Michel Duvert: Art funéraire à Louhossoa

L’art funéraire à Louhossoa
Michel Duvert
Extrait de Louhossoa, Ekaina, collection Karrikez herriak, 15, 1996, 216 p.

Assis sur les contreforts de l'Ursuya, entouré des massifs de l’Artzamendi et du Baïgura, Louhossoa est un carrefour. A l'articulation de l’Arbéroue et du Pays d'Ossés, il ouvre vers le Labourd. Ces trois pays marquent son art funéraire. Le Labourd n'y est actuellement représenté que de façon accessoire par un petit nombre d'œuvres que la province inspire plus qu'elle ne détermine. En revanche, l’art est ici dominé par l’Arbéroue, au niveau des stèles discoïdales. Puis la tendance semble se renverser au cours du XVIIe siècle, avec l'introduction des croix; le poids des grands ateliers d'Arrossa s'y fait nettement sentir. Cette époque a probablement vu l'éclosion de formes d'art propres au village et on peut certainement parler «d'école de Louhossoa» à propos d'œuvres originales et de grande qualité (Fig. 51 à 59).
Ceci étant, «comme partout» l'entrée du XIXe siècle montre un renouveau vigoureux de notre art funéraire, mais ce n'est qu'un feu de paille. Ici comme ailleurs, l'art funéraire s'effondre vers la fin du siècle; l'arrivée des mornes caveaux mettra un terme à cette profonde et irréversible décadence. Aujourd'hui, un renouveau se fait jour et Louhossoa ne se tient pas à l'écart de ce mouvement.
Enfin, sa croix de cimetière est célèbre. Au début du siècle Louis Colas en fit une mention particulière et en donna la version : «OC(R)U(X)AVE/SPE/SUNI/CA.ECT/INHA/C.TR)IUM/PHI./GLO/RIA/ET.C /LAVS.DE/O+1/672. Sur l'autre face : O.CR/UX.A/VE.SP/ES.UN/ICA+H/OCP/ASSI/ONIS/TEM/PORE/AUGE (8 pour la lettre G)/PIIS.I/USTI/TIAM/ETC. C'est là un texte très ancien contenu dans l'hymne «Vexilla régis predeunt» dont l'auteur serait Saint Venance Fortunat, evêque de Poitiers au Vle siècle. Ce texte est reproduit ou évoqué dans bien des croix de carrefours de nos villages. Le voici : O crux ave spes unica / hoc passionis tempore / Auge piis justitiam / Reisque dona veniam.
Ici, il est largement reproduit sur une face, évoqué sur la seconde où il est suivi de deux autres évocations puis de la date. Par chance, le thème de la croix ne fut pas mutilé par le fanatisme de la Révolution française qui conduisit à la mutilation de bien des monuments du village (les fleurs de lys stylisées en bout de croix furent martelées). Mutiler les oeuvres, transformer le nom du village en «Montagne sur Nive», déporter des villages entiers, l'entreprise révolutionnaire étendait alors son ombre.
1 - LES MONUMENTS FUNÉRAIRES, LE CIMETIÈRE
Nous savons combien l'histoire du village est liée à celle de Mendionde et de Macaye. Le peuplement de Louhossoa s'officialise au XVIIe siècle, les plus vieux monuments funéraires en sont contemporains; ce sont des stèles discoïdales. Par chance, le XVIIe est un âge d'or pour notre art funéraire en Iparralde, et les oeuvres sont ici d'emblée de très grande qualité. Aussi l'ensemble de ces pierres témoigne d'un moment très particulier de notre histoire et de celle du village.
Je rappelle en quelques mots ce que le mot tombe signifie dans la civilisation basque. Chaque maison possède une parcelle de cimetière qui en est comme le prolongement; demeures des morts et des vivants sont unies par hil bidea, le chemin de la maison, celui qu'emprunte en particulier le cortège funèbre, et que l'on doit laisser libre d'accès.
Chaque maison possède également un siège à l'église, ou jarleku; ce dernier est posé sur une sépulture, on a enterré dans nos églises jusqu'aux XVIIIe-XIXe siècles. Là, la maîtresse de maison (etxekandere) ou d'autres femmes, ou sa première voisine, aidées d'andere serora, présidaient aux cultes des morts. Les plus anciens se souviennent de l'offrande de lumière avec les ezko. La nef de l'église était en quelque sorte un village des morts, veillé par les femmes et placé sous l'autorité et la force de la liturgie célébrée sur une vaste scène surélevée (1, 2, 3).
Au cimetière, chaque maison avait en principe, avant l'introduction des caveaux, au moins deux tombes dans son hil harriak, son cimetière. Chaque tombe, hobia, était surmontée d'un monument funéraire. Les plus anciens sont les discoïdales qu'autrefois on appelait : gizona, kurutzeburu beltza, allusion à leur contour «humain» (4). Au XVIIe siècle, les croix font leur introduction et en Labourd, ainsi qu'aux limites nord de la Navarre, on voit des stèles tabulaires, absentes ici.
La surface de la tombe était en principe un simple monticule souvent fleuri et décoré de dessins géométriques faits avec des cailloux, ou renouvelé (toujours par les femmes ou les jeunes filles, voire les enfants) avec des râteaux. Bien des monuments devaient être peints (11). Sous le porche, on enterrait des notables et parfois les curés. Le plus souvent, ces derniers étaient dans la nef ou dans le chœur.
Les tombes les plus vieilles sont rarement personnalisées car ce sont des tombes de maisons. Dans ce vieux pays, on n'est pas citoyen, mais voisin (auzo) et reconnu en tant que tel; de nos jours, ce mot a beaucoup perdu de son sens (5). Le droit de voisinage était une reconnaissance; la maison qui en jouissait avait son siège à l'église et le droit de sépulture (6). C'est ainsi que bien des jarleku devaient être à l'origine réservés aux vieilles maisons, puis attribués peu à peu aux nouveaux venus, souvent d'anciens bordiers qui s'établissent sur des communaux. Inversement, il est possible que des maisons n'ayant pas de tombe sur leurs jarleku, mais qui en ont une au cimetière, sont des maisons ayant acquis tardivement le droit de voisinage. Autre trait qu'il faut souligner, alors que dans bien des pays et notamment en France, les gens du peuple n'ont droit qu'à l'oubli pur et simple, car on se débarrasse de leurs corps dans des fosses communes (7). Au Pays Basque, rien de tel. Alors que dans bien des pays, les femmes sont tenues pour des êtres inférieurs, en France notamment, au Pays Basque rien de tel (6). Vous verrez les Luhosoar enterrés dans les tombes de leurs maisons, vous verrez des tombes d'hommes et de femmes, d'etxekojaun et d'etxekandere.
Examinons un dernier point pour finir, c'est le plus complexe. On ne pourra jamais le résoudre: que représente une discoïdale? Quel type de monde met-elle en scène? Quels signes nous adresse-t-elle? Une chose semble acquise, rien ici ne fait allusion à la mort charnelle, au cadavre, au temps qui s'arrête. Autre chose, l'imagerie chrétienne «conventionnelle» y est particulièrement rare et lorsqu'elle s'y trouve elle est très élaborée, jamais traitée en elle-même. Nous sommes en présence d'un monde basque d'une parfaite originalité (12).
Nous ne savons pas ce que disent les vieilles discoïdales et ce qui sera très largement repris au niveau des croix qui innovent peu. J'ai proposé un système de lecture (8, 9), puis des tentatives d'ouvertures destinées à provoquer le lecteur (voir 10), où j'expose plusieurs hypothèses aussi peu assurées les unes que les autres qui ont eu le bon goût d'agacer quelque censeur...). On verra chemin faisant que certaines œuvres semblent mettre en scène de véritables «programmes», des types d'imageries données, d'autres s'en inspirent, d'autres sont très originales. Au lecteur de faire le voyage; çà et là, il trouvera peut-être une solution qui pourra le satisfaire, au moins un temps. Alors il appréciera à sa juste mesure ce proverbe de D'Oihenart (1657-1664) : «Ibaia duenak igaren, daki osina zen den barrhen», celui qui a passé le gué sait combien la rivière est profonde.

2 - LES TYPES DE TOMBES
La tombe personnelle

La discoïdale 5 est directement inspirée par l'art des stèles tabulaires: en ce qui concerne la face portant le texte ainsi que la tranche du monument. Elle nous apprend que «cette sépulture a été fondée pour Domingo Crutehette» (dérivé probable de Curutchet et transcrit avec plusieurs erreurs ?). Le texte dissocie deux temps: celui de la fondation et celui de l'exécution du monument.
12 : Probable sépulture de Landaberi.
13: Sépulture d'une femme (etxekoandere?), Laureqine Ithuralde. Comme dans le cas précédent il est évident que l'orthographe n'est pas correcte et que la lettre R devrait être redoublée. On retrouvera ce trait ailleurs.
15: Autre sépulture de femme: Hic iacet (ci-git) Gratiane de Ordoqi.
22: Dominix(e) d'Ibar.
25: Ioanna (?) Curucheta.
26: Domingo d(e) Uh(a)lde.
27: (?) de Irhap (?) nerri.
28: Pierres Poarraros.
29 bis : Maria de Bildostegui.

38: Tombe d'un prêtre (curé). Elle date probablement des XVIIe-XVIIIe siècle si l'on en juge par la formule: «Priez pour Monsieur de Sa...?» (7).
39: également une tombe de prêtre mort en 1802.
40: dans cette tombe est Bernard Lataillade défunt maître de la maison Alcarte.
45: Petri d'Abyim (?) mort en juin 1670.
52: Jean de Aguerre.
62: Manis Cabilium.
63: Martin Dibar Choha ttoaenia.
64: Yuanes Larreteguy Nacha (?).
65: Juanes Incaurgarat.
66: Pierre Salaberry.

La tombe des époux
34: Hemen (datza? puis un nom qui pourrait être celui du mari?), Maria Haramboure. Harambouruco Iaun eta anderiaren gorputza (le corps du maître et de la maîtresse de la maison Haramburu).
41: Piarres (IEEOS ?) et Ioanna Uhart.
42: le nom de l'époux est difficile à déchiffrer, sa femme est Margarita Desteste.
50: Catherine de Larriague et Ioannes de Hiribarnegaray.
51: Bernat de Agorreta et Maria Dechegoihen.
56: Ioannes d(e) Baraciart Maria de (…).
58: cette pierre est exceptionnelle. Sur une face on désigne clairement l’etxekandere: Sabadina de Fagalde, Dame de Fagalde (maîtresse de la dite maison), git ici. Son mari lui fit faire ce monument (est-il enterré avec elle?): Sabat de Hiriar, harri hau egin du bere emastearensat (il a fait cette pierre pour sa femme). Est-il tailleur de pierre et auteur de l'oeuvre? La dernière lettre S signifiant Sabat...
59: Ioannes de Alcuart et sa femme Domins Alsuart.

Tombe collective
35: Esteben de Dipharraguire (... et nom de maison ?). Pierre de (nom de maison ?).

72: Sépulture de la famille Fagalde. Ce monument est récent (XIXe/XXe); quelques décennies auparavant, on aurait insisté sur la maison et non sur la famille. Il y a là un repère qui est dévalué et un art totalement insignifiant (comparer avec 58).
74 : Même type de remarque.

Tombe de maison
60 : Tombe (ilerihar(r)ia) de la maison Teilane. Bien entendu, les tombes anonymes, sans inscription, sont a priori des tombes de maisons.

Autres cas
36: tombe de la maison Cilancenea (Cilanceneko hobia) et noms de époux probables: Joannes Haramburu et Maria Camino.
37: Sépulture de la maison Subihandi. Ipharraguerre est sûrement le nom du ou de la défunt(e).
3 - LES STÈLES DISCOÏDALES
Le XVIIe siècle labourdin
Il subsiste très peu d'œuvres labourdines dans le village, et elles sont assez atypiques dans l'ensemble. En effet, à ces époques règne le style dit du Bas-Adour (13) qui influence les œuvres 1,2 et 3. Quant à l'œuvre 5 elle est typique des ateliers de la Nive, les moulures de sa tranche reprennent à l'identique celles des stèles tabulaires; le même thème est repris par les charpentiers dans les galeries (voir les jambes de force) ou le porche de l'église d'Espelette.


1: à gauche, face inspirée du style du Bas-Adour. A droite, le thème IHS (abréviation grecque de Jésus, bien que l'on puisse lire aussi les deux premières lettres et la dernière du nom grec IHOUS (11) ce qui est parfois manifeste). Les trois lettres s'articulent de part et d'autre de l’Axe V, axe de symétrie du monument, et sont construites dans ce contexte. Remarquez le signe introduit pour répondre à la lettre S (qui aurait dû être à droite, le tailleur de pierre a probablement placé un «calque» à l'envers).

2: même allusion au style Bas-Adour sur une face; l'autre montre à l'évidence l'influence des ateliers de la Nive (Jatxou, Larressore…).

5: C'est pur chef-d'oeuvre typiquement labourdin XVIIe. Cette stèle discoïdale imite l'art de la tabulaire en ce qui concerne la face portant l'inscription (analysée par ailleurs). La face opposée est unique, c'est probablement l'ostensoir. Iguzkisaindua rayonne vigoureusement à travers un dessin qui traduit bien ce style labourdin.
Forme incertaine
4: la facture de cette pierre, le chanfrein en particulier et la stricte économie du motif figurant sur l'une de ces faces, me font voir là une œuvre labourdine. En revanche, la richesse du traité de l'autre face, le thème lui-même et la vigueur du dessin des bouts de la croix font nettement pencher en faveur d'une œuvre navarraise.

Les ateliers navarrais
C'est ici qu'éclate tout le génie des maîtres de ce village; leur grande originalité se manifestera au niveau des croix. A part une exception (n°8), ces œuvres se rattachent à une vaste famille d'œuvres comparables (15) que l'on trouve dans les pays d'Ossés, d'Armendaritz, d'Iholdy et de Lantabat, exceptionnellement dans l'ouest de Amikuze et dans Baigorry. L'essentiel de ces oeuvres est daté tout au long du XVIIe siècle et l'on reconnaît des sous-groupes.


Certaines œuvres peuvent être attribuées à un même artiste (répertoire et facture); ainsi la 20 et la 21, d'autres montrent des faces dues à deux maîtres différents, comme la 24. Enfin certaines forment des groupes homogènes donnant l'impression d'avoir été réalisés par des familles de maîtres, on était le plus souvent hargin de père en fils.
Beaucoup de pièces sont manifestement retaillées, le socle est plus épais que la partie supérieure, Fig. 17 dessin du profil.
6: pour ses deux faces c'est une oeuvre bas-navarraise type, reflétant les ateliers d'une zone grossièrement centrée sur Arberoue-Ossés, c'est à dire à l'est du village. Le répertoire est typique.
7: les deux faces doivent être dissociées. A l'articulation disque-socle, la face de droite montre un trait de style (série de «zig-zags») que l'on retrouve sur l'œuvre précédente qui est d'une toute autre conception et d'une main différente. L'autre face en majeure partie perdue (et reconstituée sur ce dessin) montre à l'évidence le poids des grands ateliers de Amikuze et du Pays de Lantabat: le centre du disque se déploie à travers un rayonnement vigoureux, d'une belle géométrie qu'animent segments de lignes droites et courbes.
8: cette pièce unique est, à coup sûr, la plus importante du village, c'est une forme d'un archaïsme puissant. De l'une des faces jaillit une croix placée sur l'axe vertical, axe symétrique du monument. Elle s'épanouit avec classe et légèreté. Sur l'autre face un puissant rayonnement s'empare du disque à partir du point central franchement indiqué ; ce thème est repris sur le socle. Le thème du rayonnement déjà traité en 7 (face en partie perdue) est repris à travers une franche géométrie, sur une face des œuvres qui suivent. Cette puissance rayonnante est une énergie (indarra) qui s'habille de multiples formes; elle est en deçà des images qui la présentent, elle est au-delà de nos lectures particulières. Elle est déploiement, qui sait si elle n'a pas revêtu quelques principes que les Basques signalèrent par le nom de Mari (8,10,12,15) ?
9: se rattache aux groupes suivants, mais seule une face est conservée celle au thème rayonnant. La croix à branches curvilignes du socle a été reprise sur le socle de l'autre face.


10-11 : ces œuvres ont pratiquement les mêmes imageries et en particulier ce souci affiché de bien indiquer le point central du disque (à droite) ainsi que son rayonnement (à gauche). Leurs dimensions sont comparables. L'œuvre 17 pourrait se rattacher à elles.





Les œuvres suivantes, 12 à 17, appartiennent à la même famille et datent des environs de 1660 (voir 12 et 15). C'est du grand art bas-navarrais dont j'ai parlé plus haut, c'est une mode; il est très difficile d'y reconnaître un atelier et d'identifier un maître. Les œuvres sont peu différenciées, on a l'impression d'un programme exécuté. 11 et 16 font preuve d'une certaine originalité sur les faces rayonnantes et 15 prend une relative liberté sur la face «à la croix». La pierre 17 a été retaillée (voir son profil).



L'œuvre 19 est inclassable, mais à coup sûr bas-navarraise. Avec les stèles 18 à 22, nous voici face à un nouveau style qui s'affirme sur les faces «à la croix», elles ont quasiment la même structure (modifiée en 20): les axes secondaires viennent se terminer contre les arcs réunissant les extrémités de la croix; la région centrale est bien indiquée. En revanche, l'autre face est libre, on ne sent donc pas ici le poids d'un programme. Cette face est traitée avec bien des subtilités: 18, prédominance de l'axe vertical (et déformation probablement voulue du «sceau de Salomon»), région centrale; 20, rayonnement; 22, à nouveau force est de regarder vers Amikuze et le Pays de Lantabat où de tels chef-d'œuvres n'étaient pas rares. Ici nous avons la conjonction: cercle, carré et rayonnement. La géométrie est (trop) stricte, rigoureuse; le chiffre articule ce monde puissant (3 et 4 ainsi que leurs multiples).












De 22 à 30, nous sommes face à un nouveau courant de création où les oeuvres 28 et 30 sont quelque peu marginales. C'est là un art typiquement bas-navarrais; largement centré sur l’Arbéroue; il se déploie vers Suhescun et les limites avec Amikuze; c'est une mode du XVIIe siècle. Elle se caractérise par deux variantes d'un thème qui est toujours rudement inscrit dans un carré et exprime les axes V et H : Fig. 23,25, dans ce carré subdivisé, figure une inscription; Fig. 24, 26, 27, 29: dans le carré est indiqué une représentation trinitaire, probablement le calvaire. Dans l'une des variantes (Fig. 28 à gauche, 29 bis et 30) le chiffre 4 (le carré) est amplifié par quatre représentations (une par carré). La face opposée aux carrés peut-être libre et traitée dans un style personnel; les deux faces ne sont pas liées obligatoirement (il est même possible que les deux faces de l'oeuvre 24 ne soient pas de la même main). C'est ainsi que les faces opposées des 25 et 26 évoquent deux pays différents: la première l’Arbéroue, la seconde, Garazi. L'oeuvre 28 est très marginale dans cet ensemble; cette remarquable pièce mutilée, combine sur sa face de droite rayonnement et chiffre 4 tout en montrant l'axe V.

31 est un monument étrange, la face de droite en fait une œuvre exceptionnelle, fascinante. C'est un mélange de fantaisie labourdine et de ses «effets», avec la tranquille robustesse des bas-navarrais (face de gauche à comparer avec l'ensemble où est inclue la fig. 14).


Les deux dernières œuvres, 32 et 33 sont inclassables mais bas-navarraises. La première est une œuvre mineure, le travail est laborieux, le style appliqué, mais sans plus (face de droite). En revanche, la seconde est superbe, on y a probablement effacé une ancienne inscription (pour la réutiliser ?); son style n'est pas sans évoquer des œuvres de Garazi.

4 - LES PLATE-TOMBES
Peu d'entre elles sont en bon état, les plus anciennes sont très endommagées.


34: modèle labourdin classique, il en subsiste un grand nombre dans la vallée de la Nive (Larressore, Cambo...). C'est probablement une oeuvre de l'entrée du XVIIIe siècle ; l'œuvre 35 doit lui être contemporaine (légèrement postérieure ?).

Les œuvres 36 et 37 sont du début du XIXe siècle. A cette époque, l'art domestique basque (linteaux, haustegi, fond de cheminée, art funéraire) connaît un renouveau spectaculaire, un regain de santé. Comme en 35, on voit une allusion à l'autel (croix et chandeliers); c'est un art peu abstrait (comparer avec les discoïdales), il «fait référence à» et renvoie généralement à une imagerie d'église.

38 et 39 sont à la charnière XVIIIe-XIXe, l'épigraphie semble dominer. A la fin du siècle, l'art s'effondre: la 40 est d'une incroyable pauvreté (comparer avec 37 exécutée moins de 20 ans plus tôt), le monument est un simple support pour inscription; il ne dit rien, il signale.

5 - LES CROIX
Le village contient un remarquable répertoire de croix avec des types qui lui semblent propres, bien que les ateliers de Bidarray et d'Arrossa fassent sentir leur présence. On a l'impression qu'à l'époque des discoïdales Louhossoa regardait le nord du pays, l'inspiration des croix semble venir du sud, par la vallée de la Nive.



Commençons d'abord par un modèle peu différencié, que l'on rencontre «un peu partout» chez les Bas-Navarrais : Fig. 41, 42 et peut-être 43, 44, sur l'une des faces au moins se déploie une inscription canalisée par des lignes bien montrées. La face droite de 41 vient d'Arbéroue.



48,49, 50 sont des œuvres marquées par l'Arbéroue, Iholdy... elles ont dû être exécutées dans ces pays, elles sont typiques.







Les œuvres 45, 46, 51 à 57 forment un ensemble cohérent d'œuvres splendides et uniques. On peut discerner des ateliers et voir probablement la main de maîtres particuliers; ainsi c'est probablement le même homme qui a fait les œuvres 51, 52 et 58, on le retrouve à Urcuray. C'est dans cette mouvance que s'inscrit la splendide croix du cimetière.
45: tombe de tisserand; la navette décorée, figure sur le socle de la croix, à droite. Hargina a laissé son nom sur le haut du socle, face de gauche?
51, 52 ont un répertoire comparable. Le beau thème rayonnant du socle est manifestement d'inspiration de Bidarray ou labourdine; les croix de cette province l'exhibent volontiers, en plein centre. Notez que ces œuvres indiquent une même année, la 58 indique 1675. Comme tant d'autres fois, nous sommes ici face à une énigme: quand nous localisons un maître (et que nous pouvons accessoirement dater ses productions), on se rend compte qu'il ne nous parvient qu'une pincée dérisoire de ses œuvres. Que représente l'exécution de ces monuments funéraires? Quelle valeur accordait-on à leur réalisation? N'oublions pas que les hargin repérés à ce jour sont tous agriculteurs; la taille de la pierre est un appoint pour eux.
La face de droite de 56 rappelle, par son style, l'art labourdin. Le 57 est rude, on sent que le maître y a mis tout son cœur, à défaut d'étaler quelque habileté. Cette rude franchise en fait une œuvre rare.

La 59 est un chef-d'œuvre, la «cordelette» de la face de gauche suggère Arrossa.
Avant de quitter ces grandes écoles, une dernière remarque. Les deux faces de ces croix reprennent, l'une le rayonnement, l'autre le thème de la croix. On avait déjà vu ce vieux monde sur les œuvres 8, 10, etc. Le XVIIe siècle vit tourné sur un monde ancien, et ici plus qu'ailleurs. L'arrivée des croix n'a pas renouvelé les vieux répertoires, une lente décadence s'amorcera après un XVIIIe siècle figé.



L'entrée du XIXe siècle marque ici aussi un sursaut (60 à 62) mais ces modèles se retrouvent un peu partout en Basse-Navarre. On a l'impression que l'art de pays et de village que nous avons connu, s'effondre. Il se passe quelque chose dans cette société basque (si tant est que ces signes se rapportent à une situation précise, car à ces époques les campagnes sont très peuplées et probablement peu stabilisées. L'église elle-même prépare un renouvellement de ses imageries et de ses fastes; un clergé abondant et souvent peu formé dirige les consciences).





Avec les œuvres suivantes un art bas-navarrais banal pénètre dans le village et s'engouffre dans tout le pays. Seule la Soule résistera. Ces productions types se voient en 63, 64 à 67.
En 68, les formes se compliquent à l'excès; c'est un monde insipide qui n'a rien à dire. On comparera avec les croix 45 et suivantes; celles-ci sont des œuvres alors que les croix que nous venons de voir sont des produits. Le sursaut observé en 69 s'inscrit lui aussi dans cette dérive: la croix est une surface purement décorative.




Les derniers temps (70 à 77) précipitent la déchéance. Ces pauvres œuvres sont contemporaines des caveaux impersonnels qui dérivent vers une production industrielle laide car banale, sans inspiration. L'art basque meurt et nous avec lui; la vulgarité nous assaille. Nous y sommes.
Une vigoureuse renaissance semble s'esquisser de nos jours, le village n'est pas resté à l'écart. Et si l'art basque refleurissait chez lui?

CONCLUSION
Louhossoa a le rare privilège de conserver des œuvres en nombre important qui ont accompagné son histoire et qui s'inscrivent dans l'histoire de l'art funéraire en Iparralde. L'art funéraire y est de grande qualité et, nous l'avons vu, on peut soupçonner l'existence d'ateliers propres au village, à partir de la seconde moitié du XVIe siècle. On a l'impression qu'à la fin de ce siècle les tombes des maisons étaient pourvues de monuments en pierre; le XVIIIe semble n'avoir rien produit pour ainsi dire si ce n'est quelques modèles stéréotypés (41 et 55, 42, 43, 44), des œuvres mineures.
Le grand art de la discoïdale est très bien représenté, il est surtout bas-navarrais avec des œuvres typiques de 40 à 50 cm de diamètre et dont le col (intersection disque-socle) est environ égale au rayon. Ce sont là des caractères bien connus (8, 15).
Souhaitons que les futurs Luhosoar sachent préserver une telle mémoire, dans ce beau cadre, et qu'ils se montrent attentifs à l'art basque.

BIBLIOGRAPHIE
(1) Duvert, M., 1990, Données ethnographiques sur le vécu traditionnel de la mort en Pays Basque-nord. Munibe, 42,479-488.
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(5) Toulgouat, P. 1981, Voisinage et solidarité dans l'Europe du Moyen Age, Maisonneuve et Larose Ed. 332 p.
(6) Lafourcade, M., 1990, Mariages en Labourd sous l'Ancien Régime. Euskal Herriko Univertsitatea ,688 p.
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(8) Duvert, M. 1976, Contribution à l'étude de la stèle discoïdale basque. Bulletin du Musée Basque, n° 71-72.
(9) Duvert, M. 1983, Remarques sur la structure de l'art plastique basque, Iker n° 2, 751-767.
(10) Duvert, M. 1986, L'art funéraire basque à Arcangues, In Arcangues, Ekaina Ed. 101-167.
(11) Duvert, M., 1990, Les monuments funéraires peints en Euskadi nord, étude ethnographique, In Signalisation de sépultures et stèles discoïdales, Actes des journées de Carcassonne, CAML Carcassonne, 207-212.
(12) Duvert, M., Actes du Congrès de Saint Sébastien, sous presse.
(13) Duvert, M., 1981. Contribution à l'étude de l'art funéraire labourdin, Kobie (Bilbao), n° 11, 389-447.
(14) Voir le Christ de Llagone en Catalogne, information communiquée par P. M. Etxehandy.
(15) Duvert, M. 1985, Contribution à l'étude des stèles discoïdales basques dans la Navarre d'Ultrapuertos, Cuadernos de etnologia y de etnografia de Navarra, 46, 145-200.

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