Michel Duvert: Art funéraire à Louhossoa
L’art
funéraire à Louhossoa
Michel
Duvert
Extrait
de Louhossoa,
Ekaina, collection Karrikez herriak, 15, 1996, 216 p.
Assis
sur les contreforts de l'Ursuya, entouré des massifs de l’Artzamendi
et du Baïgura, Louhossoa est un carrefour. A l'articulation de
l’Arbéroue et du Pays d'Ossés, il ouvre vers le Labourd. Ces
trois pays marquent son art funéraire. Le Labourd n'y est
actuellement représenté que de façon accessoire par un petit
nombre d'œuvres
que la province inspire plus qu'elle ne détermine. En revanche,
l’art est ici dominé par l’Arbéroue, au niveau des stèles
discoïdales.
Puis
la tendance semble se renverser au cours du XVIIe
siècle, avec l'introduction des croix; le poids des grands ateliers
d'Arrossa s'y fait nettement sentir. Cette époque a probablement vu
l'éclosion de formes d'art propres au village et on peut
certainement parler «d'école
de Louhossoa» à
propos d'œuvres
originales et de grande qualité (Fig. 51 à 59).
Ceci
étant, «comme partout» l'entrée du XIXe
siècle montre un renouveau vigoureux de notre art funéraire, mais
ce n'est qu'un feu de paille. Ici comme ailleurs, l'art funéraire
s'effondre vers la fin du siècle; l'arrivée des mornes caveaux
mettra un terme à cette profonde et irréversible décadence.
Aujourd'hui, un renouveau se fait jour et Louhossoa ne se tient pas à
l'écart de ce mouvement.
Enfin,
sa
croix de cimetière est célèbre. Au début du siècle Louis Colas
en fit une mention particulière et en donna la version :
«OC(R)U(X)AVE/SPE/SUNI/CA.ECT/INHA/C.TR)IUM/PHI./GLO/RIA/ET.C
/LAVS.DE/O+1/672. Sur
l'autre face :
O.CR/UX.A/VE.SP/ES.UN/ICA+H/OCP/ASSI/ONIS/TEM/PORE/AUGE (8 pour la
lettre G)/PIIS.I/USTI/TIAM/ETC. C'est là un texte très ancien
contenu dans l'hymne «Vexilla
régis predeunt» dont
l'auteur serait Saint Venance Fortunat, evêque de Poitiers au Vle
siècle. Ce texte est reproduit ou évoqué dans bien des croix de
carrefours de nos villages. Le voici :
O crux
ave spes unica / hoc passionis tempore / Auge piis justitiam /
Reisque dona
veniam.
Ici,
il est largement reproduit sur une face, évoqué sur la seconde où
il est suivi de deux autres évocations puis de la date. Par chance,
le thème de la croix ne fut pas mutilé par le fanatisme de la
Révolution française qui conduisit à la mutilation de bien des
monuments du village (les fleurs de lys stylisées en bout de croix
furent martelées). Mutiler les oeuvres, transformer le nom du
village en «Montagne sur Nive», déporter des villages entiers,
l'entreprise révolutionnaire étendait alors son ombre.
1
- LES MONUMENTS FUNÉRAIRES, LE CIMETIÈRE
Nous
savons combien l'histoire du village est liée à celle de Mendionde
et de Macaye. Le peuplement de Louhossoa s'officialise au XVIIe
siècle, les plus vieux monuments funéraires en sont contemporains;
ce sont des stèles discoïdales.
Par
chance, le XVIIe
est un âge d'or pour notre art funéraire en Iparralde, et les
oeuvres sont ici d'emblée de très grande qualité. Aussi l'ensemble
de ces pierres témoigne d'un moment très particulier de notre
histoire et de celle du village.
Je
rappelle en quelques mots ce que le mot tombe signifie dans la
civilisation basque. Chaque maison possède une parcelle de cimetière
qui en est comme le prolongement; demeures des morts et des vivants
sont unies par hil bidea, le chemin de la maison, celui qu'emprunte
en particulier le cortège funèbre, et que l'on doit laisser libre
d'accès.
Chaque
maison possède également un siège à l'église, ou jarleku;
ce dernier est posé sur une sépulture, on a enterré dans nos
églises jusqu'aux XVIIIe-XIXe
siècles. Là, la maîtresse de maison (etxekandere) ou d'autres
femmes, ou sa première voisine, aidées d'andere
serora, présidaient aux cultes des morts. Les plus anciens se
souviennent de l'offrande de lumière avec les ezko. La nef de
l'église était en quelque sorte un village des morts, veillé par
les femmes et placé sous l'autorité et la force de la liturgie
célébrée sur une vaste scène surélevée (1, 2, 3).
Au
cimetière, chaque maison avait en principe, avant l'introduction des
caveaux, au moins deux
tombes dans son hil harriak, son cimetière. Chaque tombe, hobia,
était surmontée d'un monument funéraire. Les plus anciens sont les
discoïdales
qu'autrefois
on appelait : gizona, kurutzeburu beltza, allusion à leur contour
«humain» (4). Au XVIIe
siècle, les croix font leur introduction et en Labourd, ainsi qu'aux
limites nord de la Navarre, on voit des stèles tabulaires, absentes
ici.
La
surface de la tombe était en principe un simple monticule souvent
fleuri et décoré de dessins géométriques faits avec des cailloux,
ou renouvelé (toujours par les femmes ou les jeunes filles, voire
les enfants) avec des râteaux. Bien des monuments devaient être
peints (11). Sous le porche, on enterrait des notables et parfois les
curés. Le plus souvent, ces derniers étaient dans la nef ou dans le
chœur.
Les
tombes les plus vieilles sont rarement personnalisées car ce sont
des tombes de maisons. Dans ce vieux pays, on n'est pas citoyen, mais
voisin (auzo) et reconnu en tant que tel; de nos jours, ce mot a
beaucoup perdu de son sens (5). Le droit de voisinage était une
reconnaissance; la maison qui en jouissait avait son siège à
l'église et le droit de sépulture (6). C'est ainsi que bien des
jarleku devaient être à l'origine réservés aux vieilles maisons,
puis attribués peu à peu aux nouveaux venus, souvent d'anciens
bordiers qui s'établissent sur des communaux. Inversement, il est
possible que des maisons n'ayant pas de tombe sur leurs jarleku, mais
qui
en ont une
au cimetière, sont des maisons ayant acquis tardivement le droit de
voisinage. Autre trait qu'il faut souligner, alors que dans bien des
pays et notamment en France, les gens du peuple n'ont droit qu'à
l'oubli pur et simple, car on se débarrasse de leurs corps dans des
fosses communes (7). Au
Pays Basque, rien de tel. Alors que dans bien des pays, les femmes
sont tenues pour des êtres inférieurs, en France notamment, au Pays
Basque rien de tel (6). Vous verrez les Luhosoar enterrés dans les
tombes de leurs maisons, vous verrez des tombes d'hommes et de
femmes, d'etxekojaun et d'etxekandere.
Examinons
un dernier point pour finir, c'est le plus complexe. On
ne pourra jamais le résoudre: que représente une discoïdale? Quel
type de monde met-elle en scène? Quels signes nous adresse-t-elle?
Une chose semble acquise, rien ici ne fait allusion à la mort
charnelle, au cadavre, au temps qui s'arrête. Autre chose,
l'imagerie chrétienne «conventionnelle» y est particulièrement
rare et lorsqu'elle s'y trouve elle est très élaborée, jamais
traitée en elle-même. Nous sommes en présence d'un monde basque
d'une parfaite originalité (12).
Nous
ne savons pas ce
que disent les vieilles discoïdales
et
ce
qui
sera très largement repris au niveau des croix qui innovent peu.
J'ai proposé un système de lecture (8, 9), puis des tentatives
d'ouvertures destinées à provoquer le lecteur (voir
10), où j'expose plusieurs hypothèses aussi peu assurées les unes
que les autres qui ont eu le bon goût d'agacer quelque censeur...).
On verra chemin faisant que certaines œuvres
semblent mettre en scène de véritables «programmes», des types
d'imageries données, d'autres s'en inspirent, d'autres sont très
originales. Au lecteur de faire le voyage; çà et là, il trouvera
peut-être une solution qui pourra le satisfaire, au moins un temps.
Alors il appréciera à sa juste mesure ce proverbe de D'Oihenart
(1657-1664) : «Ibaia
duenak igaren, daki osina zen den
barrhen»,
celui
qui a passé le gué sait combien la rivière est profonde.
2
-
LES TYPES DE TOMBES
La
discoïdale 5 est directement inspirée par l'art des stèles
tabulaires: en ce qui concerne la face portant le texte ainsi que la
tranche du monument. Elle nous apprend que «cette sépulture a été
fondée pour Domingo Crutehette» (dérivé probable de Curutchet et
transcrit avec plusieurs erreurs ?). Le texte dissocie deux temps:
celui de la fondation et celui de l'exécution du monument.
12
: Probable sépulture
de Landaberi.
13:
Sépulture d'une femme (etxekoandere?), Laureqine Ithuralde. Comme
dans le cas précédent il est évident que l'orthographe n'est pas
correcte et que la lettre R devrait être redoublée. On retrouvera
ce trait ailleurs.
15:
Autre sépulture de femme: Hic iacet (ci-git) Gratiane de Ordoqi.
22:
Dominix(e) d'Ibar.
25:
Ioanna (?) Curucheta.
26:
Domingo d(e) Uh(a)lde.
27:
(?) de Irhap (?) nerri.
28:
Pierres Poarraros.
38:
Tombe d'un prêtre (curé). Elle date probablement des XVIIe-XVIIIe
siècle si l'on en juge par la formule: «Priez
pour Monsieur de Sa...?»
(7).
39:
également
une tombe de prêtre mort en 1802.
40:
dans
cette tombe est Bernard Lataillade défunt maître de la maison
Alcarte.
45:
Petri d'Abyim (?) mort en juin 1670.
52:
Jean de Aguerre.
62:
Manis Cabilium.
63:
Martin Dibar Choha ttoaenia.
64:
Yuanes Larreteguy Nacha (?).
65:
Juanes Incaurgarat.
66:
Pierre Salaberry.
La
tombe des époux
34:
Hemen (datza? puis un nom qui pourrait être celui du mari?), Maria
Haramboure. Harambouruco Iaun eta anderiaren gorputza (le corps du
maître et de la maîtresse de la maison Haramburu).
41:
Piarres (IEEOS ?) et Ioanna Uhart.
42:
le
nom de l'époux est difficile à déchiffrer, sa femme est Margarita
Desteste.
50:
Catherine de Larriague et Ioannes de Hiribarnegaray.
51:
Bernat de Agorreta et Maria Dechegoihen.
56:
Ioannes d(e) Baraciart Maria de (…).
58:
cette
pierre est exceptionnelle. Sur une face on désigne clairement
l’etxekandere: Sabadina de Fagalde, Dame de Fagalde (maîtresse de
la dite maison), git ici. Son mari lui fit faire ce monument (est-il
enterré avec elle?): Sabat
de Hiriar, harri hau egin du bere emastearensat (il
a fait cette pierre pour sa femme). Est-il tailleur de pierre et
auteur de l'oeuvre? La dernière lettre S signifiant Sabat...
59:
Ioannes de Alcuart et sa femme Domins Alsuart.
Tombe
collective
72:
Sépulture de la famille Fagalde. Ce monument est récent (XIXe/XXe);
quelques décennies auparavant, on aurait insisté sur la maison et
non
sur la famille. Il y a là un repère qui est dévalué et un art
totalement insignifiant (comparer avec 58).
74
: Même type de remarque.
Tombe
de maison
60
: Tombe (ilerihar(r)ia) de la maison Teilane. Bien entendu, les
tombes anonymes, sans inscription, sont a priori des tombes de
maisons.
Autres
cas
36:
tombe
de la maison Cilancenea (Cilanceneko hobia) et noms de époux
probables: Joannes Haramburu et Maria Camino.
3
- LES STÈLES DISCOÏDALES
Le
XVIIe
siècle labourdin
Il
subsiste très peu d'œuvres
labourdines dans le village, et elles sont assez atypiques dans
l'ensemble. En effet, à ces époques règne le style dit du
Bas-Adour
(13) qui influence les œuvres
1,2 et 3. Quant à l'œuvre
5 elle est typique des ateliers de la Nive, les moulures de sa
tranche reprennent à l'identique celles des stèles tabulaires; le
même thème est repris par les charpentiers dans les galeries (voir
les jambes de force) ou le porche de l'église d'Espelette.
1:
à
gauche, face inspirée du style du Bas-Adour.
A droite, le thème IHS (abréviation grecque
de
Jésus, bien que l'on puisse lire aussi les deux premières lettres
et la dernière du nom grec IH∑OUS
(11) ce qui est parfois manifeste). Les trois lettres s'articulent de
part et d'autre de l’Axe V, axe de symétrie du monument, et sont
construites dans ce contexte. Remarquez le signe introduit pour
répondre à la lettre S (qui aurait dû être à droite, le tailleur
de pierre a probablement placé un «calque» à l'envers).
2:
même
allusion au style Bas-Adour
sur une face; l'autre montre à l'évidence l'influence des ateliers
de la Nive (Jatxou, Larressore…).
5:
C'est pur chef-d'oeuvre typiquement labourdin XVIIe. Cette stèle
discoïdale imite l'art de la tabulaire en ce qui concerne la face
portant l'inscription (analysée par ailleurs). La face opposée est
unique, c'est probablement l'ostensoir. Iguzkisaindua rayonne
vigoureusement à travers un dessin qui traduit bien ce style
labourdin.
Forme
incertaine
4:
la
facture de cette pierre, le chanfrein en particulier et la stricte
économie du motif figurant sur l'une de ces faces, me font voir là
une œuvre
labourdine.
En revanche, la richesse du traité de l'autre face, le thème
lui-même et la vigueur du dessin des bouts de la croix font
nettement pencher en faveur d'une œuvre
navarraise.
Les
ateliers navarrais
C'est
ici qu'éclate tout le génie des maîtres de ce village; leur grande
originalité se manifestera au niveau des croix. A part une exception
(n°8), ces œuvres se rattachent à une vaste famille d'œuvres
comparables (15) que l'on trouve dans les pays d'Ossés,
d'Armendaritz, d'Iholdy et de Lantabat, exceptionnellement dans
l'ouest de Amikuze et dans Baigorry. L'essentiel de ces oeuvres est
daté tout au long du XVIIe
siècle et l'on reconnaît des sous-groupes.
Certaines
œuvres
peuvent être attribuées à un même artiste (répertoire et
facture); ainsi la 20 et la 21, d'autres montrent des faces dues à
deux maîtres différents, comme la 24. Enfin certaines forment des
groupes homogènes donnant l'impression d'avoir été réalisés par
des familles de maîtres, on était le plus souvent hargin de père
en fils.
Beaucoup
de pièces sont manifestement retaillées, le socle est plus épais
que la partie supérieure, Fig. 17 dessin du profil.
6:
pour
ses deux faces c'est une oeuvre bas-navarraise type, reflétant les
ateliers d'une zone grossièrement centrée sur Arberoue-Ossés,
c'est à dire à l'est du village. Le répertoire est typique.
7:
les
deux faces doivent être dissociées. A l'articulation disque-socle,
la face de droite montre un trait de style (série de «zig-zags»)
que l'on retrouve sur l'œuvre
précédente qui est d'une toute autre conception et d'une main
différente. L'autre face en majeure partie perdue (et reconstituée
sur ce dessin) montre à l'évidence le poids des grands ateliers de
Amikuze et du Pays de Lantabat: le centre du disque se déploie à
travers un rayonnement vigoureux, d'une belle géométrie qu'animent
segments de lignes droites et courbes.
8:
cette
pièce unique est, à coup sûr, la plus importante du village, c'est
une forme d'un archaïsme puissant. De l'une des faces jaillit une
croix placée sur l'axe vertical, axe symétrique du monument. Elle
s'épanouit avec classe et légèreté. Sur l'autre face un puissant
rayonnement s'empare du disque à partir du point central franchement
indiqué ; ce thème est repris sur le socle. Le thème du
rayonnement déjà traité en 7 (face en partie perdue) est repris à
travers une franche géométrie, sur une face des
œuvres
qui suivent. Cette puissance rayonnante est une énergie (indarra)
qui s'habille de multiples formes; elle est en deçà des images qui
la présentent, elle est au-delà de nos lectures particulières.
Elle est déploiement, qui sait si elle n'a pas revêtu quelques
principes que les Basques signalèrent par le nom de Mari
(8,10,12,15) ?
9:
se
rattache aux groupes suivants, mais seule une face est conservée
celle
au thème rayonnant. La croix à branches curvilignes du socle a été
reprise sur le socle de l'autre face.
10-11 :
ces œuvres
ont pratiquement les mêmes imageries et en particulier ce souci
affiché de bien indiquer le point central du disque (à droite)
ainsi que son rayonnement (à gauche). Leurs dimensions sont
comparables. L'œuvre
17 pourrait se rattacher à elles.
Les œuvres suivantes, 12 à 17, appartiennent à la même famille et datent des environs de 1660 (voir 12 et 15). C'est du grand art bas-navarrais dont j'ai parlé plus haut, c'est une mode; il est très difficile d'y reconnaître un atelier et d'identifier un maître. Les œuvres sont peu différenciées, on a l'impression d'un programme exécuté. 11 et 16 font preuve d'une certaine originalité sur les faces rayonnantes et 15 prend une relative liberté sur la face «à la croix». La pierre 17 a été retaillée (voir son profil).
Les œuvres suivantes, 12 à 17, appartiennent à la même famille et datent des environs de 1660 (voir 12 et 15). C'est du grand art bas-navarrais dont j'ai parlé plus haut, c'est une mode; il est très difficile d'y reconnaître un atelier et d'identifier un maître. Les œuvres sont peu différenciées, on a l'impression d'un programme exécuté. 11 et 16 font preuve d'une certaine originalité sur les faces rayonnantes et 15 prend une relative liberté sur la face «à la croix». La pierre 17 a été retaillée (voir son profil).
L'œuvre
19 est inclassable, mais à coup sûr bas-navarraise. Avec les stèles
18 à 22, nous voici face à un nouveau style qui s'affirme sur les
faces «à la croix», elles ont quasiment la même structure
(modifiée en 20): les axes secondaires viennent se terminer contre
les arcs réunissant les extrémités de la croix; la région
centrale est bien indiquée. En revanche, l'autre face est libre, on
ne sent donc pas ici le poids d'un programme. Cette face est traitée
avec bien des subtilités: 18, prédominance
de l'axe vertical (et déformation probablement voulue du «sceau de
Salomon»), région centrale; 20, rayonnement; 22, à nouveau force
est de regarder vers Amikuze et le Pays de Lantabat où de tels
chef-d'œuvres
n'étaient pas rares. Ici nous avons la conjonction: cercle, carré
et rayonnement. La géométrie est (trop) stricte, rigoureuse; le
chiffre articule ce monde puissant (3 et 4 ainsi que leurs
multiples).
De
22 à 30, nous sommes face à un nouveau courant de création où les
oeuvres 28 et 30 sont quelque peu marginales. C'est là un art
typiquement bas-navarrais; largement centré sur l’Arbéroue; il se
déploie vers Suhescun et les limites avec Amikuze; c'est une mode du
XVIIe
siècle. Elle se caractérise par deux variantes d'un thème qui est
toujours rudement inscrit dans un carré et exprime les axes V et H :
Fig. 23,25, dans ce carré subdivisé, figure une inscription; Fig.
24, 26, 27, 29: dans le carré est indiqué une représentation
trinitaire, probablement le calvaire. Dans l'une des variantes (Fig.
28 à gauche, 29 bis et 30) le chiffre 4 (le carré) est amplifié
par quatre
représentations (une par carré). La face opposée aux carrés
peut-être libre et traitée dans un style personnel; les deux faces
ne sont pas liées obligatoirement (il est même possible que les
deux faces de l'oeuvre 24 ne soient pas de la même main). C'est
ainsi que les faces opposées des 25 et 26 évoquent deux pays
différents: la première l’Arbéroue, la seconde, Garazi. L'oeuvre
28 est très marginale dans cet ensemble; cette remarquable pièce
mutilée, combine sur sa face de droite rayonnement et chiffre 4 tout
en montrant l'axe V.
31
est un monument étrange, la face de droite en fait une œuvre
exceptionnelle, fascinante. C'est un mélange de fantaisie labourdine
et de ses «effets», avec la tranquille robustesse des bas-navarrais
(face de gauche à comparer avec l'ensemble où est inclue
la fig. 14).
Les
deux dernières œuvres,
32 et 33 sont inclassables mais bas-navarraises. La première est une
œuvre
mineure, le travail est laborieux, le style appliqué, mais sans plus
(face de droite). En revanche, la seconde est superbe, on y a
probablement effacé une ancienne inscription (pour la réutiliser
?); son style n'est pas sans évoquer des œuvres
de Garazi.
4
- LES PLATE-TOMBES
34:
modèle
labourdin classique, il en subsiste un grand nombre dans la vallée
de la Nive (Larressore, Cambo...).
C'est
probablement une oeuvre de l'entrée du XVIIIe
siècle ; l'œuvre
35 doit lui être contemporaine (légèrement postérieure ?).
Les
œuvres
36 et 37 sont du début du XIXe
siècle. A cette époque, l'art domestique basque (linteaux,
haustegi, fond de cheminée, art funéraire) connaît un renouveau
spectaculaire, un regain de santé. Comme en 35, on voit une allusion
à l'autel (croix et chandeliers); c'est un art peu abstrait
(comparer avec les discoïdales),
il
«fait référence à» et renvoie généralement à une imagerie
d'église.
38
et 39 sont à la charnière XVIIIe-XIXe,
l'épigraphie semble dominer. A la fin du siècle, l'art s'effondre:
la 40 est d'une incroyable pauvreté (comparer avec 37 exécutée
moins de 20 ans plus tôt), le monument est un simple support pour
inscription; il ne dit rien, il signale.
5
- LES CROIX
Le
village contient un remarquable répertoire de croix avec des types
qui lui semblent propres, bien que les ateliers de Bidarray et
d'Arrossa fassent sentir leur présence. On a l'impression qu'à
l'époque des discoïdales
Louhossoa
regardait le nord du pays, l'inspiration des croix semble venir du
sud, par la vallée de la Nive.
Commençons
d'abord par un modèle peu différencié, que l'on rencontre «un peu
partout» chez les Bas-Navarrais
: Fig. 41, 42 et peut-être 43, 44, sur l'une des faces au moins se
déploie une inscription canalisée par des lignes bien montrées. La
face droite de 41 vient d'Arbéroue.
48,49,
50 sont des œuvres
marquées par l'Arbéroue, Iholdy... elles ont dû être exécutées
dans ces pays, elles sont typiques.
Les
œuvres
45, 46, 51 à 57 forment un ensemble cohérent d'œuvres
splendides
et uniques. On peut discerner des ateliers et voir probablement la
main de maîtres particuliers; ainsi c'est probablement le même
homme qui a fait les œuvres
51, 52 et 58, on le retrouve à Urcuray. C'est dans cette mouvance
que s'inscrit la splendide croix du cimetière.
45:
tombe
de tisserand; la navette décorée, figure sur le socle de la croix,
à droite. Hargina a laissé son nom sur le haut du socle, face de
gauche?
51,
52 ont un répertoire comparable. Le beau thème rayonnant du socle
est manifestement d'inspiration de Bidarray ou labourdine; les croix
de cette province l'exhibent volontiers, en plein centre. Notez que
ces œuvres
indiquent une même année, la 58 indique 1675. Comme tant d'autres
fois, nous sommes ici face à une énigme: quand nous localisons un
maître (et que nous pouvons accessoirement dater ses productions),
on se rend compte qu'il ne nous parvient qu'une pincée dérisoire de
ses œuvres.
Que représente l'exécution de ces monuments funéraires? Quelle
valeur accordait-on à leur réalisation? N'oublions pas que les
hargin repérés à ce jour sont tous agriculteurs; la taille de la
pierre est un appoint pour eux.
La
face de droite de 56 rappelle, par son style, l'art labourdin. Le 57
est rude, on sent que le maître y a mis tout son cœur,
à défaut d'étaler quelque habileté. Cette rude franchise en fait
une œuvre
rare.
La
59 est un chef-d'œuvre,
la «cordelette» de la face de gauche suggère Arrossa.
Avant
de quitter ces grandes écoles, une dernière remarque. Les deux
faces de ces croix reprennent, l'une le rayonnement, l'autre le thème
de la croix. On avait déjà vu ce vieux monde sur les œuvres
8, 10, etc. Le XVIIe
siècle vit tourné sur un monde ancien, et ici plus qu'ailleurs.
L'arrivée des croix n'a pas renouvelé les vieux répertoires, une
lente décadence s'amorcera après un XVIIIe
siècle figé.
L'entrée
du XIXe
siècle marque ici aussi un sursaut (60 à 62) mais ces modèles se
retrouvent un peu partout en Basse-Navarre. On a l'impression que
l'art de pays et de village que nous avons connu, s'effondre. Il se
passe quelque chose dans cette société basque (si tant est que ces
signes se rapportent à une situation précise, car à ces époques
les campagnes sont très peuplées et probablement peu stabilisées.
L'église elle-même prépare un renouvellement de ses imageries et
de ses fastes; un clergé abondant et souvent peu formé dirige les
consciences).
Avec
les œuvres
suivantes un art bas-navarrais banal pénètre dans le village et
s'engouffre dans tout le pays. Seule la Soule
résistera. Ces productions types se voient en 63, 64 à 67.
En 68, les formes se compliquent à l'excès; c'est un monde insipide qui n'a rien à dire. On comparera avec les croix 45 et suivantes; celles-ci sont des œuvres alors que les croix que nous venons de voir sont des produits. Le sursaut observé en 69 s'inscrit lui aussi dans cette dérive: la croix est une surface purement décorative.
En 68, les formes se compliquent à l'excès; c'est un monde insipide qui n'a rien à dire. On comparera avec les croix 45 et suivantes; celles-ci sont des œuvres alors que les croix que nous venons de voir sont des produits. Le sursaut observé en 69 s'inscrit lui aussi dans cette dérive: la croix est une surface purement décorative.
Les
derniers temps (70 à 77) précipitent la déchéance. Ces pauvres
œuvres
sont contemporaines des caveaux impersonnels qui dérivent vers une
production industrielle laide car banale, sans inspiration. L'art
basque meurt et nous avec lui; la vulgarité nous assaille. Nous y
sommes.
Une
vigoureuse renaissance semble s'esquisser de nos jours, le village
n'est pas resté à l'écart. Et si l'art basque refleurissait chez
lui?
CONCLUSION
Louhossoa
a le rare privilège de conserver des œuvres
en nombre important qui ont accompagné son histoire et qui
s'inscrivent dans l'histoire de l'art funéraire en Iparralde. L'art
funéraire y est de grande qualité et, nous l'avons vu, on peut
soupçonner l'existence d'ateliers propres au village, à partir de
la seconde moitié du XVIe
siècle. On a l'impression qu'à la fin de ce siècle les tombes des
maisons étaient pourvues de monuments en pierre; le XVIIIe
semble n'avoir rien produit pour ainsi dire si ce n'est quelques
modèles stéréotypés (41 et 55, 42, 43, 44), des œuvres
mineures.
Le
grand art de la discoïdale est très bien représenté, il est
surtout bas-navarrais
avec
des œuvres
typiques de 40 à 50 cm de diamètre et dont le col (intersection
disque-socle) est environ égale au rayon. Ce sont là des caractères
bien connus (8, 15).
Souhaitons
que les futurs Luhosoar sachent préserver une telle mémoire, dans
ce beau cadre, et qu'ils se montrent attentifs à l'art basque.
BIBLIOGRAPHIE
(1)
Duvert, M., 1990, Données
ethnographiques sur le vécu traditionnel de la mort en Pays
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(12)
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(14)
Voir le
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communiquée par P. M. Etxehandy.
(15)
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de
etnologia
y
de etnografia
de
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46,
145-200.
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