Michel Duvert: Données ethnographique sur le vécu de la mort en Iparralde
Données
ethnographiques
sur le vécu traditionnel de la mort
en Pays Basque-Nord
Michel
Duvert
Munibe,
1990, n° 42, pp. 479-489
RESUME
Dans
ce travail nous présentons quelques aspects caractéristiques du
rituel funéraire basque traditionnel, tel qu'il fut recueilli au
cours d'un travail ethnographique effectué dans le cadre de la
Bourse J.M. De
Barandiaran,
1987.
Trois grands thèmes sont présentés et discutés à la lueur de
témoignages et opinions recueillis: 1) la mort et le voisinage, le
rôle et l'importance des types de «voisins» (homme et femme); 2)
la mort et le charpentier, ce dernier est une sorte de «maître de
cérémonie»; 3) la mort agissante et le devenir de l'être, le
corps les âmes et les cultes associés. Cette approche thématique
et conceptuelle fournit des cadres permettant de donner sens et
cohérence aux pratiques observées.
RESUMEN
Presentamos
en este trabajo algunos rasgos fundamentales que caracterizan el
ritual funerario tradicional en Iparralde. Los datos fueron recogidos
durante un trabajo de investigación Beca J.M. De
Barandiaran,
1987.
Tres grandes temas han sido elegidos y discutidos en ese trabajo: 1)
la muerte y la vecindad, estructura y papel de los tipos de vecinos
(mujer y hombre); 2) la muerte y el carpintero que desempeña un
papel de «maestro de ceremonias», por lo menos en Baxenabarra; 3)
la muerte actuando y el porvenir del ser, el cuerpo, las almas y los
cultos relacionados. Esa aproximación temática y conceptual
proporciona datos que ayudan a dar sentido y coherencia a las
prácticas observadas.
SUMMARY
In
this work we present some aspects of workships and practices around
the death, in the traditional way of life in Basque country (North
part). Data were recorded during an investigation supported by the
grant J. M. De
Barandiaran,
1987.
Three topics were selected and discussed in their main aspects: 1)
the death and the neighbourhood; 2) the death and the carpenter; 3)
the death, the cadaver and the souls, practices and workships in the
church and at home.
*
«...Lo
visible es el aspecto más importante para conocer un hecho humano y
lo invisible es la intención». (J.M. De
Barandiaran).
«(Kant) apporte
l'idée de la phénoménalité de notre univers, qui nous apparaît
comme scindé entre le sujet et l'objet, attaché à l'espace et au
temps comme formes d'intuition et aux catégories en tant que forme
de pensée. C'est à travers ces formes que l'être devient objet
pour nous; il devient ainsi phénomène, c'est-à-dire qu'il est pour
nous tel que nous le connaissons, et n'est pas pour nous tel qu'il
est en soi. L'être en soi n'est ni l'objet qui est devant
nous-aperçu ou pensé-ni le sujet» (K. Jaspers).
_
Ce
court travail rassemble un certain nombre d'éléments obtenus dans
le cadre de la «Bourse José
Miguel de
Barandiaran»
et
dont le thème est: «Contribution à l'étude ethnographique de la
mort en Pays Basque nord», 1987 (1). Trois thèmes sont retenus et
exposés sous forme de généralités (de la même façon qu'un
tableau présente un paysage sans le représenter).
Suivant
les indications de notre maître, nous avons immergé notre recherche
dans le vécu. Nous avons constitué notre thème de recherche en
objectivant des niveaux de structure et des degrés de l'action, en
situation. Collecter des niveaux élémentaires
qui font sens, préciser leur articulation au sein de
séquences qui représentent des niveaux supérieurs de construction;
mettre ces données en perspective
historique (au-delà d'un rituel qui n'est qu'expérience close,
achevée, il y a le peuple qui se met en scène et qui est
fondamentalement une mémoire agissante), afin de pouvoir accéder
aux niveaux qui sous-tendent les actions. Nous immerger en nous mêmes
avec vigilance
et lucidité afin d'éclairer notre conscience et nous permettre
d'agir en être responsable, dans une culture qui est une création
commune de tout instant. La forte pensée de notre maître nous
incite à de tels voyages dont il a lui-même ébauché bien des
itinéraires.
Pour
ces voyages essentiels, José Miguel de Barandiaran
nous
enseigne à être vigilants et disponibles. Il nous met en garde
contre le danger d'une pensée qui théorise à l'excès (2), car
«dès
que nous annonçons sur un ton pathétique des vérités exclusives,
qui résonnent comme une révélation, nous sommes déjà,
philosophiquement, en danger de perdition» (K. Jaspers).
Les
quelques données présentées ici ont été extraites et mises en
forme en tenant compte de sa forte pensée.
1.
LA MORT ET LE VOISINAGE
La
venue de la mort marque le début d'une réactivation des liens de
voisinage. Non seulement les voisins sont attentifs au mourant, mais
c'est l'annonce d'un temps de solidarité et de réconciliation.
Comment
le voisinage est défini et structuré lors de cet événement?
Il
existe toujours un premier voisin (auzo lehena) qui est défini selon
l'un des quatre critères suivants : a) par la proximité; b) en
fonction des quatre points cardinaux; c) par rapport à l'église; d)
en précisant ce dernier repère par un critère de position (par
exemple : la première maison qui est sur la droite sur le chemin qui
mène
à l'église).
Il
existe presque toujours un second voisin (bigarren auzoa) qui est
défini, en principe, selon deux critères: a) par rapport au chemin
qui mène
à l'église; b) par rapport à la seule position de la maison du
premier voisin.
Dans
la langage courant, ces deux voisins peuvent être confondus sous une
appellation commune. En Labourd, par exemple, on les appelle
«kurutzexirio», car, lorsque le premier voisin portait la croix de
l'église dans la chambre du mort, il était accompagné du second
voisin qui portait un cierge. Dans les autres provinces, on les
appelle «bi lehen auzoak». Mais lorsque l'on veut désigner le
premier voisin seul, la vieille génération surtout disait
«kurutzeketaria», allusion à sa fonction de porte-croix dans le
rituel funéraire.
Il
peut exister un troisième voisin qui peut être défini en fonction
de l'étendue du contact des terres entre deux maisons. Mais ce cas
est loin d'être général, bien que l'on ait conscience d'un degré
dans le voisinage. Ainsi, on peut parler de «beste auzoak», dans le
sens d'un voisinage proche, mais souvent on distingue «lehen
auzoak»: c'est le groupe de quatre à cinq maisons entourant la
maison de référence.
Au
moment de la mort ces voisins vont effectuer des tâches et recevront
des titres en conséquence. Regardons d'abord ce que font les hommes.
1.
Le premier voisin
Il
joue un rôle d'organisateur et prend toute une série d'initiatives.
Il
est kurutzeketari, il va chercher la croix à l'église, la porte à
la maison du mort en empruntant le chemin de la maison (hil-bidea ou
eliza-bidea), il se rend dans la chambre du mort, se recueille, bénit
le corps, pose la croix sur une chaise recouverte d'un linge spécial,
située à la tête du lit. Le jour des obsèques, il ouvre le
cortège en portant la croix jusqu'à l'église puis, à la tombe.
En
même temps, il prévient le curé (et arrête le jour et l'heure des
obsèques), le médecin, le charpentier, les services municipaux,
l'andere-serora qui lui remet la croix et sonne le glas qui
l'accompagne en chemin en prévenant le village.
Avec
la famille, aidé parfois du second voisin, il dresse la liste des
parents qu'il faut avertir. Ces deux voisins (et d'autres des «lehen
auzoak», éventuellement) se convertissent alors en hil-abertitzale.
Ils partaient faire l'annonce, ce qui pouvait leur prendre une
journée; lehen auzoa se réservait souvent la distance la plus
longue. De nos jours, ces voisins téléphonent. Leur mission
accomplie, autrefois les voisins venaient en rendre compte à la
maison du mort. Les voisines qui avaient déjà «investi» cette
maison, leur préparaient une collation : œuf,
ventrèche,
café.
Il
demande à quatre des «lehen auzoak», de creuser la fosse au
cimetière. S'il y a un caveau, il prévient le maçon.
Il
achète
un crucifix de marbre que l'on posera sur le cercueil, puis sur la
tombe; plus tard, la famille le remboursera. Il se procure des
cierges.
Il
s'occupe des bêtes de la maison et exécute
les travaux courants, conformément aux souhaits exprimés par la
famille. Souvent il demande à un autre voisin de l'aider en cette
circonstance.
Il
est mobilisé le jour des obsèques. C'est une pièce maîtresse des
différentes phases du rituel: il sert de porte-parole à la famille,
il peut diriger la prière finale marquant la fin du repas
funéraire...
D'une
manière générale, lui et sa femme (mais surtout cette dernière)
restent disponibles pour la famille du mort qui vit repliée sur elle
même et ne sort pas de chez elle. Enfin, il peut être mobilisé les
tous premiers temps du deuil, mais c'est rare ; à ce stade ce sont
les femmes qui jouent le rôle essentiel.
2.
Le second voisin
Il
a un rôle beaucoup plus effacé. On peut se demander s'il ne sert
pas, avant tout, à suppléer le premier voisin en cas de défaillance
de ce dernier. Classiquement
les deux voisins veillent le mort. Mais autrefois, le rôle des
voisins, autres que lehen auzoa, devait être bien plus important.
Ainsi, à Urt, les trois «premiers voisins», à la messe des
obsèques, sont derrière l'autel et, par des actes précis,
participent à la célébration de telle sorte que la messe est
l'occasion d'affirmer et de célébrer le lien de voisinage.
3.
Les autres «lehen auzoak»
Après
avoir creusé la fosse, ils porteront le cercueil et seront, de ce
fait: hilketariak. Il y a plusieurs façons de les introduire dans
cette fonction et lehen
auzoa
joue là un rôle qui peut être délicat. En effet, porter le mort
est un honneur, écarter quelqu'un à cette occasion est un acte
lourd de conséquence.
Voyons
maintenant le rôle des femmes, bien que ce thème ne puisse être
abordé que de façon tout à fait superficielle. En effet, les
femmes sont au cœur
même du rituel, au contact direct de la mort, du mort et des défunts
(des âmes). Certaines disent, de façon
abrupte, que pour la mort, «on n'a besoin ni des hommes, ni des
enfants». Ce que l'ethnographie vérifie largement.
Les
femmes de la maison entourent le mourant, des voisines peuvent les
assister; les hommes auraient l'excuse de devoir travailler aux
champs. Ce sont des femmes que le prêtre rencontre régulièrement
dans les chambres des mourants et avec lesquelles il prie. C'est la
maîtresse de maison qui l'aura accueilli et conduit au près du
moribond. C'est une femme qui, en régle générale, ferme les yeux
d'un mort et fait en sorte que sa bouche reste fermée.
A
partir du moment où la mort a frappé, il y aura toujours des
voisines dans la maison. Les femmes organisent ce temps, sans
manifester ces types de hiérarchie que nous venons de voir chez les
hommes : «on s'arrange entre nous», disent-elles. Voyons quelques
temps fort de leur action.
Les
femmes organisent la vie de la maison : elles font diverses
commissions, préparent les repas, font divers travaux domestiques.
Elles
restent «disponibles», assurent une présence continuelle: paroles
de réconfort, échange de banalités, partage de la peine... Avec la
famille, elles habitent le silence et la douleur.
Elles
s'occupent du mort et de son environnement: voilent les miroirs de la
chambre et aménagent cette dernière; mettent «hil-mihisia» (le
«drap mortuaire») ou un très beau drap brodé (que le mort peut
s'être procuré de son vivant), sur le mort et le décorent de
verdure ou de fleurs. Eventuellement, elles tendent des draps sur les
murs de la pièce. Elles préparent une petite table avec une
assiette d'eau bénite, un rameau et deux cierges.
Elles
s'occupent des vêtements funéraires. Pour cela, elles vont dans le
voisinage chercher des mantaleta (capes de deuil des femmes), gants,
sacs à main, bas,... pour compléter ce qu'il y a dans la maison du
mort. Cette tenue est importante, je connais des femmes qui on fait
faire des photos d'elles en habit de deuil. Il fallait trouver aussi
le nécessaire pour vêtir les hommes. Les femmes, surtout étaient
enveloppées de noir, «il ne faut pas voir de couleur de chair»,
disent certaines.
Elles
collectent la nourriture nécessaire pour le repas funèbre,
complétant, ici aussi, ce qu'il y a dans la maison. Elles ne font
pas payer ce surplus, ce sera «à charge de revanche».
Elles
font la toilette du mort. Théoriquement c'est la première voisine
qui est chargée de ce travail, à moins qu'il n'existe au village
quelque femme qui le fasse «à cause de son savoir-faire». Dans
certains cas on a pu vérifier que cette même personne était
également sage-femme.
Dans
de nombreux endroits, c'est encore à la première voisine que l'on
remet l'enveloppe contenant l'argent des messes, lors des visites au
mort. Elle inscrit le nom de la famille et de la maison, au fur et à
mesure. Cette liste, remise au curé, sera lue en chaire ou affichée.
Souvent
c'est la première voisine qui prête une attention particulière aux
visiteurs. Elle connaît
les membres de la famille du défunt; elle les introduira auprès de
la famille en deuil (dolodun) qui se tient dans la cuisine.
Le
jour des obsèques les femmes formeront trois grands groupes. L'un
s'occupera de «mettre en route» le repas funéraire; un autre
aidera le charpentier, en Basse-Navarre, à faire l'enclos de draps;
le troisième groupe est constitué par une femme représentant
chaque maison des «lehen auzoak», réunie autour de la première
voisine, toutes ces femmes sont en habit de deuil, comme le sont les
femmes de la famille. C'est la première voisine qui va se distinguer
dans ce groupe. Dans le cortège, par exemple, marche en tête du
groupe des femmes en habit de deuil : la femme de la maison qui a le
lien le plus direct avec le mort (épouse, mère, sœur),
à ses côtés marche la première voisine qui porte un grand panier
rond dans lequel se trouve l'ezko (chandelle enroulée sur elle même,
ou sur une planche) de la maison du mort, et les ezko de sa maison et
de chaque maison des «lehen auzoak». A cette occasion, cette femme
recevait le titre d'argizaina (gardienne de lumière), et prenait
place dans le rite fort complexe de la lumière ; rite centré sur
Andere serora (et que je ne présenterai pas ici, faute de place,
Duvert
1989).
Derrière ces deux femmes marchent les femmes de la famille suivies
des représentantes des «lehen auzoak». Cette disposition n'est pas
généralisable à l'ensemble des trois provinces nord, le Labourd de
la côte, en particulier, a d'autres références.
Le
compléterai ces quelques données en montrant l'importance du lien
de voisinage dans la structure du cortège. Nous avons vu le cas des
femmes, en Basse-Navarre surtout; pour les hommes la situation est
plus simple. Le premier voisin ouvre le cortège avec la croix, il
est accompagné ou non d'un ou de deux voisins portant un cierge. Des
hommes «lehen auzoak» portent le cercueil. Les hommes dolodun sont
seuls dans le cortège. Parents éloignés (à partir des cousins),
villageois, amis... ne marchent pas sur un rang, comme les
précédents, ils suivent sans grand ordre, hommes et femmes
mélangés. Cette queue de cortège grossit en cours de route en
s'adjoignant les gens qui attendent au bord du chemin quand ce n'est
pas au porche même de l'église.
La
cérémonie à l'église sera également l'occasion de réaffirmer le
lien de voisinage. Les participants aux funérailles seront, pour
l'occasion, à des emplacements particuliers. On verra parfois le
premier voisin faire la quête ; avec les autres «lehen auzoak» et
le prêtre, il ira enterrer son voisin, sans autre participant. A la
sortie du cimetière on peut voir le premier voisin annoncer : «La
famille invite au repas...», suivent les noms des invités.
En
conclusion de cette première partie, le milieu traditionnel dit :
— que
l'on ne meurt pas seul mais en famille,
— en
frappant un individu la mort touche une maison et, par là, un groupe
de maisons (lehen auzoak) dont les membres sont mobilisés à des
degrés divers,
— la
mort déclenche
toute une série d'actions ordonnées, hiérarchisées, présidées
par le lehen auzo, maître et maîtresse de maison.
A
tout moment de sa vie, toute personne vivant dans ce milieu, est
appelée à vivre avec la mort, à «la manipuler» et à la
célébrer. La mort implique des actes collectifs qui sont des
obligations devant lesquelles nul ne peut se dérober. Ces tâches
s'inscrivent dans des ensembles d'actions ordonnées (le rituel) au
sein desquels elles s'éclairent mutuellement et acquièrent du sens
(mais le sens donné par le passage à l'église est d'une telle
importance qu'il rejaillit sur l'ensemble du rituel et ce, à des
degrés divers). Ce rituel fortement structuré, en particulier par
le voisinage, tend à inscrire la mort dans le champ des habitudes et
dans l'histoire, pour lui enlever son aspect de coupure brutale à
l'échelle de l'individu.
2.
LE CHARPENTIER, MAÎTRE DE CÉRÉMONIE DU RITUEL FUNERAIRE EN
BASSE-NAVARRE
Je
vais élargir ici le témoignage de M. Urruty,
charpentier
en Amikuze.
Averti
par auzo lehena, le charpentier vient prendre les mesures pour le
cercueil. Une fois le travail achevé, il vient à la maison, avec un
apprenti, où il prend un voisin, au passage, pour l'aider. Il va à
la chambre du mort et fait une prière; à ce signe, la famille
comprend qu'elle peut se retirer, si elle le désire. Il fait la mise
en bière. C'est en général la veille de l'enterrement (ou le
matin, si des membres de la famille n'ont pas pu venir assez tôt).
En redescendant chez lui, il s'arrête dans des maisons voisines pour
dire aux femmes à quelle heure il arrivera, le lendemain pour faire
l'édifice de drap dans l'eskaratze.
Nous
sommes le jour des obsèques. Environ une heure avant la levée du
corps, le charpentier, aidé des femmes, fait cet édifice de drap
dans l'eskaratze. C'est un enclos fait de deux draps latéraux et
d'un drap, au fond, qui est hil-mihisia, un drap spécial avec des
décorations et un structure particulière (je ne le décris pas, il
y a beaucoup de variantes). A Mendive, ils appellent
cette opération hil bestitzea. Les draps sont décorés avec de la
verdure (ezpela, erramia), on peut en répandre un peu sur le sol. Le
charpentier, aidé par quelques voisins, met le cercueil au centre de
cet enclos, sur des chaises. Il pose de chaque côté un certain
nombre de cierges auxquels les voisines ont mis un ruban noir avec
«un joli noeud»; ces cierges sont dans des chandeliers, couvents
prêtés
par des voisins, et luisants de propreté. Le charpentier pose la
croix de l'église à la tête du mort ; sur une chaise recouverte
d'un linge, les voisines mettent l'assiette avec l'eau bénite et le
rameau. On peut aussi y mettre une lampe à huile ou une bougie
allumée. Sur le cercueil, la première voisine pose l'ezko de la
maison et le crucifix de marbre que son mari a acheté conformément
aux souhaits de la famille. Au pied du cercueil le charpentier aura
éventuellement posé gerbes et bouquets laissés par les visiteurs
ou les voisines. Dans 25 minutes environ, aura lieu
la levée du corps, le charpentier ouvre en grand les portes de
l'eskaratze et le portail de la maison (les bêtes sont rentrées et
seront surveillées par un voisin qui restera exprés à la maison
pour cela). Il allume cierges et ezko et se tient devant la porte.
Les
gens arrivent, ils bénissent le mort. La famille invitée rentre;
les autres (souvent à partir des cousins) se tiennent dehors avec
voisins et amis. A la porte il y a aussi lehen auzoa qui, en
principe, connaît
beaucoup mieux la famille de son voisin que le charpentier; il fait
signe au besoin à ce dernier qui s'avance pour accueillir les
membres de la famille et les conduire aux parents puis à la cuisine
pour prendre un café chaud ou du bouillon (certains venaient parfois
de fort loin et souvent à pied). A Gamarte,
le
charpentier servait un verre de vin à ceux qui étaient venu bénir
le mort et l'accompagner à l'église.
Le
glas retentit, le curé vient de quitter l'église. Dans la maison,
les femmes s'activent à habiller les dolodun: fixer les capes de
deuil aux hommes, leur faire souvent le nœud
de la cravate, attacher les lourdes capuches des mantaleta des
femmes, bien les fixer avec une épingle...
Le
prêtre arrive, le charpentier, éventuellement, avertit la famille
qui se place derrière l'édifice de drap, dans l'eskaratzia. Le
prêtre récite les prières de circonstance. Il demande au
charpentier si toute la famille est là ; au besoin,
ce dernier demande aux parents et, dans l'affirmative, il fait signe
à auzo lehena qui a fixé la partie métallique de la croix sur le
manche que vient de lui porter le curé. Tenant cette croix à deux
mains, le premier voisin part. Le charpentier s'assure que les
hilketari chargent le cercueil. Au passage, il distribue les cierges,
les fleurs et couronnes, aidé souvent par un voisin. Il organise
ainsi le cortège qui se forme spontanément derrière lehen auzoa.
La famille se dispose naturellement avec ses premières voisines. En
tête des femmes, à côté de celle qui a le lien le plus direct
avec le mort, se tient la première voisine dans sa fonction
d'argizaina.
Les
dernières personnes sont parties, le charpentier referme les portes
de l'eskaratze. Il défait l'enclos de draps. Il va chercher tréteaux
et planches qu'il a amenés dans une maison voisine, la veille. Il
dresse la table. Les femmes s'affairent à la cuisine pour préparer
le repas (kolazionia).
Le
glas retentit à nouveau, la messe s'achève. Le charpentier sait
combien de temps les gens mettront à revenir à la maison en
empruntant eliza-bidia. Alors, il va chercher une boule de paille
dans le fenil, il la compacte entre ses mains. Il la pose devant
l'entrée de la maison et y met le feu. Quand la famille arrive la
première, il ne reste que des cendres. Tous les futurs assistants au
repas se mettent en rond et font une prière individuelle autour de
ces cendres fumantes (3). Dans certains endroits, on prendra une
pelle de ces cendres pour les mélanger
à celles du foyer de la maison. Le charpentier ouvre alors les
portes de l'eskaratze et tout le monde rentre manger. Les dolodun
quittent leurs capes et mantaleta.
Lors
du repas, le charpentier sert le pain le vin et les liqueurs; comme
pour le mariage. Vers la fin du repas il va à la cuisine manger avec
les femmes qui ont fait le service (des lehen auzo avec, parfois, une
«cuisinière», c'est-à-dire une femme habituée à faire à manger
pour du monde et qui sait comment on cuisine pour «tant» de
personnes), il mange aussi avec l'homme qui est resté pour les
bêtes. En cours de repas il se joindra à la prière qui met un
terme au repas des convives et, comme nous sommes en Amikuze, à la
fin de cette prière il fera le signe de la croix sur la table, avec
le pouce (les femmes le font au dessus de la table, la main ouverte
comme pour une bénédiction).
C'est
parfois le charpentier qui aura reçu
l'argent des messes ; il installe alors une table et une chaise sous
le porche de l'église et inscrit les noms des donateurs et celui de
leurs maisons, sur une feuille remise au curé. Mais ceci n'est pas
général.
Historiquement,
c'est cet homme qui a mis en forme notre habitat et notre art sacré.
C'est un personnage
central qui a son mot à dire dans l'organisation du temps de la
mort. Son rôle est tel, que des témoins disent spontanément qu'au
jour de l'enterrement c'est «le maître de cérémonies». Malgré
le dégradation actuelle du rite, il reste, avec le premier voisin et
sa femme, «l'homme de la situation».
3.
LA MORT, LE MORT, L'ÂME ERRANTE
C'est
un domaine très délicat à aborder mais qu'il faut regarder en
face, avec une grande prudence et une humilité certaine, suivant en
cela la route tracée par notre maître (Barandiaran,
1970).
La
mort «nous visite»
Pour
l'homme qui vit étroitement en accord avec la Nature, la mort est un
phénomène
prévisible... dans une large mesure. La Nature nous avertit; à nous
d'être vigilants. Cet aspect est important ; je vais en dire
quelques mots.
Les
animaux connaissent la venue de la mort. En particulier les animaux
domestiques dont le comportement change. Mais il y a des animaux qui,
par leur présence et leur comportement, annoncent la mort.
Un
deuxième ensemble de phénomènes est à prendre en considération,
c'est le monde des coïncidences. La plus classique est celle de la
sonnerie de l'élévation (sagara) avec celle de la pendule de la
maison ou avec celle du clocher ; dans le premier cas la mort va
frapper dans la maison, dans le second cas, elle va frapper dans le
village.
Il
y a, enfin, les «signes lus après
coup», une fois le malheur arrivé. Comme si on voulait se
convaincre que le signe avait été bien donné («il n'y a pas de
hasard»), mais nous n'avons pas su voir; nous n'étions pas
vigilants.
Pourquoi
meurt-on? Il existe toute une palette d'explications dont le fond est
constitué par le destin (jin beharra) teinté de foi chrétienne. Je
ne prends pour exemple que le suicide. Trois types de lecture sont
avancés: a) le suicide est un péché contre Dieu, seul maître de
la vie; b) le suicidé est un malade; c) il y a enfin une formule qui
respecte l'acte, et qui dit: «Odolak baduela hamar idi parek baino
indar geihago»; le sang a plus de force que dix paires de boeufs.
Cette formule très riche n'est pas la seule à mettre en scène les
vertus du «sang». Je donnerai pour finir une jolie image, c'est
celle qui met en avant «azken ozka»: lorsque le boulanger livrait
du pain par exemple, les gens ne sachant ni lire ni écrire, il
faisait une marque au couteau sur une baguette de bois. Lorsqu'il y
avait un certain nombre d'entailles (ozka), il comparait avec une
«baguette-étalon», à lui. On voyait qu'il y avait autant
d'encoches d'un côté comme de l'autre; il fallait payer et on
brisait la baguette. La dernière entaille (azken ozka) signifiait
bien la fin d'un «cycle».
Enfin,
on pouvait mourir par l'action de belhagilea
ou du sort jeté par sorgiña.
Attache-t-on encore quelque importance à cela? Je ne peux pas le
dire mais on nous a souvent décrit avec conviction ce qu'il fallait
faire pour se défaire de ces envoûtements.
La
mort nous emporte
Les
temps de la mort sont scrutés avec attention. En particulier, on
insiste sur le souffle qui «monte», comme pour sortir (jin goiti)
et qui est libéré au moment même de la mort (azken hatsa). Mais
avant d'en arriver là que se passe-t-il?
Le
milieu traditionnel connaît
le temps de la mort en puissance. «Il a la mort sur lui» dit-on
parfois d'un grand malade. De quelle «mort» s'agit-il? Je vais ici
donner un récit qui est un témoignage de très grande qualité
recueilli auprès d'une dame de Hasparren. Herioa est la mort
personnifiée; le témoin la décrit comme un squelette revêtu de
peau et sans aucun accessoire. Herioa est invisible bien que «hezur
ta larruz». Lorsque l'on sait qu'il est dans la maison, on doit
ouvrir une fenêtre et lui dire: «habil hemendik». «Herioa joan da
xeka» dit le témoin, mais cette expression, ajoute-t-elle, ne peut
être utilisée que pour le vieillard, car «le jeune peut se
défendre». La mort est un combat; si nous luttons, nous pouvons
vaincre... à condition d'avoir des forces. Ceci est le témoignage
qui a été recueilli, il est en résonance avec toute une série
d'autres témoignages ; je n'en citerai que quelques uns.
Souvent,
lors de la mort ou d'une longue agonie, quelqu'un ouvrait la fenêtre
de la chambre; c'était souvent une femme qui faisait ce geste
essentiel.
Parfois,
on enlevait une tuile sur le toit de la maison.
Dans
certaines maisons on faisait lever les animaux de l'étable, à la
mort de quelqu'un, ou alors on leur faisait l'annonce de la mort.
Dans le premier cas, un témoin a déclaré que personne, y compris
les animaux, ne doit dormir quand la mort est dans une maison.
Ces
gestes sont en fait, différemment interprétés. Je prends un
exemple. L'ouverture de la maison se fait: a) car on a toujours fait
ainsi et qu'il faut le faire; b) pour soulager l'agonie et précipiter
la mort; c) pour que l'âme s'envole («disent les anciens», car
très peu de témoins s'engagent directement dans ces types
d'explication). Par delà les lectures diverses on comprend que la
culture (cette création sociale) fournit des directions ou des
jalons temporaires le long desquels cheminent les hommes, et grâce
auxquels ils donnent du sens à leur vie.
La
mort ne concerne pas seulement l'homme
Il
y a ici un vaste champ à explorer. Je citerai simplement deux
données. La première concerne l'annonce personnelle à faire aux
animaux domestiques (et pas seulement aux abeilles), car, d'une
certaine manière ils auront eux aussi à prendre un deuil. La
seconde concerne le témoignage de cette vieille dame d'Orégue qui
déclare: «il faut annoncer la mort au chien pour qu'il aille le
dire aux autres animaux». Je précise, à ce propos, que ce
témoignage a été recueilli, comme beaucoup d'autres, en basque,
auprès de personnes (surtout des femmes, étant donné le peu
d'importance des hommes et des enfants dans ces pratiques) natives ou
ayant vécu très longtemps dans les villages concernés. Ces
personnes sont des gens du peuple; beaucoup d'entre elles n'ont
jamais lu un livre sur le Pays Basque (ce qui ne surprendra personne
étant donné l'état de notre pays jusque dans les années
1950-1960).
Où
nous amène
la mort ?
Il
n'est pas facile d'aborder ce problème. Je cite quelques
témoignages.
Les
morts sont habillés avec leurs plus beaux habits ; les hommes sont
rasés, ils ont le béret sur le tête. Hommes et femmes ont les
chaussures aux pieds. «Ils sont prêts à partir», dit-on parfois,
sans nuance aucune.
«Je
veux être présentable pour la Résurrection», dit un témoin.
Au
début du siècle, à Ordiarp, avant que le corps ne parte de chez
lui, un homme de la maison mettait des verres sur le cercueil et il
servait à boire du vin (voyez, plus haut le charpentier à Gamarthe,
y a-t-il quelque similitude?). Les hommes présents autour du
cercueil buvaient en «trinquant à la santé du mort». Il est
possible que cette pratique fut connue hors de Soule. Au retour de la
messe, la première voisine mettait l'ezko de la maison, allumé, sur
la table, durant tout le repas. Assurément le mort n'avait pas
disparu sous terre, à jamais anéanti.
Morts
et vivants existent dans des mondes séparés ?
«La
vieille génération, celle de ma mère, vivait avec arima erratiak»
(les âmes errantes), dit une etxekandere de 60-65 ans. C'est
évident, à mon avis. Les
témoignages sont très abondants à ce sujet et sont donnés avec
une rare conviction. Ou comme pour se moquer... mais curieusement,
les mêmes personnes racontent avec détail la conduite à tenir face
à arima erratia. Le prêtre pouvait apporter son aide dans ce
commerce avec l'irrationnel.
La
même etxekandere ajoutait: «Et puis il y a toutes ces messes que
l'on offre, le jour des obsèques et souvent aux anniversaires.
Pourquoi toutes ces messes si les morts ont disparu ?» Il nous faut
regarder ce problème.
Des
morts qui nous lient
Des
liens se nouent déjà lors de la visite aux morts. A cette occasion,
disent des témoins de Gamarthe, on apportait «ikusgarria», mais
conséquent; les familles marquaient sur une feuille la nature de ces
cadeaux (des comestibles en général) ainsi que le nom de la famille
et de la maison des donateurs, afin de «rendre la pareille» quand
l'occasion se présenterait. Mais ce n'est pas de ce type de lien
dont il s’agit.
A
l'occasion d'un décès,
de nos jours encore, il n'est pas rare qu'une famille recueille un
million de centimes qu'elle donnera au curé pour célébrer des
messes. Souvent l'importance de la somme est, pour la famille, le
signe tangible de l'estime dans laquelle elle est tenue, et ce au
travers du mort.
Tous
les jours les prêtres célèbrent
des messes pour les morts et en font l'annonce publiquement, en fin
de messe, tous les dimanches.
Certes,
il y a une lecture chrétienne de ces offrandes à travers le culte
des âmes du Purgatoire. Mais ce n'est pas la seule; j'en indiquerai
deux.
On
peut offrir une messe pour le «repos» de l'âme; si l'on ne
s'acquitte pas de ce devoir envers les morts, l'âme peut venir nous
tourmenter. L'église donnant une dimension de «rachat» à ces
messes, il faut veiller à ce que mort soit purifié par nos soins de
ses fautes commises; le mort nous implique dans son histoire.
On
peut et on doit aussi rendre une messe pour le mort de telle ou telle
maison, car eux ont fait pareil pour nous (voir plus haut ce que je
disais sur les ikusgarri). Au besoin on consultera la liste des
offrandes de messes offertes à nos morts pour s'assurer que telle
maison «avait bien donné», et «combien elle avait donné».
En
fait, la situation est beaucoup plus nuancée, comme la pratique
chrétienne nous le montre. Je ne vais retenir que quelques exemples.
On
peut offrir une messe pour un défunt en associant des défunts de sa
propre maison (Fig.1, huitième intention). Dans un autre registre,
lors de l'ensevelissement d'un mort à Alçabehety (Soule), toutes
les tombes du cimetière sont traditionnellement fleuries car «les
morts accueillent le mort» dit un témoin.
Fig. 2.- Mai 1914, exemple d'un extrait d'un cahier type d'un curé bas-navarrais: c'est pratiquement tous les jours de la semaine que l'on célèbre des messes, pour les morts du village.
Fig. 3.- Deux maisons offrent des messes, probablement des messes anniversaires. A nouveau, on ne demande pas une messe pour un défunt mais toujours en l'associant à d'autres qui sont de sa famille. Dans la seconde demande, faite par la vieille etxekandere, nous voyons que ses enfants s'associent à elle, y compris un fils émigré en Amérique. Quant au premier demandeur de la maison Inchasendague, il fait célébrer, dans une même intention, des messes pour les morts récents de sa famille. Les documents produits Fig. 1 et 3 montrent des nuances riches dans le «culte des ancêtres et des morts».
Fig. 1.- Liste des messes offertes pour l'enterrement d'un homme en 1914. Cette liste est tout à fait typique. On trouve en premier les messes offertes par la famille (huit messes chantées), puis pour les parents du mort (ziren doit se lire zirenentzat), pour le défunt maître de maison, pour les «manquements» et choses dont on est redevable envers le mort (le sens de ces «obligations» est particulièrement ambigu, je n'en parlerai pas ici), puis, par diverses familles. On notera qu'une famille d'Amérique se joint aux autres. Le mort est donc associé aux morts de sa famille. Même ceux qui sont au loin s'unissent aux prières.
Le curé ne pouvait pas célébrer toutes ces messes; il en donne à des collègues, comme on le voit en bas de liste.Fig. 2.- Mai 1914, exemple d'un extrait d'un cahier type d'un curé bas-navarrais: c'est pratiquement tous les jours de la semaine que l'on célèbre des messes, pour les morts du village.
Fig. 3.- Deux maisons offrent des messes, probablement des messes anniversaires. A nouveau, on ne demande pas une messe pour un défunt mais toujours en l'associant à d'autres qui sont de sa famille. Dans la seconde demande, faite par la vieille etxekandere, nous voyons que ses enfants s'associent à elle, y compris un fils émigré en Amérique. Quant au premier demandeur de la maison Inchasendague, il fait célébrer, dans une même intention, des messes pour les morts récents de sa famille. Les documents produits Fig. 1 et 3 montrent des nuances riches dans le «culte des ancêtres et des morts».
A
la fin du repas funèbre on récite classiquement trois prières: une
pour le mort, une pour sa famille (quand ce n'est pas une forme
détournée de l'intention: «etxetik athera diren arimentzat») et
la dernière pour le premier de l'assistance
qui allait mourir. Morts et vivants sont unis dans le temps sacré de
la prière.
En
Labourd, on continue la pratique suivante: avant d'aller prendre le
repas funèbre (souvent au restaurant), la famille va prier dans la
chambre du mort; parfois avec une bougie allumée. Souvent le veuf ou
la veuve resteront longtemps sans dormir dans cette chambre. Comme si
la/le mort imprégnait la pièce.
Les
manuels de dévotion en euskara contenaient des formules ou des
réflexions dont le lecture et la méditation
apportaient un nombre donné de jours d'indulgence. Il y avait un
barème; des tarifs pour un futur rachat personnel, à portée de tous. De
la même manière l'Eglise encourageait le culte des âmes du
Purgatoire, cet «ailleurs» qui serait le prix nécessaire à payer
pour notre imperfection. On nous a assez dit que seuls les saints
et les nouveau-nés baptisés vont au ciel. Dés lors nous ne pouvons
que compter sur les prières attentives et ferventes
de nos successeurs, et en particulier des etxekandere, pour nous
sortir de ce séjour inconfortable où nous serons démunis.
Les
messes anniversaires prenaient la forme d'un véritable culte des
ancêtres, car elles réunissaient dans une même intention, le
défunt et des membres disparus de la famille du demandeur (le plus
souvent une femme). Ces messes (Fig. 3) et celles offertes le jour des
obsèques, comportaient l'intention : «etxetik athera diren
arimentzat». C'est ainsi que l'on célèbre
dans une même intention tous les morts de la maison.
Le
purgatoire, mais aussi «linboak»
ou «lurra benedikatu gabea» des cimetières et «baratzia» des
maisons,
ce jardin où l'on mettait les nouveau-nés morts sans baptême,
représentent des «ailleurs» pour des morts en attente de rachat.
On pouvait cependant attendre dans une relative tranquillité
car les femmes veillent.
Jusque
dans les années 1950, la future etxekandere quittait le jarleku de
sa maison natale, achetait parfois une chaise neuve, où l'on mettait
ses initiales, et venait s'installer sur le jarleku de sa nouvelle
maison (dans la mesure où elle n'était pas l'héritière se mariant
chez elle). Le jarleku c'est l'ancienne tombe (Barandiaran,
1970)
dans la nef, et donc l'emplacement réservé de la maison. Là, les
femmes célèbrent
les rites pour les morts (prières, offrande de lumière...). Par ce
geste la femme affirme une double continuité: a) celle de la maison
qui continue malgré la mort de ses occupants temporaires; b) celle
des cultes pour les disparus; les morts ne seront pas abandonnés.
En
faisant cet acte essentiel dans l'église, l'etxekandere inscrit son
action dans une perspective chrétienne, celle de la «communion
des saints»
qui signifie aux chrétiens que tous les composants de l'Eglise,
passés présents et à venir, nous sommes unis dans le «corps
mystique du Christ».
Mais
cette lecture chrétienne ne fait que donner sens à des attitudes
profondes qui émergent à travers toute une série de traits de
culture. J'en cite deux.
L’expression
«arima erratia bat bezala ari da lanean»; l'âme errante (et
comment faire pour ne pas le devenir?) ne connaît
aucun repos.
Fig. 4.- Plate-tombe, probablement du XVIIe siècle,
montrant une ouverture fermée par des grilles en fer forgé.
Cette
curieuse plate-tombe de Basse-Navarre (il y en a deux ainsi au
village, je n'en connais pas ailleurs), avec une ouverture fermée
par une grille en fer forgée et qui fait communiquer, morts et
vivants (Fig.4).
C'est
un fait notoire, tous les prêtes le diront, la fête de la Toussaint
est la grande fête religieuse basque; c'est encore plus net de nos
jours avec le recul spectaculaire de la pratique religieuse. A cette
date, nos églises sont pleines. Les morts n'habitent pas avec nous,
ils nous investissent.
Je
m'entretenais un jour avec une etxekandere d'environ 70 ans. Nous
avions déjà passé plusieurs heures sur le thème du «rituel
funéraire». Elle me donna
cette lecture qu'elle ne voulut pas que je publie avec son nom. Au
moment de la mort, selon elle, la mère du défunt ou une parente
très proche (sœur...)
venait en personne, «depuis le ciel», chercher le mourant.
Le
rituel funéraire basque traditionnel est d'une profonde richesse;
grâce à l'exemple de José
Miguel
De
Barandiaran
nous
pouvons maintenant l'étudier d'une manière scientifique. Mais il
est tard. Souvent nous ne percevons que des échos de quelque chose
que nous pensons être grandiose. Il est vrai qu'un rituel funéraire
ne peut être banal car «toute
société se voudrait immortelle et ce que l'on appelle culture n'est
rien d'autre qu'un ensemble organisé de croyances et de rites, afin
de mieux lutter contre le pouvoir
dissolvant de la mort individuelle et collective» (Thom,
1978).
Fig. 5.- Le nouveau cimetière de Mauléon en Soule prend forme. Conçu avec l'aide de l'association Lauburu, il montre l'intérêt et l'efficacité d'une ethnologie active, force de création et de proposition, s'inscrivant dans la continuité d'une tradition. Car une culture, c'est une mémoire agissante. Plusieurs fois notre maître nous a dit que nous avions les fondements et les matériaux nécessaires pour aménager, réédifier et faire notre maison commune, cet espace de vie adapté à notre personnalité collective: «Si el pueblo vasco quiere pervivir, tiene que injectar la savia de su vieja cultura en los nuevos modos de vida...» (J. M. De Barandiaran, «Obras completas», tomo VI, p. 255; 1974).
Fig. 5.- Le nouveau cimetière de Mauléon en Soule prend forme. Conçu avec l'aide de l'association Lauburu, il montre l'intérêt et l'efficacité d'une ethnologie active, force de création et de proposition, s'inscrivant dans la continuité d'une tradition. Car une culture, c'est une mémoire agissante. Plusieurs fois notre maître nous a dit que nous avions les fondements et les matériaux nécessaires pour aménager, réédifier et faire notre maison commune, cet espace de vie adapté à notre personnalité collective: «Si el pueblo vasco quiere pervivir, tiene que injectar la savia de su vieja cultura en los nuevos modos de vida...» (J. M. De Barandiaran, «Obras completas», tomo VI, p. 255; 1974).
(1)
Nous remercions Eusko-Ikaskuntza
qui
nous a permis de publier des données recueillies dans le cadre de ce
travail.
(2)
Et nous connaissons la médiocrité de la pensée de ces théoriciens
qui ne supportent ni ne comprennent un tel enseignement…
(3)
Ce feu, fait simplement
avec
de la paille, résulte très vraisemblablement d'une «simplification»
d'un rite plus complexe. On peut penser, en effet, que cette paille
servait à faire prendre un feu de «berdura» (?) composé
certainement de buis et/ou de rameau. En Garazi, il est sûr que l'on
a brûlé ainsi le rembourrage du matelas du lit du mort.
BIBLIOGRAFIA
BARANDIARAN,
J.M. DE, 1970 Estelas funerarias del País Vasco,
San Sebastián.
DUVERT,
M. 1989, Les
andere
serora
et
le statut religieux de la femme dans la culture basque: étude
ethnographique. Hommage au Musée Basque, J. Haritschelhar, p.
399-440.
JASPERS,
K.
1953
La foi
philosophique, Librairie Plon, Paris.
THOMAS,
L.V. 1978 Mort et pouvoir, Petite bibliothèque Payot, Paris.
Iruzkinak
Argitaratu iruzkina