Michel Duvert: Art funéraire à Arbonne
L’art
funéraire à Arbonne
Michel
Duvert
Extrait
de Arbonne, sous la dir. de H . Lamant-Duhart,
Ekaina,
col. Karrikez herriak 5, 1988
INTRODUCTION
Le
village d'Arbonne possède l'une des plus belles collections de
pierres tombales (en particulier de stèles discoïdales)
du
Labourd et l'une des premières de tout Euskadi. Comme, par ailleurs,
cet art funéraire basque est d'une profonde
originalité en
Europe, c'est dire l'intérêt que présente cette belle collection.
En fait, cet intérêt est double: il a pour origine la variété
et
la qualité
des
stèles discoïdales
du
village. Cette variété était plus grande encore au début du
siècle lorsque Louis
Colas
visita le cimetière; les pertes auraient été bien plus importantes
sans l'heureuse initiative de M. Housset... Que l'on songe seulement
au village voisin d'Ahetze, l'un des plus beaux centres de création
de notre pays où il ne reste plus rien si ce n'est une seule
discoïdale très ordinaire. Les relevés de Louis
Colas
témoignent de l'étendue des pertes. Et ce village n'est pas un cas
(toute la Côte
est dans cette situation...).
En
matière d'art funéraire, le village nous présente un paysage qui
remonte aux XVIe-XVIIe
siècles
(1). L'histoire, l'archéologie
et l'ethnographie nous donnent des éléments de ce paysage, éléments
qui seront précisés en cours d'exposé. Je ne vais donner ici qu'un
cadre général dans lequel les monuments étudiés prennent place.
Pour
comprendre l'espace «où l’on gère» la mort, dans ce pays, il
faut mettre en place trois repères majeurs qui ne font qu'un en
fait.
1
- La maison: jusqu'à l'entrée du siècle, on y enterre, en
particulier des petits enfants morts sans recevoir le baptême à
l'église. On enterre en principe «baratzian»
c'est-à-dire
dans le jardin attenant à la maison, contre un mur; on appelait
parfois cette parcelle andereen
baratzia ou
«jardin des femmes». Les femmes célébraient là un culte des
morts (offrande de lumière, etc.) (2).
2
- L’église et le cimetière : ici la situation est
particulièrement complexe, nuancée (1) :
L'église
est, grossièrement, composée de deux domaines: le domaine sacré,
dans le chœur où opèrent les célébrants; les tombes des maisons
dans la nef, ce sont les jarleku
occupés
par les femmes qui avec Andere
serora (Duvert,
1988) président aux cultes des morts. Les hommes sont aux
galeries... comme au spectacle.
Le
cimetière (hil
harriak) est
divisé en parcelles correspondant aux maisons. En théorie, à
l'entrée du siècle au moins, seuls les enfants ayant fait la
communion solennelle, ainsi que les adultes, ont droit à des
monuments de pierre.
En
fait, la situation est plus complexe car on n'enterre pas, à priori,
«n'importe qui, n'importe où». Il y a des nuances, on en verra
certaines, en cours de texte.
3
- Troisième et dernier élément : eliza
bidia. C'est
le
chemin de la maison («bide zuzena» disent certains), il réunit en
théorie
la maison à l’église. C'est-à-dire qu'il est le trait d'union
entre la demeure des vivants (qui fut lieu de sépulture) et celle
des morts (église-cimetière). C'est par eliza bidia que les morts
sont conduits à la dernière demeure. Eliza bidia est un élément
clef de notre culture.
Les
trois lieux célèbrent les morts; les femmes sont ses célébrants:
à la maison, au baratz (plantations, culte de lumière) ; au
eliza-bidia: durant l'enterrement, la première voisine porte l’ezku
de
la maison et reçoit à cette occasion le titre d'argizaina
(gardienne
de la lumière) ; à l'église ou andere serora et les femmes de
la maison, en particulier etxekandere, font brûler la lumière pour
les morts (ezku) et faisaient, autrefois, d'autres types d'offrande
(nourriture, etc.).
*
Quelques
définitions
Puisqu'il
existe des stèles discoïdales
basques
et
qu'elles sont uniques en leur genre, au moins à partir des
XVIe-XVIIe
siècles, on peut penser qu'elles présentent des caractères qui
leur sont propres
(ce
qui revient à dire que leur basquitude dépasse le cadre
géographique, toujours provisoire, mouvant, dans lequel notre
basquitude a été contenue). Je me suis attaché à rechercher des
caractères de cet ordre. En particulier, j'ai remarqué qu'une
partie de nos discoïdales
(près
des deux tiers du stock connu à ce jour, peut-être) mettait en
scène un monde structuré autour de repères définis (Duvert,
1976). Je vais en présenter certains (pour plus de détails, voir
l'étude sur Arcangues, dans la même collection) en insistant sur le
fait essentiel : ces repères peuvent être utilisés isolément ou
en combinaison.
Pour
faciliter l'exposé, assimilons le disque à une montre, la région
sommitale de la stèle sera en 12 (12 heures), etc. La région
centrale est O. Commentons les cinq
schémas, en insistant sur les trois
du haut.
1
- A gauche, la discoïdale se divise en deux domaines de valeur
différente: socle et disque. Ce dernier est le plus important, il
est limité par une bordure.
2
- Au centre, les régions qui sont au nombre de quatre,
en périphérie du disque : 12 et 6 puis 9 et 3. La région centrale
est encadrée par «la base de 4»; elle est source d'un rayonnement
qui se déploie dans le disque.
3-
A droite, les axes qui sont de deux types. Les
axes principaux H et V (ce dernier est polarisé,
il traverse les deux domaines de la discoïdale et contient veux
repères
clefs, la région 6 et la région centrale ainsi qu'une région plus
faible, la 12).
Les axes secondaires (ils ne sont guère pris en considération en Labourd et encore moins en Soule) qui contiennent la base de 4 et sont toujours présents par paires. Le schéma en bas à gauche présente un monde, rythmé, structuré, autour de l'axe V (la base de 4 n'est pas obligatoire). Le Labourd a beaucoup construit en fonction de repère de ce type, surtout dans la vallée de la Nive et à Arbonne.
Les axes secondaires (ils ne sont guère pris en considération en Labourd et encore moins en Soule) qui contiennent la base de 4 et sont toujours présents par paires. Le schéma en bas à gauche présente un monde, rythmé, structuré, autour de l'axe V (la base de 4 n'est pas obligatoire). Le Labourd a beaucoup construit en fonction de repère de ce type, surtout dans la vallée de la Nive et à Arbonne.
Le
schéma de droite met en scène un monde rayonnant où la région
centrale exprime ses propriétés. Des œuvres reflétant cette
préoccupation sont présentes au village.
DALLES
DES JARLEKU
En
Labourd, ce terme désigne l'endroit où sont les chaises des maisons
(des familles), dans la nef de l'église. Ces chaises sont occupées
par les
femmes qui représentent la maison, alors
que les hommes sont aux galeries et les jeunes, qui n'ont pas atteint
l'âge de la communion, sont devant, près de la table sainte, filles
et garçons séparés.
Les
femmes sont donc un jarleku, sur leurs
chaises
qui portaient souvent leurs initiales. Elles veillaient à ce
qu'aucune étrangère ne vienne prendre cette place, aidées en cela
par Andere serora (la benoîte). Pourquoi une telle attitude et
pourquoi de la part des femmes ?
Il
faut donc savoir que jusqu'au XVIIIe
siècle, on a enterré dans
les
églises basques. Chaque maison avait, dans la nef, sa tombe. Cette
dernière était signalée, le plus souvent, par une pierre tombale
du type de celles qui subsistent au village. Les femmes, qui jouent
un rôle central dans les rites funéraires et, plus généralement,
dans le culte des morts, prenaient place sur
la
tombe, là même où, avec andere serora, elles célébraient les
cultes des morts (offrande de la lumière jusqu'à ces derniers
temps). Les femmes de la maison se relayaient sur cette tombe, de
génération en génération, accroupies, à même la pierre. Ce fou
de Lancre nous les décrit ainsi, mais au cimetière, il y a près de
400 ans: «Et
bien qu'elles fréquentent jour et nuit les cimetières, qu'elles
couvrent et entourent leurs tombeaux de croix et d'herbes de senteur
[…], elles
sont là assises ou croupies à troupes et non à genoux» (de
Lancre. Livre premier, discours 2). Il est possible qu'elles aient
eu, pour se prémunir du froid de la pierre, ce tapis noir que l'on
mettait encore sous les chaises au tout début du XIXe
siècle.
Les
chaises font leur apparition, en Labourd, dans les premières décades
du
XIXe
siècle. C'est More! qui nous le dit dans son ouvrage publié en
1836. Il parle de messes célébrées pour les morts, à
Saint-Jean-de-Luz: «Des
nattes habituellement noires sont jetées pêle-mêle sur le pavé et
désignent des places réservées et qui passent parfois, comme un
héritage, de génération en génération».
L'auteur parle ici des jarleku que, dans cette ville, on désigne
toujours sous le nom de sepultura
(conservant
ainsi le souvenir de la fonction de cette place). Puis il continue:
«Auprès
de ces nattes, on remarque de longues et minces chandelles de cire
que les femmes allument pendant les offices. Elles s'agenouillent et
prient sur ces nattes, tandis que les hommes se tiennent dans les
galeries dont nous avons parlé».
Il
décrit ici le culte des morts et
termine en disant: «Dans
les villes et les bourgs les plus considérables du Pays Basque,
quelques chaises commencent à s'introduire dans les églises et à
interrompre fâcheusement cette vieille et religieuse coutume» (p.
449).
Quelle
forte image que celle de ces etxekandere qui, à la manière de mères
poules, protègent les restes des fondateurs de leur maison. Elles
sont comme l'arbre et eux... comme les racines. Une culture donne
sens à la vie; une culture religieuse illumine ce sens. Par sa
présence à l'église, sur la tombe (3), la femme, grosse des
générations futures et célébrant ses morts, affirme la continuité
des maisons. Et donc de nous-mêmes. Dans la perspective de la Pâque
radieuse.
Les
monuments
Ce
sont, fondamentalement, des éléments qui font partie du pavage et
portent, gravés ou en champ levé, le nom de la maison et la
fonction de cet endroit (jar
lekua:
endroit où la femme s'assoit).
E. 2 : jarleku de la maison Petikenia (1786), simple indication du nom de la maison (actuellement, du moins, car beaucoup de ces pierres ont été retaillées et déplacées pour daller l'église, à partir du XIXe siècle, époque où l'on cessa d'enterrer dans nos églises. En France, c'est un édit royal de 1776 qui interdit la sépulture dans les églises. L'application de cet édit suscita des révoltes en Iparralde (3).
E. 3 : jarleku de la maison Estebenenea (fragment).
E. 2 : jarleku de la maison Petikenia (1786), simple indication du nom de la maison (actuellement, du moins, car beaucoup de ces pierres ont été retaillées et déplacées pour daller l'église, à partir du XIXe siècle, époque où l'on cessa d'enterrer dans nos églises. En France, c'est un édit royal de 1776 qui interdit la sépulture dans les églises. L'application de cet édit suscita des révoltes en Iparralde (3).
E. 3 : jarleku de la maison Estebenenea (fragment).
E.
8: «Gisco iarlecuia da hau 1748». Alors que les monuments
funéraires sont «anonymes» (stèles discoïdales),
les
pierres des jarleku ont des indications et en langue basque: «Ceci
est le jarleku de (la maison) Gisco. 1748». A quoi correspond cette
date? A la confection de la pierre ou de la maison ou à sa
rénovation, etc.?
E.
11 : «Canpaingo iarlecuia da hau» : ceci est le jarleku de (la
maison) Canpain.
E. 16 : Simonetenea: nom de la maison, seul.
E 14
: «Angurin (i)
arle c(u)
(d) a h (au)».
Enfin,
certaines pierres portent des marques que je ne sais pas interpréter
et qui ne semblent pas liées à la fonction que nous venons de voir.
Il y a ainsi une pierre avec la lettre A et diverses autres avec un i
majuscule.
HARRI
LAUZA
C'est
la plate-tombe. Faut-il la distinguer de la pierre tombale qui
recouvre le jarleku ? Pas toujours, mais deux raisons majeures
plaident en faveur de cette division des « plate-tombes » en deux
catégories :
1°
Les jarleku sont recouverts par une
pierre
qui signale expressément leur fonction
: ceci
est le jarleku de telle ou
telle maison) ; le nom de ta maison.
A la limite cette pierre n'a rien de « funéraire » dans sa forme
(et non dans sa fonction).
La
pierre du jarleku signifie que tel endroit appartient à telle
maison: elle y a ses morts et les femmes y célèbrent les cultes.
Par les jarleku, l'église est divisée en trois
domaines
:
-
le sol est formé du rassemblement des maisons du village. Traverser l'église, c'est traverser à nouveau le village, mais un village peuplé d'ancêtres omniprésents, dont les femmes célèbrent «la mémoire», de génération en génération ;
-
l'allée centrale et le chœur, mais surtout ce dernier, sont réservés au clergé. Là devaient se trouver les grandes plate-tombes que nous verrons plus loin ;
-
le porche : l'endroit pour les prêtres ou pour des maîtres de maisons qui «n'étaient pas comme tout le monde».
C'est
là un élément typique d'un paysage funéraire basque... avec le
cimetière. Et là se pose un sérieux problème qui est sans
réponse, et que l'on peut formuler ainsi: si les maisons ont
effectivement enterré leurs morts dans les églises jusqu'à la fin
du XVIIIe
siècle (et de nombreux documents l'attestant, y compris à Bayonne
où l’on célébrait les mêmes types de culte des morts — rien
de très surprenant, de Lancre, ce fou, ne dit-il pas, en 1612, à
propos de la langue basque: «La
plupart des Bayonnais, Haut et Bas-Navarrais, et Espagnols
circonvoisins pour le moins ceux des lisières le savent»,
Livre premier, discours II, voir également Ducéré, Dubarat et
Daranatz, etc.), donc si «la coutume basque» se conforme aux
pratiques connues en Europe —qui
était enterré dans l'église et qui était enterré au cimetière?—
Arbonne nous montre bien qu'il y avait au XVIIIe
siècle, deux «espaces funéraires»: l'église et le cimetière. Et
des maîtres de maison sont au cimetière... On peut penser que le
cimetière est pour les maisons nouvellement construites, la place à
l'église étant limitée. Cette hypothèse est à vérifier.
2°
Dans la nef de l'église, dans le chœur, sous le porche et au
cimetière on trouve parfois des plate-tombes ou harri lauza. On ne
trouve jamais de petites pierres comme celles qui recouvrent les
jarleku. Ces har-lauza sont, dans leur forme,
des
monuments funéraires typiques: elles
sont personnalisées ; elles
suggèrent parfois, ou indiquent, des qualités du défunt ; par
leur style (à Arbonne en particulier) certaines montrent une
filiation avec cette forme de monument qui semble être une création
du Moyen-Age
(Ariés, 1977, voir p. 234 et suivantes).
Le
jarleku est une sorte d'autel sur lequel les femmes prient, protègent
et célèbrent les morts des maisons. Les har-lauza sont des pierres
qui recouvrent des tombes.
Les
fonctions
sont
différentes, même si les formes
peuvent
présenter des analogies (en particulier lorsqu'il s'agit de pierre
ne portant qu'une simple inscription).
Les
monuments
Ils
traduisent des styles propres aux ateliers de la pro-prince. On peut
les ranger en trois grands groupes :
1)
Ceux qui portent une inscription dans le tiers supérieur et qui, à
la manière des plate-tombes du Moyen-Age,
se poursuit dans un bandeau, figuré, qui souligne la périphérie de
la pierre. La partie centrale peut être laissée vide ou occupée
par une croix caractéristique du style labourdin. (Fig. E 5, E 10,
E12).
2) Ceux qui sont conçus comme un simple support sur lequel on écrit une inscription, «comme on le ferait sur une feuille de papier». L'imagerie de ces monuments est souvent très différente de celle des précédents (Fig. E 6).
2) Ceux qui sont conçus comme un simple support sur lequel on écrit une inscription, «comme on le ferait sur une feuille de papier». L'imagerie de ces monuments est souvent très différente de celle des précédents (Fig. E 6).
3)
Ceux qui n'appartiennent à aucun de ces deux ensembles et que je
regroupe en un ensemble totalement artificiel (E 4, E 7, E 13).
Ces
trois groupes sont contemporains. Il est possible que le premier soit
le plus ancien de tous.
E.1
: fragment qui pourrait appartenir au second groupe.
E.10,
E.12 : fragments de monuments du premier groupe. Les monuments
entiers sont des tombes de prêtre, qui devaient se trouver dans le
chœur, à l'origine.
E.5:
«M(aîtr)e Martin. Decheverri. P(rê)tre. De La maison, de.
Bourritenea. a. été dec.ede le 25 octobre 1724».
Sur
la partie centrale, en hauteur, la patène, le calice et l'hostie.
Notons deux points :
1)
La
manière de disposer l'inscription en périphérie, dans un bandeau,
et de couper les mots par des points, vient en droite ligne du Moyen
Age. Cette façon de faire semble rare à ma connaissance au XVIIIe
siècle, hors de notre pays. Il y a là une marque nette de
conservatisme (le poids des écoles, très fortes ici et de la
tradition ?).
E 6:
à
la
différence du précédent, ce monument du second groupe est tout à
fait «à la mode», bien qu'il soit réalisé 50 ans plus tôt: par
son style, par le début de la dédicace. Mais le soleil et la lime
sont plutôt du siècle précédent...
On
lit: «Ce tombeau a este fai(t) pour Jean Lahiton(is). De Lastre.
Prestr(e)s. Cure, de Bacussarri. 1674». Ce monument tout à fait
original au
village, a
peut-être été suggéré par ce curé des marges du monde vascon.
Deux problèmes étranges: comment et où un tel homme pouvait
apprendre le basque au début du XVIIe
siècle? Pourquoi cette tombe n'est pas à Bassussarry?
E 4.
7. 13: tombes anonymes de prêtres, où leur fonction est nettement
indiquée, sous la forme d'une représentation trinitaire (comme en
E.5), le long du grand axe longitudinal de la pierre.
HARRI
GIZONAK
C'est
l'un des
vieux
noms des stèles discoïdales;
il était utilisé, en particulier, au début de ce siècle, à
Ithorots-Olhaiby, comme me l'avait assuré Monsieur le Chanoine
Lafitte. Ce nom, et d'autres, évoque le caractère «anthropomorphe»
de ce type de monument; comme s'il représentait l'homme, ou l'être.
Mais rien ne dit que ce type de nom soit lié à l'origine même des
discoïdales;
il a pu être donné secondairement. A travers le temps et l'espace,
les discoïdales
ont
pu avoir des types de lectures variées, car elles sont bien plus
qu'une simple intention.
Compte
tenu de ce que l'on sait de l'art funéraire en Europe, en Euskadi et
en Labourd, on peut regrouper les discoïdales
d'Arbonne
en plusieurs ensembles. Il ne s'agit là que de pure commodité,
certains ensembles sont homogènes, d'autres le sont moins…
1°
Fig. 49, 51, 65 (Colas n° 37?)
Il
s'agit de trois œuvres essentielles de l’art funéraire basque;
elles sont de la main d'un maître qui n'a travaillé qu'au village,
dans l'état actuel de nos connaissances; cette réserve s'applique à
tout ce travail. Elles témoignent d'un art antérieur à la vague
Bas-Adour que nous verrons plus loin, qui marquera durablement
toute notre province, au XVIIe
siècle surtout.
Ce
maître, très labourdin, produit ici des œuvres agréables, un peu
bavardes, «légères», mais d'une très grande maîtrise. C'est un
homme très attachant qui rappelle, par certains côtés, d'autres
créateurs du village (voir Fig. 40). Il est héritier du grand art
de la discoïdale; il en connaît toutes les ressources.
Elles
furent probablement toutes datées à l'origine, le scellement récent
recouvre certaines dates...: Fig. 51 : 1590; Fig. 49: 1594. C'est la
grande époque des procès de sorcellerie en Labourd. Bientôt de
Lancre, les bûchers, le malheur... pour un peuple basque décidément
«non conforme»!
Toutes
ces faces sont construites de la même façon; elles sont dominées
par l'axe V:
-
Elles sont divisées en trois registres: le registre central est occupé par le monogramme; l'inférieur contient un ou des animaux, le supérieur montre une image trinitaire.
-
Le monogramme est dessiné de la même façon, à sa droite (à notre gauche), le lys suggère la Vierge.
-
Christ et Vierge sont dans un monde où ils dominent les animaux mais cohabitent avec eux. En revanche, une barre horizontale sépare ce monde du principe trinitaire (le domaine de la «deité» ? pour plagier maître Eckhart).
Remarquons
que, au-delà des jeux avec les nombres, les œuvres se lisent selon
Taxe V. Elles sont polarisées en fonction de cet axe.
Faces
opposées
Au
contraire du type de face précédente, celui-ci est dominé par la
région centrale et le rayonnement associé. La région centrale est
toujours individualisée. Le monde chrétien suggéré par la croix,
est en fait un monde rayonnant centrifuge christianisé.
La
Fig. 51 s'inscrit dans cette «manière basque» typique de la stèle:
l'ambivalence. En effet, que faut-il «voir» (prendre en
considération), ce qui est en creux ou ce qui est en relief ?
La
Fig. 49 b met en scène une double base de 4 et un rayonnement où
s'affirment les quatre
directions de l'espace, qui, au niveau de la bordure, s'achèvent par
2x4 éléments fusiformes
évidés. Par
une «heureuse coïncidence» IHS
et la fleur de lys montrent aussi quatre
éléments...
Ce
n'est pas un hasard si c'est justement à Arbonne, dans ce centre
créateur de première importance, que l'on trouve des maîtres aussi
conscients et déterminés.
2°
- Fig. 16, 30 et Colas n° 41-43 (?)
C'est
encore un maître d'une très grande originalité dont les œuvres
n'ont pas d'équivalent ailleurs. Lui aussi est «antérieur» à la
vague Bas-Adour (trop tardive?), pour qu'il soit marqué par elle,
car cette mode est en train de se constituer dans cette première
décade du XVIIe
siècle. Ce maître est issu de la grande tradition et il est
typiquement labourdin. Il structure ses espaces en fonction de l'axe
V et montre bien les régions 12 et 6.
Faces
avec inscription
L'inscription
se déploie sur deux lignes et s'achève
par une date. Elle indique le prénom (semble-t-il) des personnes
enterrées au hil harriak (cimetière) de maisons parfaitement
identifiables (exception faite de la n°41 de Colas où ne figure
aucun nom).
-
Fig. 16 : Colas lit, sur la première ligne, IHS et M(aria) ; il ignore le sens des deux premiers signes de la seconde ligne et donne 1615. Peut-être le maître a-t-il voulu écrire (mais savait-il écrire ?) GUILHEM ?
-
Fig. 30 : Ioanna. Tombe de femme. 1606.
-
Fig. 40 : Opra l'an 1606 (fait l'an 1606).
On
remarquera combien ces inscriptions sont anonymes comparées à
celles figurant sur les pierres des jarleku. Mais les tombes qu'elles
surmontaient appartenaient à des maisons
connues
de tous. Dans un cas comme dans l'autre, c'est la maison qui prime.
L'inscription
s'inscrit dans un espace où l'axe V est présent par les éléments
en fleur de lys (en particulier celui qui est placé en 6 à la
limite disque-socle: Fig. 16 et Colas n°40).
Faces
opposées
Celles
que nous conservons montrent à nouveau la prédominance de l'axe V
qui a recomposé le monogramme IHS pour en faire une structure
symétrique articulée avec la bordure de type rayonnant. Au cours de
ce processus I et S ont disparu et la croix qui surmontait H, est
étirée sur l'axe V, exaltée. Elle est encadrée par les branches
montantes de la lettre H, l'ensemble suggérant un calvaire ou un
thème trinitaire. Les segments de courbe, qui dialoguent avec la
bordure, renforcent la symétrie de l'ensemble. Le thème du socle
est organisé également en fonction de cet axe; mais comment lire
«base de 4»?
Quatre
structures évidées ou une croix dont les branches diffusent dans
tout le monument et où seul leur point de rencontre est montré?
L'extrême
originalité de ce maître, la qualité de sa formation et de son
message, montrent à quel point une discoïdale est plus qu'un
«produit». C'est une aventure intérieure nourrie par et pour un
groupe humain particulier, une culture.
3° Fig.
23,
26, 27, 33, 41, 43, 47, 56 et Colas
n°42,
46, 52.
Nous
avons ici un ensemble qui a toutes les caractéristiques d'une école
ou d'un atelier et qui est propre au village. C'est une forme d'art
basque propre à Arbonne.
On
peut faire deux sous-ensembles : les Fig. 23, 26, 27, 33, 47 et Colas
n°52 sont probablement attribuables à un même maître; les autres
s'y rattachent plus ou moins directement (élèves ou parents de
notre hargin?). Portons notre attention sur le premier ensemble.
1o
Premier
type de face
Elle
se caractérise par deux traits: en bordure se développe une
inscription qui est toujours
gravée et
où les mots sont le plus souvent séparés par des points superposés
(héritage de pratiques en vogue au Moyen
Age);
la date est dans la région 6; 2) cette inscription enserre le
monogramme plus ou moins mis en symétrie par l'axe V.
L'œuvre
rapportée par Colas (n°51) semble se rattacher à ce groupe, en
particulier avec la Fig. 23. Toutes deux signalent des sépultures de
deux femmes de la maison Martiquet. Dans la mesure où la lecture de
Colas est fiable, on notera des différences de style entre ces deux
œuvres.
2°
Second
type de face
Elle
met en scène le monogramme sous deux variantes: l'un est typique du style Bas-Adour par sa belle bordure et ses «rosaces» (Fig. 27, 47) ; l'autre
est d'un tout autre style, homogène.
La
plupart de ces œuvres portent une date: 1611 (deux
fois), 1615, 1618 et 1620 ainsi que 1614 Colas n°51. Nous sommes
donc en présence d'un de ces ensembles qui apparaissent tout aussi
brusquement qu'ils disparaissent et qui ne durent que quelques
années. Ce phénomène a été étudié (Duvert, 1985); il met en
valeur plusieurs points essentiels de notre création traditionnelle:
1)
Il existe des ensembles cohérents d'œuvres que l'on ne trouve que
dans des aires données, voire dans un village donné, Arbonne, ici.
2)
Quand par chance ces ensembles sont datés, c'est-à-dire quand la
date est partie intégrante de l'imagerie au même titre que
n'importe quel autre élément: monogramme, nom du défunt, etc.), on
voit que leur durée de vie est limitée.
3)
Ces ensembles traduisent avant tout des nouveautés au niveau des
imageries ou du style. Ils ne remettent pas en question la structure
même de la discoïdale. Cet art est une manifestation cohérente,
continuellement fécondée et renouvelée. Le monde basque est un
monde ouvert... parce que fort et doté d'une personnalité tout à
fait originale. Ces apports ne diluent pas le fait basque... ils le
constituent. Ce monde traditionnel basque est un monde en devenir. Le
monde traditionnel n'a jamais été une morne répétition
inconsciente de gestes gratuits.
Le
second ensemble possède en commun, avec le premier, l'imagerie.
Certaines de ses œuvres semblent légèrement antérieures à celles
du premier ensemble (1606, 1609. etc.).
En
fait, la fig. 41 s'inscrit dans le cadre de certaines fig. b du
premier ensemble et dans celui d'œuvres qui reflètent bien l'un des
styles dominants de la province (Fig. 16 b, 30 b, 40 a et Colas
n°43).
Remarques
Lisons
les onze
inscriptions sur ces œuvres.
Fig.
23 : Maria : de : Martiquet : 1611.
Fig.
26 : Marie d'Ithurbide : 1615.
Fig.
27 : Joannes : de : Cassabon. 1618.
Fig.
33 : Ioana de : Castillon : 1611.
Fig.
47 : Estevi. Dame, de Martiquet : 1620.
Fig.
56 : (...) etri : de : Mesdel (…).
Fig.
43 : Docha de Petqu (.?.) ?.
Colas
n° 42 : Martin Lasale 1606.
Colas
n° 46 : ( ? ) 1609 (?).
Colas
n° 51 : Ioanna de Martiquet. 1614.
Colas
n° 52 : Saubadina. Cheveri. 1611.
Sur
huit
inscriptions, lues avec certitude, six
se rapportent à
des femmes. Cette
présence féminine n'est pas pour sur prendre au Pays Basque des
sept provinces; il s'agit là d'un trait fort ancien que nous
partageons avec les vieux Basques de la chaîne pyrénéenne (voir
Gratacos, 1988). Alors qu'en France, à la même époque, les femmes
n'ont toujours pas d'âme…
La
face b de ce monument est tout à fait conforme à celles d'un type
de discoïdale
qui
se répand dans le nord du Labourd, tout au long du XVIIe
siècle. Cette imagerie, ce style et cette technique caractérisent
le style dit «Bas-Adour»
(Duvert,
1981) les principaux centres de création de ce type de discoidale
étant
situés entre Saint-Pierre d'Irube et Bardos. D'où provient ce
«style Bas-Adour»
? Nous ne le savons pas. Constatons simplement qu'il présente de
troublantes analogies avec un art funéraire d'époque romaine,
réputé «celte», et qui se trouve aux marges de l'actuelle Euskadi
(Abasolo,
1974).
Après avoir pénétré le Labourd par la vallée de la Nive, cet art
s'éteint à la fin du siècle. A-t-il marqué la Côte
? C'est douteux, seul Anglet semble avoir été quelque peu influencé
(Duvert,
1981).
Caractéristiques
de cet art labourdin, qui est inconnu dans les autres provinces et
dans le reste de l'Europe, au moins aux époques historiques et dans
l'état actuel de nos connaissances (Fig. 14 b) :
-
indication, dans le disque, des axes V et H. Leurs extrémités sont réunies par des arcs de cercle dont la courbure est opposée à celle de la bordure ;
-
identité des régions 9, 12, 3 et 6 ;
-
ces régions, la base de 4 et la région centrale (qui peut avoir, comme ici, une taille plus importante), ont une structure comparable et tout à fait caractéristique de cette forme d'art (éléments en forme de «fleurs») ;
-
la bordure est toujours présente (en général elle se poursuit sur le socle); elle est constituée par une série de triangles taillés à facette ;
-
des modules président à la mise en forme de cet espace.
Ce
type d'imagerie ne fait allusion qu'indirectement au monde chrétien
(dont la croix est bien montrée sur le socle qui est une région de
moindre valeur par rapport au disque).
La
face a n'appartient pas au style Bas-Adour, bien que ce dernier
l'ait profondément influencé. Elle montre une «mise en symétrie»
du monogramme sous l'influence de l'axe V.
5°
- L'école d'Arbonne
Il
s'agit là d'un groupe homogène de vingt
et une
stèles discoïdales
(au
village, où il semble y en avoir au moins une autre à Biarritz,
mais «issue» du village, selon toute vraisemblance). L'originalité
de cet ensemble propre au village (d'où le nom d'école d'Arbonne),
réside dans les caractères suivants :
-
œuvres qui s'inscrivent dans le style Bas-Adour ;
-
bordure faite de trois séries concentriques de triangles à taille à facette ;
-
l'essentiel du disque est occupé par IHS et M, c'est-à-dire Jésus et Marie (relecture d'une imagerie plus ancienne : voir le vieux maître arbonnar des Fig. 49, 51 et 65)
- la croix surmontant la lettre H a ses extrémités en fleur de lys et son sommet touche la bordure ;
-
un principe trinitaire est affirmé (en plus de la bordure) sous la forme de trois rosaces de style bas-Adour, associées à la croix ;
-
un segment de cercle est associé à la région b, le long de l’axe V, sous la lettre H ;
-
un ou des segments de cercles peuvent répondre, en symétrie, à la lettre S. L'axe V est, à l'évidence, l'organisateur de ce monde.
Il
y a ici plusieurs maîtres qui restent à identifier. Ils travaillent
selon un modèle; ce dernier ainsi que le style même qui est mis en
œuvre, les enferme dans un académisme. Ce ne sont pas des
aventuriers! Il semble que l'on puisse faire des «lots» dans cet
échantillonnage:
-
Stèles datées: la date fait partie de l'imagerie, elle est gravée sur le socle. Fig. 4, 31, 32, 61: 1602 (?), 1604, 1605, 160(?). Le second de ces maîtres est le seul à dessiner une lettre S à l'envers. Toutes ces œuvres ont la date sur le socle; ce dernier est laissé libre dans toutes les autres œuvres de cette école.
-
Deux maîtres se signalent par des «maladresses»: Fig. 37, où une face n'est pas construite par rapport à l'axe V; Fig. 44, sur une face le monogramme est à l'envers. Ce qui évoque un modèle sur papier, reporté sur la pierre grâce à des trous d'aiguilles à travers lesquels on répandait une matière colorante? La monotonie de cette école évoque bien ce type de pratique.
Remarques
Si
l'on prend en compte les dimensions des stèles de cette école, on
voit que la majorité d'entre elles a un diamètre compris entre 36
et 39 cm et
a un rapport diamètre/col voisin de 2,1, ce qui est conforme à la
stèle «canonique » Duvert,
1976) ; elle
a enfin
une
épaisseur moyenne de 13,5 cm. En résumé, non seulement le type de
stèle propre à cette école a une imagerie
stéréotypée,
mais la forme
même du
monument est bien définie.
6°
- Les groupes rattachés à l’école
d'Arbonne
Un
certain nombre d'ensembles d'œuvres montrent une influence plus ou
moins accusée de l'école d'Arbonne, telle qu'elle vient d'être
définie, tout au long du XVIIe
siècle. Il n'y a aucune allusion à la Vierge sur ces œuvres.
Fig.
14,
38, 60.
La fig. 60 fait un lien direct entre ce groupe et l'école d'Arbonne (comparer, par exemple avec Fig. 4, un an séparant ces deux œuvres).
La fig. 60 fait un lien direct entre ce groupe et l'école d'Arbonne (comparer, par exemple avec Fig. 4, un an séparant ces deux œuvres).
Ces
trois œuvres ont une
particularité,
la lettre S y est dessinée de la même façon, avec une sorte de
renflement médian.
Fig.
39, 63.
L'espace est ici sous la dépendance totale de l'axe V qui produit l'apparition d'une imagerie en partie ou en totalité symétrique par rapport à lui. Dans ce monde, l'élément de l'imagerie placé sur l'axe V (la croix, ici) est particulièrement mis en valeur.
L'espace est ici sous la dépendance totale de l'axe V qui produit l'apparition d'une imagerie en partie ou en totalité symétrique par rapport à lui. Dans ce monde, l'élément de l'imagerie placé sur l'axe V (la croix, ici) est particulièrement mis en valeur.
Fig.
39 : à la lettre S répond un segment de courbe.
Fig.
63 : I et S ont disparu.
-
Fig. 41, 46 : Le premier se conforme largement au modèle de l'école d'Arbonne. Il introduit un élément végétal: la fougère, comme le font les maîtres de la Côte (Fig. 53). Peut-être a-t-il été formé chez eux? ou les fréquentait-il? Ce même végétal est introduit également dans l'art du vieux royaume navarrais, aux XVIe et XVII° siècles. Mais il est fait avec moins de discrétion, et, le plus souvent, il s'articule sur la lettre S.Fig. 21: Ce maître connaît l'art de la Côte où l'on montre l'arbre cosmique-croix (Fig. 53). Il n'a pas la force de ses maîtres, même s'il fait figure d'originalité au village, au moins pour la face a.
- Fig. 15, 19, 20
- L'école d'Arbonne ne marque guère ce maître, mais il se peut aussi que la mode ait changé... plus de 80 ans séparent les œuvres Fig. 32 et 61 d'une part et la Fig. 15 d'autre part : Plus de système trinitaire (rosace) ou alors il est facultatif (bordure) ; la croix n'est plus individualisée, elle fusionne avec la bordure ; le socle peut être décoré par une croix (Fig. 15 b) ou quatre éléments fusiformes (Fig. 20), dans un carré (on conserve une ambiguïté de lecture).
Aux
yeux des Labourdins de la fin du XVIIe
siècle, ces stèles discoïdales
font
de plus en plus figure d'un autre âge. Les tabulaires sont entrées
dans certains secteurs de la province; les croix commencent à ce
répandre, elles représentent un avenir... qui précipitera notre
art funéraire à sa perte, à la fin du XIXe
siècle.
Ces
deux dernières œuvres sont très difficiles à situer; elles n'ont
qu'un lointain rapport avec l'école d'Arbonne, mais elles s'y
rattachent par l'imagerie que présente leur Fig. a. Les autres faces
sont originales (et suggèrent que ces œuvres ont peut-être été
réemployées, retaillées).
Fig.
8 b: région centrale bien indiquée et puissant rayonnement.
Fig.
29 b: rôle majeur de l'axe V; la base de 4
est montrée, dans la lettre H.
7°
Fig.
1, 11, 34.
Trois œuvres étranges car probablement retaillées (Fig. 11 et 34, selon toute vraisemblance). Les faces portant les inscriptions sont du XVIIIe siècle. A cette époque, la discoïdale est un monument d'autrefois, passé de mode. Au XVIIIe siècle, on fait des croix, essentiellement. Parallèlement, l'art de la discoïdale se perd. Ce type de monument est converti en support d'épitaphe ; c'est la «discoïdale-panneau». Si, dans un premier temps, l'inscription est de qualité (Fig. 1, 11), très vite elle dégénère (Fig. 34) ; c'est l'ensemble d'Euskadi-nord qui marque cette tendance.
Trois œuvres étranges car probablement retaillées (Fig. 11 et 34, selon toute vraisemblance). Les faces portant les inscriptions sont du XVIIIe siècle. A cette époque, la discoïdale est un monument d'autrefois, passé de mode. Au XVIIIe siècle, on fait des croix, essentiellement. Parallèlement, l'art de la discoïdale se perd. Ce type de monument est converti en support d'épitaphe ; c'est la «discoïdale-panneau». Si, dans un premier temps, l'inscription est de qualité (Fig. 1, 11), très vite elle dégénère (Fig. 34) ; c'est l'ensemble d'Euskadi-nord qui marque cette tendance.
Les
faces sans inscription posent un sérieux problème... Car elles
témoignent d'un art funéraire de la discoïdale qui n'est pas cet
art dégénéré dont je viens de parler. Dès lors, ces œuvres ont
été retaillées et les faces appartiennent aux pierres d'origine
(pratique traditionnelle courante); les faces b sont contemporaines
des faces a mais résolument archaïsantes. La première hypothèse
semble la plus vraisemblable.
Fig.
1: Maria, de Etchepare decede. en aoust. 16. 1711. Le revers est
délité.
Fig.
11 : Ci-gît.
Bertrand du. Poui. decede. en octobre 1714 (3 ans après sa femme).
Le
dessin du chiffre 7, la conception des monuments, suggèrent une même
main. La taille des monuments est différente, favorisant la thèse
du remploi, mais c'est un argument très fragile.
Fig.
34 : Maria de Seinian 1756.
8°
- Fig. 50, 52, 54, 55
Cet ensemble est profondément hétérogène. Pourquoi l'avoir constitué? Parce qu'il regroupe des maîtres de «la» grande tradition basque, et dans la conception de la discoïdale, et dans le style. Ce n'est pas que les maîtres des ensembles précédents, ni de ceux qui vont suivre, ne soient pas basques dans leurs œuvres, au contraire même ! Mais ceux de cet ensemble montrent un art qui dépasse par son propos le cadre du village et de la province. Ils nous immergent dans des mondes et des types de réalité qui sont au-delà de ce que peut nous offrir un paysage labourdin du XVIIe siècle.
Cet ensemble est profondément hétérogène. Pourquoi l'avoir constitué? Parce qu'il regroupe des maîtres de «la» grande tradition basque, et dans la conception de la discoïdale, et dans le style. Ce n'est pas que les maîtres des ensembles précédents, ni de ceux qui vont suivre, ne soient pas basques dans leurs œuvres, au contraire même ! Mais ceux de cet ensemble montrent un art qui dépasse par son propos le cadre du village et de la province. Ils nous immergent dans des mondes et des types de réalité qui sont au-delà de ce que peut nous offrir un paysage labourdin du XVIIe siècle.
Nous
avons ici une expression vigoureuse qui va à l'essentiel sans
s'embarrasser de fioritures (comme ces effets de style du Bas-Adour:
les sortes de fleurs, les triangles des bordures, etc.). Ils
maîtrisent courbes et contre-courbes et les font dialoguer avec des
angles vifs, des lignes droites. Dans ces mondes, nous ne savons pas
s'il faut s'arrêter aux parties en relief ou à celles évidées,
car les deux constituent
le
discours. Nous sommes loin du gentil bavardage «Bas-Adour». Ces
maîtres ont choisi d’être et non de paraître. D’où une force
de conviction, cette assurance…
Avec
ces maîtres, de sensibilité très navarraise et même
bas-navarraise d’après nos références actuelles, on prend
conscience d’une manière d’exister. Leur discours vaut autant
par ce qu’il dit ou suggère, que par ce qu’il tait. Ils montrent
l’essence au-delà de la forme. Et c’est au soleil d’animer ce
monde, à condition de bien orienter les pierres: une face à l’est,
l’autre à l’ouest (voir Duvert, 1988, p. 9). Certes, à sa
manière, l’école d’Arbonne se pliait à ces types de
contraintes, à ce monde de possibles que notre culture autorisait,
mais pour un discours gentil, fade, qui distrait mais n’aide pas à
se (nous) construire. Ces
maîtres ne représentent pas de mondes, ils nous présentent des
espaces qui sont des mondes circulaires centrés et rayonnants.
Fig.
50: timide mais décidé sur la face a, il laisse éclater un
puissant rayonnement sur la face b, centré sur un thème
trinitaires, où les
trois éléments sont en continuité et cernent un vide trilobé, à
la manière d’un indicible que l’on ne peut nommer que de
l’extérieur. Cette face b, unique dans les provinces du Nord,
montre que ce maître connaissait à l’évidence l’art des
vallées du nord-est de Pampelune.
Fig.
52 :
très puissant rayonnement du disque construit à l’aide de
courbes, par répétition d’un élément en forme de fuseau (voir
Duvert, 1983) et relayé par le dessin aigu de la bordure.
Fif.
54 : on retrouve ce monde sur la face a. Malheureusement, la
face b est endommagée, les dents aiguës au dessin sec de la bordure
dialoguent nettement avec la «douceur» des courbes et
contre-courbes du disque.
Fig.
55 : la face a nous présente un monde complexe où la crox «se
dilue» quelque peu dans une imagerie complexe qui semble s’attacher
autant à ce qui est en relief qu’à ce qui est en creux. La face b
semble avoir été construite, en partie, avec l’axe V, mais
celui-ci est incliné ers la gauche. Quant au rayonnement, il est
très original.
Cet
ensemble regroupe deux maîtres formés dans les ateliers de la côte,
si l’on en juge par les imageries qu'ils mettent en scène. En
particulier celle des Fig. a qui montrent une crucifixion qui a les
dimensions du cosmos. La force et la conviction de ce type d'imagerie
n'a connu aucun équivalent dans le reste de notre pays.
La
Fig. 53 a représente l'archétype même de cette imagerie. L'espace
est articulé autour de l’axe V, le long duquel sont placés la
croix-arbre et le crucifié. Le monogramme est, pour l'essentiel,
recomposé : à la lettre S répond une fleur de lys (un jeu de
courbes répond à un autre jeu de courbes; les éléments
parallèles à V sont surévalués (montants verticaux de la lettre
H).
L'arbre-croix
du Christ est l'arbre cosmique (symbole bien connu par ailleurs; voir
Chevalier
et Gheerbrant,
1982) qui déploie de généreuses frondaisons sous la forme de
crosses de fougères (qui est «par excellence» la plante des landes
labourdines, voir Fig. 21, etc.). De part et d'autre du sommet de cet
arbre de vie «régénéré » par le sacrifice du Fils, il y avait
deux oiseaux (il ne reste que la trace de l'un d'entre eux), à
l'image de l'âme ou de l'esprit, venus trouver repos et abris dans
ce feuillage.
La
face b est une recomposition du monogramme, centré sur l'axe V. La
lettre S dialogue avec les courbes d'une fleur de lys. Les trois
éléments verticaux dégagés dans le monogramme répondent aux
trois éléments circulaires, eux-mêmes trinitaires.
La
Fig. 48 est comparable mais la croix n'est pas un arbre, elle touche
au monde céleste dans lequel une croix rayonne dans quatre
directions.
Par
leur caractère «parlant», ces œuvres de la côte ont un caractère
«livre d'images» qui contraste avec la forte «abstraction» de
l'art funéraire basque (comparer en particulier avec ce que j'ai
appelé «la grande tradition», Fig. du 8e
ensemble).
10°
- Fig. 13, 35 (36 ?)
Ici nous sommes en présence d'une forte personnalité. C'est un maître qui a une vision de la stèle et qui a été formé en Labourd, probablement dans la vallée de la Nive. Il a fait un choix très clair: pour lui, l'axe V est le repère majeur dans la discoïdale. La face 36 b n'est pas de sa main. Les œuvres 13 et 35 nous montrent un trait de sa personnalité; alors qu'une face de l'œuvre reste conventionnelle (Fig. 13 b et 35 a) l'autre, au contraire, «s'évade» et recompose le monogramme. Tout se passe comme si, sur une face, il restait avant tout conforme à des repères connus (le monogramme) et si, sur l'autre, il cherchait à exalter la tradition qui l’a formée.
Ici nous sommes en présence d'une forte personnalité. C'est un maître qui a une vision de la stèle et qui a été formé en Labourd, probablement dans la vallée de la Nive. Il a fait un choix très clair: pour lui, l'axe V est le repère majeur dans la discoïdale. La face 36 b n'est pas de sa main. Les œuvres 13 et 35 nous montrent un trait de sa personnalité; alors qu'une face de l'œuvre reste conventionnelle (Fig. 13 b et 35 a) l'autre, au contraire, «s'évade» et recompose le monogramme. Tout se passe comme si, sur une face, il restait avant tout conforme à des repères connus (le monogramme) et si, sur l'autre, il cherchait à exalter la tradition qui l’a formée.
Fig.
13 b, 35 a: même type de bordure, même thème «Bas-Adour»,
dans la région 6, croix fusionnée avec la bordure dans la région
12, probable allusion à la base de 4 par quatre
segments de cercles accolés à la bordure (nets en 35 a).
Fig.
35 b : le monogramme est recomposé et la croix, sur l'axe V, est
bien mise en valeur.
Fig.
13 a : sur cette tombe de sandalier, il ne reste que la trace des
lettres I et S, la lettre H est recomposée pour donner cette
structure trinitaire bien connue par ailleurs. Cet exemple nous
montre bien que le monogramme n'est pas «basquisé» dans le sens
«d'adapté». Au contraire, il est recomposé entièrement en
perdant son sens originel; il sert à féconder, à réactiver, le
monde traditionnel. Le tailleur de pierre ne copie pas, il intègre.
Son œuvre n'est pas un objet, c'est une aventure collective, une
mémoire qui se constitue sans cesse, à travers des parcours qui ont
leur cohérence. Voyez comment on peut passer insensiblement de 13 b
à 35 b, puis à 13 a, en travaillant autour de l’axe V. L'art
funéraire basque n'existe que par les possibles qu'il autorise,
qu'il encourage, stimule et aide à mettre en forme. La discoïdale
est comme un reflet de ce que nous sommes.
La
Fig. 36 s'inscrit dans la mouvance des deux précédentes, mais une
face est perdue. Est-elle de la main du maître? Ce n'est pas
évident.
11°
- Fig. 40. C'est
un maître très «labourdin du XVIIe
siècle», gracieux, bavard, presque frivole,
comparer
cette œuvre et celles des maîtres de «la grande tradition».
La face a est la plus dépouillée, sa bordure rappelle celles des œuvres du troisième ensemble. Le disque lui-même est un bavardage autour de l’axe V. Il souligne cet axe en fusionnant le sommet de la croix avec la bordure; et en privilégiant par la taille l'élément «floral» placé entre les montants verticaux de la lettre H.
La face a est la plus dépouillée, sa bordure rappelle celles des œuvres du troisième ensemble. Le disque lui-même est un bavardage autour de l’axe V. Il souligne cet axe en fusionnant le sommet de la croix avec la bordure; et en privilégiant par la taille l'élément «floral» placé entre les montants verticaux de la lettre H.
La
face b est une sorte de bavardage «rococo», habile et généreux.
12°
- Fig. 45
L'un des maîtres labourdins les plus originaux. Il est peut-être l'auteur d'autres œuvres conservées à Villefranque, Halsou et probablement Jatxou (Duvert, 1981); mais ceci reste à établir (voir également Arcangues, dans cette collection, p. 147, Fig. 23).
L'un des maîtres labourdins les plus originaux. Il est peut-être l'auteur d'autres œuvres conservées à Villefranque, Halsou et probablement Jatxou (Duvert, 1981); mais ceci reste à établir (voir également Arcangues, dans cette collection, p. 147, Fig. 23).
C'est
un maître issu de la grande tradition. On notera Fig. a
l'équivalence des éléments placés en 9, 12, 3 (ce qui est une
façon de bien montrer un principe trinitaire) ; l'originalité
de la région 6 qui montre, à sa façon, un principe trinitaire
(voir Fig. 50 b) ; l'importance des axes V et H ainsi que des
axes secondaires ; tous ces axes, structures, disque et
bordure.
En particulier, dans le disque, les axes V et H suggèrent la croix, et les axes secondaires servent à mettre en place des sortes de «palmes» (à 2x3 feuilles).
En particulier, dans le disque, les axes V et H suggèrent la croix, et les axes secondaires servent à mettre en place des sortes de «palmes» (à 2x3 feuilles).
Nous
avons vu comment est «montré» (ou mis en œuvre) le chiffre 3; le
chiffre 4 est, lui aussi, largement utilisé, en particulier dans les
éléments placés en 9, 12, 3.
La
Fig. 45 b organise, autour de repères traditionnels, une imagerie
étrange où l'on identifie un blason; les autres éléments qui
l'encadrent, dans sa partie basse, restent mystérieux.
13°
- Groupe fig. 25, 58, 59 et œuvres disparues : le premier ensemble ne se rattache, semble-t-il, à aucun des éléments décrits jusqu'ici.
Fig.
25: ce maître a une vision particulière de la discoïdale. Il
agglutine toutes les lettres du disque et un demi-cercle posé en 6,
pour en faire une sorte de continuum qui s'oppose au côté fragmenté
de la bordure (Fig. 25 a). Aventure qu'il ne renouvelle pas sur
l'autre face.
Fig.
58: alors que a est influencée par le style Bas-Adour,
b semblait être d'une autre inspiration.
Fig.
59 : l'originalité évidente de ce maître réside dans sa volonté
d'ouvrir le monde du disque dans celui du socle. Mais cette tentative
est timide, le disque reste intérieurement limité. Ce type
d'expérience a été tenté avec audace et a connu de remarquables
succès dans la montagne bas-navarraise.
Relevés
de Colas
N°
44: ce type d'œuvre est connu en Labourd, dans la vallée de la Nive
en particulier.
N° 37 et 38: c'est l'une des plus vieilles discoïdales datées, connue à ce jour. On ne peut que déplorer sa perte.
N° 37 et 38: c'est l'une des plus vieilles discoïdales datées, connue à ce jour. On ne peut que déplorer sa perte.
N°48: c'est une des œuvres les plus fortes de tout le Labourd (et je soupçonne son auteur d'avoir fait «quelque stage» en Basse-Navarre). Elle combine trois repères clefs de la discoidale: l'axe V qui porte la croix (dans la région sommitale) ; la base de 4, centré: un carré contenant quatre autres carrés, le tout étant partie prenante de la «forme condensée» du monogramme ; un rayonnement agressif et, chose rare, qui semble centripète, issu des axes secondaires.
N° 53: c'est une œuvre fort ancienne à mon avis, noter l'équerre dans le quadrant du bas, à droite, où la région 6 est délibérément montrée.
Enfin, outre le fragment n°68 il faut signaler la discoïdale n°00, disparue ces dix dernières années. Il est tout de même «étrange» que ces monuments disparus soient des pièces peu banales, voire de très haute qualité…
STELE TABULAIRE
Le
nom basque de ce type de monument est perdu. Le monument qui subsiste
au village (Fig. 70), par sa taille modeste et la pauvreté de son
«message», appartient à un groupe qui se démarque des puissants
ateliers voisins (Cambo, Larressore, Ainhoa, Itxassou). Ce type de
monument
apparaît brutalement en plein XVIIe
siècle; il connaît un succès tel que les marins basques en
emportent des exemplaires à Terre-Neuve pour mettre sur les tombes
de leurs morts (voir Colas,
1906-1924). Absente au nord-ouest
de la province, la tabulaire ne va jamais supplanter la discoïdale,
elle est inconnue dans les autres provinces (mais
pas en Navarre?). La tabulaire disparaît au XVIIIe siècle. En l'espace d'un siècle ce type de monument fut fortement dialectisé, il connut des variantes de très grande qualité ; l’art funéraire basque était alors à un sommet de sa créativité.
pas en Navarre?). La tabulaire disparaît au XVIIIe siècle. En l'espace d'un siècle ce type de monument fut fortement dialectisé, il connut des variantes de très grande qualité ; l’art funéraire basque était alors à un sommet de sa créativité.
L'existence
de ce type de monument nous montre combien l'art basque se
nourrissait d'apports... sans pour autant perdre son âme. Il est
vrai qu'il avait alors le temps et les moyens d'assimiler ces
intrusions, notre pays se gérait lui-même, le droit basque était
en vigueur à ces époques. Azzola
(1972) décrit des monuments «comparables» dans la Basse-Saxe
d'époque antérieure à nos tabulaires (5). On sait par ailleurs les
liens étroits unissant au moins sur le plan commercial et sur le
commerce des œuvres d'art, les régions septentrionales et Euskadi
(voir les travaux de Goyheneche,
Baroja,
etc.).
KURUTZEAK
Les
croix pénètrent dans notre pays au cours du XVIIe
siècle.
Elles vont peu à peu chasser les discoïdales;
le XIXe
siècle
verra leur lente dégénérescence.
Le
village conserve deux types de croix qui appartiennent à des époques
et à des écoles différentes.
Fig.
6 et 69 sont des monuments du XVIIe
siècle qui semblent provenir de la Basse-Navarre, la Fig. 69 en
particulier.
Fig.
17, 18, 57: ce sont des croix labourdines, en particulier les Fig. 17
et 57, cette dernière est la plus originale de ce lot. Les deux
croix auxquelles nous venons de faire allusion sont dans la tradition
labourdine: leur forme est trapue, elles sont épaisses, elles ont
des excroissances hémisphériques en bout de bras et dont
l'intersection est nettement accusée par de fortes moulures.
La
croix Fig. 18 a une imagerie proche de celle mise en scène sur des
tabulaires (Fig. a) et des grandes plate-tombes labourdines du XVIIe
siècle. En revanche, sa forme est tout à fait hétérodoxe et
nettement peu conventionnelle... quelle que soit la province
considérée et l'époque. Elle est en partie
gravée sur la face b. Il est difficile de situer cette œuvre très
personnalisée.
Lecture
des œuvres
Fig.
6: IHS. Miguel, de. Lauregui. Catalin. ihidoipe señora
de
Diauregui (16(?). La femme est probablement l'héritière, même si
son mari apparaît en premier ; elle est señora
(etxekandere)
de Jauregui. Le revers est typiquement bas-navarrais (et probablement
d'Arberoue ?).
Fig.
17: Maria d(e) Bidegarai 1736.
Fig.
18: sa face b suggère un schéma trinitaire, la croix en pierre
contient une grande croix gravée surmontant une croix portée par la
lettre H,
«souvenir»
du monogramme.
Fig.
57 : IHS Muniota d'iharce 1717. Sa face a met en scène un monde qui
est celui de la discoïdale et où la région centrale du disque est
comparable à l'intersection des bras de la croix. Dès lors: la
région centrale est originale ; le thème occupant la région
centrale se démarque de ceux situés en 6 et 12, tout en étant
complémentaire ; les thèmes exposés en 3 et 9 sont originaux
et identiques ; à la limite, les moulures soulignant
l'intersection des bras de la croix, suggèrent une base de 4.
En
ce début du XVIIIe
siècle, les hargin cherchent un monde nouveau à articuler sur ces
croix. Ils n'y arriveront que sporadiquement et notre art funéraire
perdra cohérence et force.
Fig.
69 : IHS. Domi(n)go de Egegonberi Catalina
de
Barbertegui. 1699. Homme et femme conservent leurs noms propres.
REMARQUES
FINALES
Existe-t-il
des arguments, autres que ceux de nature esthétique, qui nous
permettent de croire en la réalité des ensembles de monuments
rapportés plus haut? Rappelons que ces ensembles regroupent des
œuvres «homogènes», et qu'ils permettent, a
priori, de mettre en évidence: des maîtres donnés, un atelier ou
une école locale, des tendances à l'échelle de la province ou du
pays. Ce problème a été déjà étudié d'un point de vue général
(Duvert,
1981, 1985) ou particulier, en se limitant à un maître donné
(Duvert,
1980, 1982; dans ce dernier cas, le maître avait signé l’une de
ses œuvres, c'est Jean de Larre en Amikuze).
La
thèse de Maite
Lafourcade
(1978) permet d'aborder ce problème à la fois d'un point de vue
général et d'un point de vue particulier.
Les
tailleurs de pierre (hargin) sont tous agriculteurs
au
XVIIIe
siècle, en Labourd. Cette pratique n'est pas un métier et le savoir
faire traditionnel reste entre les mains du peuple, au sein même des
acteurs de la culture basque. A ces époques on se déplaçait peu et
on s'identifiait à travers des particularismes bien délimités en
termes de temps et d'espace. On comprend qu'il ait pu exister un art
propre au village, ou reflétant des formes présentes dans la vallée
de la Nive ou sur la côte, etc. Les modes d'expression étaient
dialectisés.
En
règle générale, mais non absolue, la taille de la pierre est une
pratique qui se transmet de père en fils. Il a pu donc naître des
formes d'art traduisant avant tout des modes d'expression propres à
une famille. Ces mêmes modes ont pu servir de référence pour
initier des variantes ou de nouvelles aventures. On comprend ainsi
l'existence de séries homogènes et de leurs variantes.
On
sait qu'il a existé des contrats d'apprentissage et qu'un maçon
d'un village pouvait être formé dans un village voisin ou, plus
simplement, «ailleurs» (Etcheverry,
1950). Ainsi, on peut comprendre l'introduction de «modes
étrangères» propres à des zones données du pays, dans un village
ou dans une zone où elles étaient inconnues.
Enfin,
certains ensembles représentant des «variations autour de thèmes»
peuvent être attribués à des familles (?)
de tailleurs de pierre. Je pense en particulier aux Landaboure dont
plusieurs membres sont maçons au village, au XVIIIe
siècle: le
père maçon a deux fils qui sont maçons ; Pierre, héritier de
Couton et Urruty; Jean, cadet de Couton. Pierre Landaboure est cadet
d'Espeletenia et de Malliarenea.
On
connaît également à cette époque Joannes de Hargains de la maison
Estebenenia; son fils, héritier, sera faiseur de chaises et ne
continue par la tradition.
Ainsi,
nous apprenons peu à peu à mettre quelque réalité derrière ces
œuvres. Il nous faudra encore beaucoup de travail avant d'en avoir
une bonne connaissance. Mais le plus important est ce que nous disent
les hargin, à travers leurs témoignages: ils nous disent que la
culture basque est faite de conquêtes et d'audaces. Hors de cette
aventure collective où l'un n'existe que par l'autre, au sein d'une
marche commune et éclairée, il n'y a qu'une mort bien trop
médiocre, et qui est à la fois individuelle et collective. Pour
reprendre la pensée de L.-V. Thomas (1978) : «Ce
que l'on appelle culture n'est rien d'autre qu'un ensemble organisé
de croyances et de rites, afin de mieux lutter contre le pouvoir
dissolvant de la mort individuelle et collective».
Au-delà
des morts, les hargin nous parlent de cette culture basque qui nous
fait vivre.
(1)
Je ne vais pas donner des renseignements concernant l'histoire des
monuments funéraires. Je renvoie le lecteur aux précédents
ouvrages sur Villefranque et Arcangues; en particulier sur ce
dernier. Gilbert Desport
et Michel Duvert.
Villefranque,
Ed.
Ekaina,
1986 et H. Lamant-Duhart
(s. la dir. de) Arcangues.
Ekaina,
1986.
2)
Cf. l'œuvre de J. M. de Barandiaran
et en particulier Stèles
et rites funéraires au Pays Basque nord,
trad.
et éd.par Ekaina,
1984.
(3)
Il n'est pas étonnant de voir que, lorsque l'ordonnance royale du 15
mai 1776 demande de ne plus enterrer dans les églises et de
construire des cimetières hors des sanctuaires, l'évêque de
Bayonne, Mgr Pavée de Villevielle «réorganise» son diocèse en
conséquence. Il se heurte à une forte opposition. A Ciboure par
exemple, les textes rapportent que les gens veulent enterrer dans
l'église et les corps sont conservés plusieurs mois à la maison...
Parfois les femmes enterrent «de force» (sic) dans l'église. Le 19
mars 1786 elles provoquent une émeute. Elles veulent aller mettre à
sac le couvent des Recolets où se trouve l'évêque.
En
1788, celui-ci demande à nouveau «de ne plus enterrer les morts
dans l’église et de faire un cimetière hors de la ville pour la
santé publique». (Cf. M. Lafourcade,
1978 et Ciboure,
Ekaina,
1987). Deux siècles à peine nous séparent de ces mentalités…
(4)
Monogramme: on
appelle ici les trois lettres associées IHS qui est
une abréviation de
Jésus en
grec.
Cette représentation est très ancienne, on la connaissait au haut
Moyen
Age.
Cependant lorsqu'elle est accompagnée de la croix sur la barre
horizontale de la lettre H, on s'accorde à penser qu'elle n'est pas
antérieure au XVIe
siècle. En fait «monogramme» s'applique à toute combinaison de
lettres, régulièrement associées et signifiant un nom, une
formule, etc.
(5)
Les auteurs ont déposé une bibliographie au Musée Basque de
Bayonne.
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