en de simples techniciens. Ils seront marbriers, ils assembleront du marbre «industriel» selon des directives données par des catalogues. L’art funéraire basque aura vécu. Ce n’est pas le seul domaine perdu par les hargins, l’architecture subira le même sort; c’est le XIXe siècle finissant qui imposera ce style «basque» défini par des étrangers à notre culture (1).
Que se passe-t-il en Iparralde en ce XVIIIe siècle qui verra la fin brutale de nos institutions? Nous avons pris en compte ce désarroi des vieux maîtres dans notre tentative de réintroduire un art funéraire à la fois basque et contemporain, en Iparralde (voir Etchehandy, 1983).

 
La Navarre, les divers pays composant la Basse-Navarre sont indiqués (d’aprés Goyheneche, 1979). Sont figurés les villages de Masparraute (M, en noir), Succos (S), Labets (L), Camou-Mixe (C), Garris (G), et Lantabat (LA).


(1) Toutefois l’art du linteau continuera de s’inscrire dans la grande tradition tout au long du XVIIIe siècle et jusqu’à la moitié du XIXe siècle environ; à ces époques de grandes œuvres seront créées en Basse-Navarre.
        
       Bibliographie 
       ARIÈS, P., L’homme devant la mort, Ed. Seuil, Paris, 1977, 642 p.
    ARIÈS, P., Images de l’homme devant la mort, Ed. Seuil, Paris, 1983, 277 p.
    COLAS. L., La tombe basque. Recueil d’inscriptions funéraires et domestiques du Pays Basque français, 1906-1924, Bayonne et Paris, Foltzer et Champion, 1924, 404 p.
    COUDERC, P., Le calendrier, Presses universitaires de France, Paris, Que sais je?, nº 203, 1981, 125 p.
    DUVERT, M., Etude d’un groupe de stèles discoïdales du XVIIe siècle, en Amikuze (Basse-Navarre), Cuadernos de etnología y etnografía de Navarra, Pamplona, 1981, nº 36, pp. 183-212.
    DUVERT, M., SALDOU, J., FISCHER, M., Etude d’une famille de charpentiers en Basse- Navarre. Bulletin du Musée Basque, Bayonne, 1983, n° 100, pp. 53-84.
    ETCHEHANDY , M., Vers un nouveau cimetière basque, Corde Magno, Abbaye Nôtre Dame de Belloc, 1983, nº 109, pp. 15-26.
    GOYHENECHE, E., Le Pays Basque, Soule, Labourd, Basse-Navarre, Société nouvelle d’éditions régionales et de diffusion, Pau, 1979, 680 p. et cartes.
    LAFOURCADE , M., Les contrats de mariage du Pays de Labourd sous le régne de Louis XVI. Etude juridique et sociologique, Thèse d’Etat, Université de Pau, 1978.
    Resumen
    En este trabajo intentamos estudiar la historia y la significación de la cruz en la mente popular vasca. Las cruces proceden esencialmente de Martxuta (o Masparraute, en Amikuze; Baxenabarra, ver mapa).
    En la primera parte del trabajo damos algunos resultados conseguidos con encuestas etnográficas. En la segunda parte estudiamos los monumentos. Se puede ver que a lo largo del siglo XVIII las cruces poco a poco se convierten meramente en paneles para inscribir el nombre del difunto y a veces la fecha de su fallecimiento o su edad; a veces, hay un motivo decorativo. Los hargines de los siglos XVII y XVIII no han podido imponer o definir y mantener, con este tipo de monumento funerario, un espacio original y fuerte (como fue el caso con la discoidea) para desarrollar una creación colectiva, como lo habían hecho en los siglos precedentes. La brutal desaparición del arte funerario vasco ante la invasión de las sepulturas modernas fue un proceso ineluctable.
    Tenemos que comprender este proceso, este debilitamiento, porque ahora intentamos reintroducir un arte funerario vasco de nuestro tiempo en los cementerios de Iparralde.

    Laburpena 

    Lan huntan Martxutako kurutzeak presentatu ditugu. Martxuta Amikuzen dago, Baxenabarran. Herri huntako hilarriek nortasun handia bat bazuten, XVIIgarren mendekoek bereziki. Kurutzeen ikertzean ikusten ahal dugu nola hilarrien nortasuna ahuldu den XVIII eta XIXgarren mendetan. Laster, gaurko hobiek, nortasun gabeek, hilarri horien lekua hartuko dute. 

     
     

     

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