Gizonarriak Baionako euskal erakustokian, Barandiaran Stèles et rites funéraires au Pays Basque


Gizonarriak Baionako euskal erakustokian



Gizonarri eta atalburuak Donapauleko museoan

Stèles et rites funéraires

au Pays Basque

Jose Miguel de Barandiaran

Traduit par Bernard Duhourcau

Article paru dans Ekaina n° 11, 1984

Cette étude a été écrite par l’abbé José Miguel de Barandiaran le premier ethnologue et préhistorien du Pays Basque, bientôt centenaire, à l’époque où demeurant à Sare, il faisait l’inventaire des stèles discoïdales subsistant dans les communes du Pays Basque français. Je lui avais fait attribuer en 1956 cette mission par le ministère des Beaux Arts, ayant constaté l’abandon de ces monuments précieux pour le patrimoine euskarien et les risques trop réels de disparition qu’ils couraient.
Ce fut pour moi un honneur et un plaisir rares de rencontrer à cette époque José Miguel de Barandiaran au pays de Cize. Un honneur de lui servir la messe dans la petite chapelle de la Madeleine, aux portes de Saint-Jean-Pied-de-Port. Un plaisir de faire avec lui l’excursion de la fontaine d’Ahusquy : plaisir doublé de la rencontre du conteur Sarochar qui vida devant Barandiaran son sac de légendes et de contes dont rien ne fut perdu pour notre ethnologue.
Les stèles recensées par Barandiaran dorment aujourd’hui dans un tiroir d’un bureau de la Culture à Paris. Mais il serait regrettable que la précieuse moisson recueillie scrupuleusement par ce savant consciencieux, échappe à la connaissance des premiers qui ont à en connaître, les Basques des rois provinces où Barandiaran, exilé au-delà de son Gipuzkoa, ne s’est pas cru obligé de perdre son temps en vains regrets, mais a ressuscité une préhistoire basque alors en sommeil, aujourd’hui grâce à lui, bien éveillée.
                                                           Bernard Duhourcau

*

Dans ce bref essai consacré à un aspect des traditions du Pays Basque, nous nous référons d'abord à des stèles discoïdales des Pyrénées-Atlantiques dont nous avons étudié et recensé les caractères pendant plusieurs années de recherches.

La stèle funéraire, ou la pierre plantée à la tête de la tombe est appelée généralement la «pierre des morts» (ilarri) ; en certains endroits «la lumière des morts» (ilargi, la lune). Louis Colas et Pierre Lafitte ont recueilli également les noms de «l'homme» (gizona), «la croix de tête noire» (Kurutze burubeltza) et «l'homme de pierre» (harri gizona) (1).

La stèle est aujourd'hui encore un symbole attaché à un idéal qui transcende cette vie terrestre. Elle fait partie d'un système religieux dans lequel le respect pour les ancêtres joue un rôle important et elle ne se comprend que dans celui-ci. Pour cela, nous allons rappeler comment un tel système est intégré à la vie populaire. Nous devons essayer de connaître les croyances, les mythes et les pratiques relatives à la mort et à sa préparation, ainsi que les réactions qui s'ensuivent et toute la trame des relations qui forment son environnement naturel.



OU CELA COMMENCE



En dehors de la douleur et des autres maux physiques qui souvent précèdent la mort, celle-ci est acceptée en général avec la foi et l'espérance chrétienne par le peuple basque.
La douleur n'est pas facilement comprise; si quelquefois elle l'est, c'est en pensant à un modèle, le Christ, et à sa mort dans des souffrances atroces; ou à des parents et amis morts en se confiant dans les promesses du Rédempteur. Dans ce cas, ce ne sont pas les principes abstraits qui mobilisent les âmes le plus efficacement, mais ce sont les exemples concrets de personnes qu'on a remarquées dans l'accomplissement d'un idéal suprême.
Mais à côté de l'idéal chrétien qui occupe généralement le centre de la vision, nous pouvons apercevoir au fur et à mesure des restes d'autres conceptions animistes, magiques, matérialistes, qui méritent d'être notées.
Si la maladie est généralement attribuée à des causes naturelles, dans quelques milieux, la croyance reste vivace que certaines d'entre elles sont dues à des raisons mystérieuses (misticas), à des génies ou des esprits (aidetikako), à des malédictions (birao), à la force magique (adur) de quelque ennemi qui mettent en action Erio, le génie de la mort ou la mort personnifiée. Dans une région de Biscaye, ce génie est appelé «balbe», d'après R. M. de Azcue (2). Les génies appelés «gaizkinak » à Bédia, «autzek» à Ataun, «gaiztoak » à Ochagavia et «aidegaixtu» à Liguinaga font souffrir certains moribonds et prolongent leur agonie.

RITES DE PASSAGE

La mort considérée comme la fin d'un mode de vie et le commencement d'un autre, est un passage. Comme tel, elle est entourée de précautions spéciales qui se traduisent par des rites et des coutumes fidèlement observées. Quand une personne se trouve gravement malade, le voisin (leenate ou auzo) qui habite la première maison à droite sur le chemin de l'église, doit appeler le médecin et le curé. C'est lui qui accompagne le prêtre qui porte le viatique. La personne la plus importante de la famille, père, mère, fils aîné, munie de deux cierges allumés, sort à la rencontre du prêtre et l'accompagne jusqu'au chevet du patient. Pour cette cérémonie, une femme de la première maison voisine et quelques familiers ou parents sont présents. Deux personnes ou plus du voisinage font une veillée nocturne (gaubela) et assistent le malade jusqu'à sa mort ou jusqu'à ce qu'il soit hors de danger.
Quand le malade entre en agonie, les personnes qui se trouvent dans la maison récitent les litanies de la Vierge et les prières consacrées par l'Eglise en pareil cas. Ils allument le cierge, béni le jour de la Chandeleur, et le placent à côté de l'agonisant. Ils le signent de temps en temps avec et l'aspergent d'eau bénite ainsi que la maison pour écarter le mauvais esprit. Le premier voisin prévient le sonneur de la paroisse pour que celui-ci sonne le glas.
Dans certaines régions, si l'agonie se prolonge, les familiers du malade enlèvent une tuile du toit de la maison (à Sare, en pays de Cize) pour laisser le passage libre à la sortie de l'âme. On pense que cela facilite la mort. A Ithurrotz, on entr'ouvre la fenêtre de la chambre où agonise la personne pour que son âme s'échappe jusqu'au ciel. Dans la région de Cenarrusa, Menaca et Oyarzun, on ouvre les portes et les fenêtres de la maison.
Quand une personne est morte, tout n'est pas achevé pour elle. On croit à la survie de quelque chose d'elle, de l'âme, de sa force vitale avec sa capacité de percevoir, de penser et d'aimer. La personne n'a pas péri, même si elle a abandonné son support matériel et terrestre. Ceci suppose une conception spéciale de l'homme et du monde, qui n'est pas l'exclusivité de notre peuple basque, dans laquelle l'ordre naturel trouve son sens et sa référence finale.
Dans certains villages, existe la croyance que mourir pendant la Semaine Sainte, ou le jour de l'Ascension, ou par temps de pluie est signe que le défunt est sauvé.

ANNONCES

Quand le décès est arrivé, les familiers du mort suspendent leurs travaux et avertissent le premier voisin. Celui-ci avec les siens revêt le cadavre de son linceul, d'un habit religieux ou de son habit de mariage, selon la coutume des différentes régions et lui met dans les mains une croix de cire. Il se charge des travaux de la maison mortuaire. Il informé aussi le curé, les parents et le sonneur de cloches qui annoncent aux paroissiens le décès. C'est la coutume aussi que le premier voisin ou un familier du défunt fasse l'annonce aux abeilles de la propriété, en frappant avec la main sur les ruches et disant des paroles semblables à celles de Liguinaga: «Réveillez-vous, votre nourricier est mort !». Ils font de même pour les autres animaux domestiques, qu'ils obligent à se lever. S'ils ne procèdent pas ainsi, par la suite les abeilles meurent, et certains des autres animaux domestiques. Deux voisins veillent le cadavre pendant la nuit.
Dans certains régions, on couvre avec un voile noir une ruche de la maison, le blason qui figure sur la façade, les glaces des chambres et le bouquet de fleurs cueillies le jour de la Saint-Jean fixé à la porte d'entrée.

CHEMIN

Un ou deux jours après la mort, le cadavre est conduit à l'église, accompagné de ses familiers, de ses parents et de ses voisins. Quand le corps est sorti de la maison, le premier voisin en fait sortir les animaux domestiques. Quand le cortège passe à-côté du rucher de la maison du mort, un voisin soulève le couvercle des ruches.
Le chemin que doit parcourir le convoi funèbre, celui qui réunit la maison mortuaire à l'église et au cimetière, reçoit différents noms selon les régions : Zurrumbide dans les villages de Navarre, Elizabide (Uhart-Mixe), Hilbide (Saint-Etienne), Erribide (Fontarrabie), Korputzbide (Andoain, Ataun, Oyarzun), Kuntzabide (Cegama), Kuntzekobide (Menaca), Andabide (Cenaruzza, Orozco, Bedia, Berriz), Camino de Antiglésia (Soscano), etc. Ce chemin a été respecté encore dans de nombreux villages et aucun ne doit être utilisé pour la conduite des corps depuis leurs demeures respectives. Et s'il se trouve un tronçon de chemin impraticable, et qu'il soit nécessaire de traverser une propriété privée, ce fait crée une servitude de chemin (Kortezubi, Ithurrotz). Aux carrefours, tous les assistants s'arrêtent et récitent chacun un répons.

OFFRANDES

Pendant la célébration de l'office funèbre dans l'église, de nombreux cierges ou des chandelles (3) brûlent à l'emplacement de la sépulture symbolique que la maison du mort possède dans l'église. Ce sont les offrandes des parents ou des voisins du village. Au milieu d'elles se trouve l' «argizaiola», tablette anthropomorphique autour de laquelle est enroulée une mèche de cire symbole permanent de tous les ancêtres enterrés à cette place.
En plus de l'offrande des lumières, on fait sur la même sépulture une autre offrande non moins importante, celle de nourritures. Une coutume antique est conservée jusqu'à notre temps dans certains endroits : une jeune voisine du défunt apporte à l'église une corbeille pleine de pains destinés à être placés pendant les obsèques sur la sépulture de la maison du mort. Ces pains d'offrandes ont en beaucoup de cas trois pointes ou quatre quelquefois, de sorte qu'ils reproduisent la forme d'un swastika ou d'un triskèle (4).
Une autre forme d'offrande, autrefois très générale, consiste à amener sur la sépulture un animal qui doit y rester pendant les obsèques. A Oderiz, Iraneta, Arraiz et Arano (jusqu'en 1880), c'est un mouton. A Oyarzun aussi on amenait jusqu'au portail de l'église un mouton qui devait y rester pendant la cérémonie de l'enterrement. A Vera de Bidassoa, à Lecarroz, à Ciga et à Beorburu, la viande est un des éléments de l'offrande aux morts. Cette coutume d'offrir de la viande et des animaux vivants vient des temps antiques. A Cenarruza, au XVIIIe siècle, figuraient dans les offrandes des pains, de la viande, une poule et du lard. Selon le Père Larramendi c'était une coutume générale, dans les grandes funérailles, de conduire à la porte de l'église un bœuf vivant ou un mouton (5). Gorosabel dit qu'il était assez habituel pour la maison mortuaire de présenter une paire de bœufs à la porte de l'église... ainsi que de payer une somme d'argent pour leur rachat (6). C'est ainsi que, encore en 1787, dans les offices funèbres célébrés pour l'âme du recteur défunt de l'église paroissiale du Conseil de Aizarnazabal on a présenté aux portes de cette église un bœuf vivant avec deux pains de quatre livres plantés sur des piques. D'après le même Gorosabel, le chapitre de Berasteguy eut la prétention en 1796 d'obliger les héritiers du défunt à offrir, pour le ou les propriétaires un mouton, pour les fermiers des poules, «coutume qu'ils qualifiaient de sainte». Don Julio de Urquijo a tiré d'un document du XVIIIe siècle relatif aux coutumes de Ascoïtia le texte suivant: «A l'offrande, on amena à la porte de l'église un bœuf qui fut racheté pour huit ducats». Le même auteur rapporte un fait dont Domingo de Aguirre fut témoin en 1898 à Oiquinia en Guipuzcoa: «A l'entrée de l'église de Oiquinia pendant un enterrement, un bœuf fut amené tranquillement la tête contre la porte, ornée d'une chasuble noir, un gland pendu au cou et un pain planté sur chaque corne». Dans le même article sur les «choses d'autrefois» (7) Urquijo dit que dans les constitutions synodiales de l'évêché de Calahorra des années 1602 et 1700, il n'y a aucune allusion aux offrandes d'animaux, mais on y interdit d'amener le cheval du défunt à l'enterrement.

L'ALIMENTATION DES MORTS

C'était une vieille croyance que ces cierges et ces offrandes de pain, de viende, d'œufs, etc ; éclairent et nourrissent les morts dans leur existence d'outre-tombe. Ainsi on raconte à Kortezubi que dans les mines de Somorrostro le toit d'une galerie s'effondra, ensevelissant plusieurs mineurs. Des années après l'effondrement, l'endroit fut dégagé et dans un renfoncement on trouva un mineur vivant.
Celui-ci était de Axanguiz, une maison de la région de Gernika. Comme on lui demandait comment il avait pu passer tant de temps dans cette situation, il déclara que, durant son long séjour dans cette prison, il n'avait été privé de lumière qu'un jour, celui où sa mère, empêchée par une tempête, n'avait pu aller à l'église allumer le cierge sur la sépulture familiale.
A Berastegui, on raconte la même légende pour justifier la coutume d'apporter des offrandes de pain et de lumières sur les tombes. A Ataun, on entend dire qu'il faut offrir des lumières aux morts, même si on n'allumait qu'une simple mèche de soufre.
A Liguinaga, on n'apporte pas d'offrandes actuellement à l'église pour motif de funérailles, mais jusqu'à ces dernières années on offrait deux ou trois pains. Pour ceux-ci on disait qu'ils perdaient toute leur substance nutritive pendant l'office funèbre; selon la croyance populaire, elle était absorbée par l'âme du défunt pour qui se font les obsèques. On dit aussi que les lumières qui brûlent à cette occasion dans l'église autour du cercueil et à côté de la sépulture éclairent le défunt dans l'autre monde » (8).
Selon des informations d'Oyarzun, Andoain et Axpe, il y a dans ces localités la croyance que les âmes des défunts mangent réellement une partie des pains que l'on dépose comme offrande sur leurs sépultures pendant la célébration des obsèques et la messe. C'est pourquoi on dit à Arechevaleta, en Guipuzcoa, que le pain d'offrande, quand il a été exposé sur la sépulture, pèse moins qu'avant (9).

LES FEUX

Un autre type d'offrande ou de rite funèbre est la combustion d'objets, symboles d'anciens sacrifices. Au début de ce siècle, la coutume était très répandue de brûler la paillasse de la chambre où était mort quelqu'un. Elles étaient faites alors de paille ou d'enveloppes de maïs, d'où leur nom de lastaia, lastaida, lastaria... de lastopaille. A Sare, si le sommier était métallique, on brûlait à la place une botte de paille. L'opération se faisait à un carrefour du chemin funéraire, pendant qu'on célébrait à l'église l'office funèbre, ou pendant la nuit qui suivait.
Ceux qui brûlaient la paillasse récitaient en même temps un Pater, et, en certains endroits, aspergeaient le feu d'eau bénite. Les restes de la combustion rappelaient au passant la mort survenue dans la maison voisine, et l'invitaient à réciter une prière pour le défunt. Aujourd'hui rares sont les lieux où survivent ces rites (10).

LA SEPULTURE ET LES AGAPES

Après l'office funèbre célébré dans l'église paroissiale a lieu la sépulture. A Sare, par exemple, tous les assistants aux funérailles sortent dans le même ordre où ils sont entrés dans l'église, précédés de la croix paroissiale, du clergé et du cercueil. L'accompagnant jusqu'à la sépulture dans le cimetière qui entoure l'église, se déroule le cortège. Quand le clergé a terminé de réciter les prières du rituel, les porteurs du cercueil l'introduisent dans la fosse, pendant que les gens du cortège défilent devant et sortent sur la rue. Là, ils s'arrêtent en formant une file le long du chemin de la maison du mort. Chacun récite à voix basse une prière et le cortège se disperse. Seuls lès parents et les étrangers, sur l'invitation du premier voisin (Ieenate), retournent à la maison mortuaire. En passant à l'endroit où a été brûlée la paillasse de la chambre du mort ou la botte de paille symbolique, ils s'arrêtent, se signent et prient. Ils entrent dans la maison avec le premier voisin et sa femme et y prennent la collation appelée le «repas des messes» (mezatako bazkaria) qui consiste en bouillon, viande rôtie et café. A la fin, ils disent le De Profundis et se retirent.
Ailleurs, comme à Uhart-Mixe et autres lieux de BasseNavarre et de Soule, devant le portail, un voisin pose à terre une botte de paille (lasto azau) et y met le feu. Tous ceux qui sont présents entourent la petite flambée et disent un Pater, Ave et Requiem. Ensuite ils entrent dans la maison et mangent le repas de funérailles (11).
A Doneztebiri, c'est le chantre de la paroisse qui dirigé cette cérémonie. Quand la maison mortuaire se trouve loin de l'église, le repas de funérailles se tient dans.une auberge du village. Là vont, après l'enterrement, les parents et voisins avec le chantre. Dans ce cas la botte de paille symbolique est brûlée devant l'auberge ; là se rassemblent ceux qui composent le cortège revenant du cimetière et qui ont exécuté la cérémonie de prières mentionnée autour des cendres.
Dans tous les villages du Pays Basque existe la coutume d'offrir à certains ou à tous ceux qui participent à un enterrement un repas ou une simple collation, espèce de banquet funèbre qui aujourd'hui évidemment n'a plus le contenu mystique d'autrefois. A Otazu, après les obsèques, les assistants distribués en deux groupes, celui des «honneurs» et celui de la «charité», passent à la maison mortuaire où on leur offre du pain, du fromage et du vin. On leur donne aussi des pruneaux dont chacun garde quelques-uns pour les distribuer aux membres de sa famille, qui ont ainsi l'obligation de prier pour le défunt. Ensuite, tous se groupent autour d'un des plus anciens du cortège qui, de suite, dirige la prière de deux Pater, un Salve et un Credo, et termine par ces paroles: «Revoyons nous tous au Ciel». Alors un garçon s'approche de l'ancien et lui offre du vin. L'ancien se découvre et le boit, et tous ceux qui sont présents font de même.
Le 27 mars 1911, à Ithorrotz, à l'occasion de la mort de son grand-père, M. Pierre Lafitte a été le témoin d'un rite qu'il décrit ainsi: «Tous les assistants de l'enterrement furent invités au banquet. Ceux de la famille, nous mangions ensemble dans la salle supérieure; les autres en bas dans la partie appelée «borda». Après le repas, on nous dit qu'en bas, ils allaient commencer les prières et que nous descendions tous chacun avec notre verre, dans lequel devait rester un doigt de vin. Quand nous entrâmes dans la «borda», tous se tinrent debout, chacun son verre à la main. Les servantes retirèrent les nappes des tables. Le chantre, Victor Coustau, de Erretoraena, se découvrit, et tous vidèrent leurs verres en faisant couler le vin sur les tables, moi comme les autres. Ensuite, tous trempèrent dans ce vin le bout des doigts de la main droite comme si c'était de l'eau bénite et se signèrent. Plus tard, je demandais à diverses occasions à Victor Coustau ce que signifiait cette cérémonie mais je ne réussis pas à obtenir d'autre explication que ceci: «Nos ancêtres faisaient ainsi». Pour moi, il ne m'est pas sorti de la tête que les libations des païens latins nous sont restées à Ithorrotz et à Olhaibi, même quelque peu christianisées au moyen du signe de la croix». (12)
A Cegama où on sert du pain et du vin aux assistants, on appelle cette collation «karidadea» (13), et ceux qui y participent gardent un peu de pain pour le ramener à la maison et le donner à manger à tous ceux de la famille, de la même façon que pour le pain béni qui était distribué dans les églises durant la messe dominicale il y a peu de temps encore.
A Galarreta, ils servent des raisins et du fromage, et tout le monde en garde quelque chose pour le ramener à la maison et le répartir dans sa famille pour que chacun récite au moins un Pater pour l'âme du défunt. A Salcedo, le cortège funèbre est composé comme à Otazu et Ithorrotz par deux groupes, celui des «honneurs» (honra) qui comprend les parents et les proches, et celui des «charités» formé par le reste des assistants.
Chaque groupe occupe à l'église la même place que dans la maison mortuaire où tous vont après l'ensevelissement, les premiers entrant à l'intérieur et les autres restant devant l'édifice. Là, tous, sous la direction du curé du village qui se tient sur la porte, récitent une prière pour le défunt. Puis ceux du groupe de charité sont «régalés» (14) de pain et de vin et, en suivant, tous se lèvent et un ancien les invite à réciter avec lui pour le défunt un Pater et un Ave auxquels répondent les assistants. Ensuite, ils récitent un Salve et prennent congé en disant: «Nous le voyons dans le Ciel». Ceux du premier groupe («les honneurs») comme le sacristain mangent à l'intérieur de la maison mortuaire. Au début et à la fin des agapes ils prient tous de la même façon que la «charité» avec la seule différence que cette fois la prière est dirigée par le parent le plus notable par son âge ou sa dignité.
Comme on le voit par les renseignements que nous avons recueillis, la distinction de deux groupes dans le repas funèbre, ceux qui y vont par obligation et ceux qui y vont par charité, semble avoir été générale dans le pays. Les premiers sont de la maison et ont des liens spéciaux qui les unissent; ceux du second groupe n'appartiennent pas à la maison, mais ils sont unis à ses habitants sur un autre niveau social dont le ciment est la charité chrétienne basée sur une même foi et une même espérance. Tout ceci correspond à une conception de la vie et à un plan et un ordre social dans lequel la maison est considérée comme le centre d'une entité ou d'un groupe domestique et comme le noyau et la base inviolable et indivisible de la famille à laquelle son attachement aux morts donne fermeté et consistance.

L'EMPLACEMENT DE LA TOMBE

Chaque maison possède sa tombe à côté de l'église paroissiale, ou à l'intérieur, dans lequel cas la pierre qui la recouvre est le «jarleku», parcelle attribuée à la dite maison. Mais avant l'introduction du christianisme, la maison du même devait servir à la sépulture familiale.
Dans la montagne de Ataun-Burrunda-Altzania, se trouvent une série de dolmens ou sépulture de l'âge du cuivre (énéolithique). Son nom vulgaire, tel qu'il nous est parvenu, est «la maison des païens» (jentiletxe). Un dolmen de la montagne de Saadar (Cegama) a pour nom la maison du «Tartalo» (Tartaloetxe); un autre à Arrizala, «Maison des sorcières» (Sorguinetxe) ; un autre à Elvillar «Chabola de la Hechicera» (maison de la sorcière); un autre à Mendive en Basse-Navarre «Maison de Mairi» (Mairietxe).
Il est possible que l'emploi du vocable maison (etxe) pour désigner d'autres anciennes sépultures ne soit pas dû précisément à une relation de celles-ci avec les habitations humaines. Mais, étant donné le site de nombreux dolmens de notre pays, on peut dire que les demeures de leurs constructeurs devaient se trouver à leurs côtés. La distribution et le territoire de ces monuments nous rappelle une population pastorale comme celle qui transhume aujourd'hui avec des bergeries dans des sites appropriés à leur mode de vie. C'est dans ceux-ci que se trouve précisément la plus grande partie des dolmens. A l'époque suivante, le fait se répète, à en juger par les restes d'habitations et les fosses sépulcrales de l'âge du bronze situées en Sabaltierrabide. Plus récents (d'époque wisigothique) sont les habitats avec sépulture, des grottes artificielles de l'Alava.
Cette coutume, bien que restreinte à des cas déterminés, est parvenue jusqu'à nous. On connaît la pratique, toujours observée dans le premier quart de ce siècle, d'enterrer sous l'auvent de la maison ou dans le jardin («baratza») contiguë à la maison les enfants morts sans baptême; la même exigence, stéréotypée dans ces populations, veut que la personne dont la conduite ne se conforme pas aux normes chrétiennes soit enterrée sous l'auvent de sa propre maison.
Dans beaucoup de localités de la Basse-Navarre, on ne plante pas de fleurs dans une petite parcelle de terrain contre la maison qu'on appelle «le jardin de la dame de la maison» (Etxekanderearen baratza). Là sont enterrés sous une tuile les enfants morts sans baptême (15).
Le concept de sépulture a été très lié à celui de jardin potager. Le jardin des païens (Jentilbaratz) est une antique forteresse aujourd'hui en ruines Située sur un piton élevé au-dessus du défilé et du col de Arratera (Ataun); on dit que là sont enterrés les païens. Enclavée dans les limites de la Navarre et du Guipuzcoa, elle était encore en service aux XIIIe et XIVe siècle et au début du XVe siècle. Le même nom de Jentilbaratza désigne en Arano les nombreux cromlechs existant dans cette région.
A Oyarzun, on appelle «jardin des mairu» (mairubaratza) les cromlechs qui existent dans les montagnes de cette localité. On dit que les sorcières (intxixu) y sont enterrées.
Dans le cas dont nous parlons des enfants morts sans baptême, l'enterrement se faisait dans l'enceinte même de la maison, dans la Rioja de la province d'Alava. En Biscaye et en Guipuzcoa, il se faisait aux alentours de la maison entre le mur de celle-ci et la ligne de la gouttière.
L'Annuaire d'Eusko Folklore (16) a consigné les renseignements suivants de Kortezubi (Biscaye): «Itxusuria est le nom de la gouttière du toit et de la terre qu'elle surplombe. A cet endroit sont enterrés les enfants morts sans baptême. C'est ce qu'ont appris tous mes informateurs. L'un d'eux, Lorenzo de Bengoetxea, a assisté il y a 25 ans à l'enterrement d'une de ces créatures dans Vitxusuria du côté gauche de la maison Andikoetzeta. Un autre informateur, Martin de Aranaz, a vu enterrer deux enfants dans les itxusuria de deux maisons de Riqoitia, il y a cinquante-cinq ans. Dans le même annuaire, il est dit qu'un enfant mort sans baptême fut enterré au début de ce siècle dans le jardin de la maison Arguinene d'Oyarzun. On a procédé de même à Sare, selon une information de 1942.
Une indication que cette coutume a été très répandue dans notre pays est que nous l'avons trouvée vivante dans des localités très distantes entre elles. En plus des cas cités nous en connaissons d'autres à Oyarzun, Biriatou, Motrice Mendaro, Arechevaleta, Sare, Liguinaga, Uhart-Mixe, etc… (17).
A cette coutume est liée sans doute la pratique d'allumer des lumières (Motrico), et de déposer des nourritures ou de l'argent comme offrande (Ataun) pour les défunts de la maison aux fenêtres donnant sur le «baratz», ce cimetière domestique supposé, afin d'obtenir des ancêtres quelque faveur comme de retrouver une chose perdue ou disparue. Ceci démontre que le jardin, les alentours de la maison et la maison même ont un caractère de panthéon domestique.
Maintenant la sépulture de chaque maison se trouve au cimetière. Elle reçoit les noms de hilarrieta et d'ilarguieta (Sare), ilherri (Liguinaga), zimitorio (Oyarzun), kanpusantu (Ataun), ortusantu (Cortezubi), camposanto, cementerio, etc... La sépulture s'appelle obi, hobi, illobi, hilobi, hilari, ilargi, tomba, fuesa, sepultura, etc...
Les sépultures (fosses ouvertes dans la terre et couvertes par des pierres) ont été adjointes à l'église dans chaque localité pendant des siècles (depuis le XIIIe siècle selon Frankowski). Jusqu'au début du XIXe siècle, elles se trouvaient à l'intérieur de l'église paroissiale dans une grande partie des villages. Mais la coutume d'enterrer aux environs de l'église, générale aujourd'hui dans les villages du Labourd, de la Basse-Navarre et de la Soule (18), répond à une tradition très anciennes. Les sépulcres et les stèles d'Arguineta (Elorrio) probablement du IXe siècle, ont occupé des lieux voisins d'anciens ermitages. Nous pouvons dire la même chose de plusieurs sépultures que nous avons fouillées près des sanctuaires d'époque wisigothique à Faido, Albaina, Lano, Marquinez et Corro. Bien que le cimetière ait été séparé de l'église dans le pays basque péninsulaire, de nombreuses pratiques attachées au souvenir des morts ont continué à l'intérieur de celle-ci. Ainsi les offrandes de lumières, de nourriture et d'argent, les prières et certaines pratiques rituelles comme les répons pour les ancêtres, l'incorporation d'un nouveau membre à la famille par le mariage, etc. qui se font aux emplacements (jarleku) de sépultures symboliques que les maisons ont marquée dans l'église paroissiale pour ces fonctions.
Les sépultures des églises ont une orientation fixe de sorte que les pieds du défunt se trouvent orientés vers le maître-autel ou l'abside, et la tête du côté opposé. Comme l'abside occupe généralement la partie orientale de l'église, il en résulte que les sépultures chrétiennes ont réellement une orientation Est-Ouest. Dans les sépultures creusées dans le rocher autour des ermitages, comme sur la hauteur de Saint Jean de Martinez (19) et à Saint Michel de Faido (20), comme celles qui sont construites en moellons de pierre à côté des temples wisigothiques de Goba de Lano (Alava), l'orientation Est-Ouest est constante comme celle qu'avaient les dolmens et les sépultures énéolithiques.

LES LIENS ENTRE L'EGLISE, LA TOMBE ET LA MAISON

Les faits que nous avons notés indiquent que primitivement la maison fut à la fois une habitation, un atelier, un temple et un panthéon domestique. Avec le christianisme, le panthéon se sépara du foyer pour occuper un lieu commun aux autres maisons, en la forme d'un même temple. Mais il resta lié à la maison par l'intermédiaire d'un chemin (elizabide, ilbide, zurrunbide). Depuis le patrimoine domestique comprend le foyer et la sépulture, et ces deux éléments forment un ensemble qui ne se sépare pas. Aucun des deux n'est la propriété personnelle du chef de famille ; ils existent pour le bien de tous ceux qui font partie de la maison : ils sont le patrimoine du groupe domestique. Pour cela, tous les membres de la famille ont le droit d'être enterrés dans la tombe de leurs ancêtres.
La tombe à l'intérieur de l'église s'est généralisée depuis le XIIIe siècle, ce qui fit que les stèles de tombeaux disparurent dans une grande partie du pays, et que prirent de l'importance les tablettes de cierges enroulées qui prenaient la place des pierres tombales (argizaiolak) et des sépultures symboliques des églises actuelles (jarlekuak).
Quand quelqu'un est institué héritier du patrimoine familial, on lui rappelle ses liens avec les ancêtres et ses obligations envers eux, ce qui se fait généralement en les formulant dans le contrat de mariage, et lors de son installation définitive comme jeune maître de la maison paternelle.
Dans certaines localités comme Sare, les fiancés font célébrer des messes pour les ancêtres des deux familles quelques jours avant leur engagement par le mariage. Le jour de la noce, après l'engagement matrimonial et la messe qu'on célèbre pour eux, les nouveaux époux se dirigent vers les sépultures de leurs deux maisons et y prient avec leurs familiers et les assistants de la noce.
Dans beaucoup d'endroits, il est de coutume que la nouvelle mariée présente une offrande à la sépulture de la maison de son mari peu de jours après son installation, le premier dimanche après la noce en certains endroits. C'est une façon de s'incorporer à la nouvelle maison et aux ancêtres de son époux et de prendre possession de la sépulture et de la maison comme maîtresse de maison (etxekoanderea).
D'autres traits d'observance antiques supposent un caractère commun à l'église, à la tombe et à la maison. Je me réfère au fait de tourner autour des lieux sacrés et aux effets de cette pratique.
Selon certaines croyances il est dangereux de tourner un nombre déterminé de fois autour des églises. A Behasteguy, on raconte qu'une femme de la maison Jaulei devint ensorcelée pour avoir fait trois fois le tour de l'église paroissiale du village. A Oñate, on dit que si quelqu'un fait trois fois le tour d'une église, il est aussitôt emporté par le diable. A Zarauz. on croit que les personnes qui ont l'audace de tourner trois fois autour de l'église, leurs morts leur apparaissent. Faire cinq fois le tour d'une église est dangereux, dit-on à Elorrio. Une femme avait parié de le faire et commença à tourner autour d'une église en tenant un enfant dans les bras; au cinquième tour elle entendit une voix lui dire: «Remercie l'enfant que tu portes, sinon tu n'aurais pas vécu longtemps».
A Garay, on dit que c'est aussi dangereux de faire trois fois le tour du cimetière. A Ataun, la même croyance existe. A Galarreta, on soutient la même chose et on dit qu'au troisième tour un mort apparaît ou une lumière verte dont la vision fait peur et oblige à reculer. Une croyance semblable existe à Berriz. Egalement à Leiqueitio, on entend dire que si quelqu'un passe à côté d'un cimetière après la sonnerie de l'Angélus de la nuit, un mort lui apparaît (21).
Le danger inhérent aux circonvolutions autour des églises et des cimetières existe aussi pour ceux qui veulent tourner autour des maisons. Ainsi à Kortezubi, on ne doit pas tourner trois fois autour d'une maison après la sonnerie des défunts qui a lieu au printemps à neuf heures et en hiver à huit heures. On dit que quelqu'un avait fait le pari de faire les trois tours mais qu'il ne réussit pas et trouva le malheur. A Oñate, on raconte la même chose. A Abadiano, on ne peut pas faire les trois tours à midi sauf s'il existe un laurier contre un des murs. A Ataun, on dit aussi qu'on ne peut pas faire de nuit trois fois le tour d'une maison sur un pari, si on ne tient pas à la main une branche de laurier. Quelqu'un qui avait prétendu le faire disparut mystérieusement. A ce sujet, je m'en réfère à ce que m'a dit Felipe de Guirre, maître de la maison Mendiurkullu: toutes les fileuses se réunissaient toutes les nuits dans la maison Erremedio. Quelqu'un dit: «Personne ne peut de nuit tourner trois fois autour d'une maison». Une des femmes appelée Catherine dit qu'elle le pouvait et que sans peur elle ferait les trois tours. Et aussitôt elle sortit pour faire le tour, mais elle ne revint pas. Alors ses compagnes se mirent à la porte et rappelèrent: «Catalina ! Catalina !» Et elles entendirent des pannes qui semblaient venir du pont de Ertzillegui, une maison du voisinage: «Catalina, oui ! Catalina ! Moi, Gaueko, j'ai emporté Catalina!» (Gaueko est le génie de la nuit). Mais elles ne trouvèrent plus trace de Catalina. Depuis, le pont d'Ertzillegui est appelé «le pont de Catalina».

LES APPARITIONS

Les traditions nous font connaître que certains actes commis autour de la maison, l'église et le cimetière provoquent la présence ou l'apparition des défunts.
Les morts se présentent aux vivants sous diverses formes, comme des lumières, des ombres, des bruits» des rafales de vent ou comme ils étaient de leur vivant.
Le croyance que les âmes des défunts apparaissent sous la forme de lumières est très étendue au Pays Basque. Nous l'avons rencontrée au cours de sondages faits dans les milieux les plus attachés aux traditions locales, particulièrement à Ostabat, Sare, Zugarramurdi, Ciga, Cenarruza, Galarreta et en d'autres localités.
Il y a des endroits (Soscano, Cenarruza, Cortezubi, Orozco, Galarreta, Ataun) où l'on croit que les défunts apparaissent avec leurs corps et les vêtements avec lesquels ils ont été ensevelis, un cierge allumé à la main, cierge que dans la région de Menaca on dit fait d'un os humain. Quelquefois, ils montrent aussi des attributs de leur profession (Ataun, Liguinaga). L'utilisation d'os humains comme torches pour la nuit apparaît dans un récit d'Ataun où un voleur se servit de ce moyen pour éclairer le coin où il opérait. Dans le pays de Cize, Gil Reicher et René Lafon ont recueilli une légende semblable à celle d'Ataun. Un voleur, en effet, s'introduisit dans le château de Lahostanea. Il portait un «mairu beso» (un bras de «Mairu»), c'est-à-dire un bras d'enfant nouveau-né mort sans baptême. Il l'alluma et se servit de lui comme une torche qui fit que, en même temps, les habitants du château dormirent d'un sommeil magique (22).
Une autre conception de l'âme que révèlent les croyances de Guernica est que les défunts apparaissent sous forme d'ombres, et pour cela on les appelle «gerixetiek» (les ombres). Cette croyance existe aussi dans la région de Orozco. On raconte qu'un voisin de la maison de Santuena se rendant à l'église, vit en plein soleil, contre lui, deux ombres de forme humaine. Il les revit au retour de l'église. Soupçonnant que la seconde ombre était celle d'un défunt, il lui demanda de lui apparaître. L'ombre lui répondit qu'elle avait manqué d'accomplir une promesse faite durant sa vie terrestre, de faire célébrer une messe. L'homme de Santuena fit célébrer la messe. Celle-ci achevée, il vit l'âme sous la forme d'une palombe, disparaître dans les airs.
En certaines régions (Menaca), il est admis que les morts apparaissent à partir du soir jusqu'à minuit. Après, le chant du coq les oblige à se retirer, surtout si c'est un coq de mars. Plus étendue est la croyance que les âmes des trépassés errent dans le monde depuis l'heure de midi, le jour de la Toussaint jusqu'à la même heure le Jour des morts. A Larrabezua, on dit que les trépassés reviennent dans leurs maisons pour la nuit de Noël et laissent des traces de leurs pieds dans la cendre du foyer.
On dit généralement aussi que, la nuit, après que la famille s'est retirée pour dormir, les morts de la maison viennent à la cuisine (d'autres disent les anges) et ramassent les offrandes qu'on y a mis de côté pour eux, lumière ou nourriture.

LE ROLE DES LAMINAK

Dans les thèmes des croyances précédentes, les défunts paraissent fréquemment avoir été remplacés par les «laminak». Les habitants de Basterretche, selon Barbier (23) avant de se retirer dans leurs chambres laissaient au coin du feu des tranches de pain de maïs grillé et des bouts de lard avec une écuelle de lait. La nuit les laminak venaient et mangeaient ce repas. A Saint-Martin d'Arberoue, ils laissaient du pain de maïs pour les laminak et ceux-ci, après l'avoir mangé, en récompense, travaillaient dans les terres de leurs bienfaiteurs. A Uhart-Mixe, ils leur laissaient de la nourriture sur le bord de la pièce de terre où ils travaillaient. Dans la nuit les laminak venaient et terminaient le travail qui n'était pas achevé. Le berger de la maison Sunbillenea (Arraiz-Ulzama) apportait tous les jours aux laminak de la grotte de Abauntz, une écuelle pleine de lait. Selon une autre version, il leur apportait du caillé. A Orozco, on leur laissait une cruche de cidre; les laminak la buvaient pendant là nuit et ensuite se retiraient contents : s'ils ne trouvaient pas cette offrande dans la cave, ils rompaient les tonneaux avant de s'en aller.
A Ataun, Kortezubi et autres lieux, en entassant les braises du foyer avant de se rétirer pour dormir, on invoque les anges par cette formule: «Pendant que je recouvre les braises, que les anges entrent dans le foyer pour benir tous ceux qui habitent dans cette maison!». A Mendive, ils appellent «saindi-maindiak» les visiteurs nocturnes du foyer. D'après Pierre Lafitte, de la région de Saint-Palais, ce sont les «etxejaunak» qui viennent de nuit dans la cuisine: génies bienveillants pour leurs habitants, ils montrent leur mauvaise humeur si les braises du foyer s'éteignent ou si la vaisselle employée pour le dîner n'a pas été lavée ni rangée.

L'ANIMISME DANS LES CROYANCES

La croyance dans les défunts qui apparaissent avec leurs corps ou sous une autre forme se maintient dans un milieu où est acceptée la conception animiste du monde. Laissant de côté les mythes qui entrent en scène, les génies des astres de la terre, des météores et des autres éléments et phénomènes naturels, nous citerons quelques fait qui touchent de plus près à notre cas. Ainsi en est-il des statues ou images de la Vierge considérées comme des sœurs, certaines effigies de saints qui parlent et qui marchent, comme on le dit de Saint Michel de Erenusarre, de la Vierge de Aranzazu, de celle de Eizaga de Zumarraga, de Saint Roch de Plasencia, de Saint Jean de Gastelugatxe, de Saint Victor de Corro, etc. Il y a là des explications possibles de phénomènes ordinaires, des théories personnelles dont on n'a pas fait le lien avec la nature scientifique; ou bien on n'a pas réussi à soumettre les faits naturels à une observation et une expérimentation appropriée. Mais certaines pratiques inspirées par la magie supposent la même conception; il en est ainsi de celles auxquelles sont soumisse les images de la Vierge de la Rosa à Bermeo, de Sainte Lucie à l'ermitage de San Esteban de Goiburu (Andoain), de Ermua (Llodio), de Saint Cristobal (Arrazua)...
Il y a des pierres que les légendes supposent en rapport avec les défunts. Elles peuvent nous éclairer sur le contexte dans lequel ont été conservées les stèles funéraires. On peut signaler la pierre de Arane, celle de la Pastora, celle de la sainte de Arpe (24) et celle de Andrearriaga.
Il y a un col situé sur les confins de Gorbea dans la région de Orozco désigné sous le nom de «Araheko-harri». On raconte qu'une jeune fille de la maison Arane s'en alla à Gorbea pour ramener ses brebis qui paissaient dans cette montagne. Mais, enveloppée soudain par un nuage épais, elle se perdit de telle sorte qu'elle ne put retrouver le chemin de sa maison. Vint la nuit, puis arrivèrent des loups qui la dévorèrent. Sa famille la chercha en vain plusieurs jours. Ils ne trouvèrent plus tard que sa chevelure au col d'Araneko Harri (la pierre d'Aran). J'ai visité les lieux le 23 mai 1922 et j'y ai vu deux pierres enfoncées comme pour former les deux côtés d'une chambre dolmenique. Elles perpétuent sans doute le nom et la légende.
L'histoire de la bergère d'Orozco ressemble à celle de Eterna, un village de la région de Burgos, que m'a racontée un habitant de Pradilla le 3 juillet 1957. Une jeune fille de cette localité gardait ses brebis sur le mont Larrea. Un jour elle les ramena à la maison mais il en manquait deux ou trois. Ses parents lui ordonnèrent de retourner à la montagne pour chercher les brebis perdues. Elle monta donc à Larrea où elle rencontra les loups qui la dévorèrent. A cet endroit on voit aujourd'hui une antique stèle de pierre, un monolithe semi-cylindrique de forme humaine qu'on appelle la Pierre de la Bergère. Elle porte sur un côté une figure de femme et à son pied l'inscription aran qui rappelle le nom et la légende des dolmens d'Orozco.
Sur le territoire d'Andrearriaga (Oyarzun), près de la maison Anderregui, il y avait une pierre de l'époque romaine qui figure aujourd'hui au musée de San Telmo de Saint-Sébastien. Sur une de ses faces, il y a une image gravée d'un personnage monté en amazone sur une jument et, en dessous, une inscription incomplète et confuse dans laquelle il semble qu'on peut lire: ULBELTESONIS qui peut être le nom d'une divinité locale. A cette pierre et à un ermitage qui se trouvait à un angle de ladite maison Anderregui se rapporte une légende connue dans la région. Elle raconte qu'une femme qui passait par là à cheval s'arrêta à l'ermitage et enleva à la Vierge qu'on vénérait un rosaire qui pendait à ses mains. Elle repartait sur son cheval quand, à un jet de pierre de l'endroit, une personne lui donna l'ordre de rendre ce qu'elle avait volé. Elle nia le fait disant «Arribiur» qui est une forme de serment signifiant: «Que je sois changée en pierre si je mens». Du coup, elle fut pétrifiée sur place. Andrearriaga signifie «le lieu de la pierre de la femme».
Un autre cas de «dame de pierre» (andre-arri) est celle qu'on appelle vulgairement la «sainte de la grotte» (Arpeko saindua). Il s'agit d'une colonne stalagmitique de forme vaguement humaine située au fond d'une grotte de Bidarray. Celle-ci s'ouvre dans les bancs de poudingues et de grès qui forment les escarpements méridionaux du mont Zelharburu, un des contreforts de la montagne Artzamendi-Iuskaï.
C'est une zone pastorale de tradition ancienne. Sur le sommet de Zelharburu, au col appelé Iukadiko lepo, existent divers cromlechs, un menhir et un dolmen et dans les collines voisines de Iuskai (ou Iuskadi) et d'Artzamendi divers groupes de cromlechs. Les visiteurs de cette « sainte » de la grotte viennent de tous les points cardinaux, traversant les vallées et escaladant les montagnes, par les chemins tortueux qui partent d'Errazu, d'Amayur, d'Ainhoa, d'Itxassou et de Bidarray. Cette dernière route est la plus fréquentée. Traversant la Nive à Bidarray par le pont Onddoene (25) qui selon la légende fut construit en une nuit par une armée de «laminak», on prend à droite un chemin qui remonte, le. long du ruisseau Bastan erreka; on longe un bassin appelé Arranteia ; il faut plus loin traverser le ruisseau dans un ravin étroit par le Pont d'Enfer (Infernako-zubi); on continue en traversant de nouveau le ruisseau et on prend le sentier qui mène à la ferme Arrusia située sur le flanc méridional du mont Zelharburu, près du santcuaire souterrain. On monte sur trois cents mètres en direction de l'Ouest-Nord-Ouest et on arrive à la grotte de Arpeko saindua.
L'entrée de la grotte regarde l'Est-Sud-Est. Elle forme un vestibule de cinq mètres de largeur, cinq de profondeur et six de hauteur. A gauche, à un mètre et demi de hauteur, sous le toit du vestibule s'ouvre une galerie à laquelle on accède par dix degrés; de pierre. L'endroit est humide: l'eau tombe goutte à goutte du toit. Au fond du sanctuaire s'élève une colonne stalagmitique qui arrive jusqu'au toit: elle mesure un peu plus d'un mètre de hauteur et deux décimètres de largeur moyenne. On dirait un torse humain. C'est la «sainte» pétrifiée, qui fut découverte un jour par les bergers des environs.
Voici comment celà se produisit selon la version du récit populaire que j'ai recueilli de la bouche de la maîtresse de la maison (etxekoandere) de Arrusia (le 14 novembre 1938, jour où j'ai visité ces lieux pour la première fois). Une jeune fille s'était perdue dans la montagne Euzkei (Iuskai). On n'avait retrouvé que sa chevelure. Plus tard, pendant des années, de nuit, on entendait des voix. Quel-qu'un criait «Attends! Attends! » (Ago ! Ago !) du côté de la montagne Euzkei.
Une fois, on vit au milieu de la nuit, une lumière qui entrait dans la grotte de Zelharburu. D'autres avaient dit même qu'ils en avaient vu douze. Les gens des environs se rendirent à la grotte et là ils virent la statue de la «Sainte». Par la suite, on n'entendit plus les voix.
Pendant que je visitais la grotte, je vis venir du côté d'Itxassou trois femmes et deux petites filles. L'une d'elles, une jeune femme, alluma un cierge de cire, traça avec lui une croix dans l'air devant la stalagmite et le déposa à son pied pour qu'il s'y consume.
Devant la stalagmite, divers bougeoirs reposent sur des saillies de la roche. Les dévots y placent les cierges qu'ils offrent à la «sainte»; ils frottent leurs corps et leurs membres malades avec l'eau qui suinte sur la surface de cette icône pétrifiée dont la protection est invoquée dans les cas des maladies de peau et des yeux. Ceux qui souffrent d'eczéma (negal) ont une dévotion particulière pour la «sainte» de la grotte. Sur les parois de la grotte se trouvent beaucoup d' «ex-votos» : rosaires, croix, médailles, peignes, mouchoirs, chemises et bérets, que les malades laissent en croyant que dans ces objets reste enfermée la maladie qui les afflige. Il y a aussi un tronc où les dévots mettent leurs aumônes (aujourd'hui de la monnaie). Comme le tronc est démoli, n'importe qui pourrait voler l'argent qu'il contient: on y trouve beaucoup de billets de 10 et 20 francs. Dans la cavité qui est plus loin que la stalagmite, nous avons vu plusieurs monnaies de bronze du siècle dernier, françaises ou espagnoles. Elles y ont sans doute été lancées non pour payer les frais que provoque l'entretien du sanctuaire, mais pour la soi-disant sainte qu'on y vénère et uniquement pour elle; l'endroit presque inaccessible où elles ont été jetées montre que les donateurs ne voulaient pas que ces monnaies tombent dans des mains humaines.
Un berger du coin et les pèlerines d'Itxassou m'ont dit qu'il y eut un temps où les habitants de la maison d'Arrusia avaient fermé la grotte avec une porte et commencé à percevoir un droit d'entrée sur les gens qui venaient visiter la «sainte». En peu de temps, toutes les brebis de Arrusia furent accidentées en se précipitant en bas de la montagne. Les gens d'Arrusia comprirent alors que c'était le châtiment envoyé par Arpeko Saindua et rouvrirent la grotte. On y célèbre tous les ans le jour de la Trinité un pèlerinage qui consiste surtout en danses. Y vont des groupes de jeunes des deux sexes des villages voisins. Il y a là une dévotion et un culte qui ont persisté malgré l'opposition des prêtres chargés des paroisses voisines.

LES PIERRES SACREES

D'autres pierres sont considérées comme ayant quelque chose de sacré, parce qu'elles sont en rapport avec quelque saint ou d'autres personnages mythiques. Il en est ainsi des pierres lancées par Sugaar depuis Muskia (Ataun), par Gentil à Markola (Cenarruza), par Mikolas à Altxispe (Larrabezua), par Samson à Ursuaran (celle qu'on appelle Aitzorrotza), par Roland à Aralar (le menhir de Ata), etc… Il faut signaler spécialement les roches de Igoin (Amezqueta) et la « pierre de la Vierge mère » (Amabirjinaarri) en Aralar sur lesquels les dévots déposent des offrandes, et celles de Arretxinaga (Marquina) où existent deux autels consacrés à saint Michel et sainte Polonia.
Ces remarques et ces faits nous situent dans une ambiance où la stèle discoïdale trouve son contexte le plus approprié et le plus authentique. Nous savons maintenant que la stèle discoïdale, abandonnée depuis longtemps dans beaucoup de localités, remplit encore quelques-unes de ses anciennes fonctions dans de nombreux cimetières du pays. Elle signale évidemment l'emplacement de la sépulture à la tête de laquelle elle est érigée. Dans plusieurs cas elle porte même une inscription avec le nom de la maison à laquelle elle appartient et sans laquelle elle n'aurait pas de sens. Ainsi, comme la tombe est une partie de la maison, la stèle est un monument funéraire lié au patrimoine domestique. Dans la tombe, sont les restes des trépassés qui continuent à faire partie du groupe familial, et la stèle discoïdale nous le rappelle et représente les croyances et les coutumes qui s'y réfèrent.

LA STELE DISCOÏDALE

En fait les menhirs et les stèles anthropomorphiques, les croyances animistes qui auréolent ces monuments et les noms même qui les désignent dans certaines localités du Pays Basque nous induisent à considérer les stèles comme des représentations de statues des défunts.
Cette interprétation qui est la nôtre coïncide avec celle que nous a laissé la tradition. La stèle occupe à la tête de la sépulture, panthéon domestique, le même emplacement que Austarri dans les antiques foyers pastoraux, au côté de la tombe traditionnelle. L'offrande de lumière que l'on dépose encore aujourd'hui au pied de la stèle en certaines occasions était déposée auparavant au pied de Austarri, c'est-à-dire la pierre du foyer. C'était le feu béni du foyer et de la lumière de la cire que fabriquent les abeilles.
La stèle dans le long développement de son histoire paraît liée à une conception de la vie. Les plus anciennes formes ressemblent à celle de la figure humaine comme le menhir supposé de Ata en Aralar et une douzaine de sa lignée dispersés dans les montagnes du Pays Basque: celles de Javier qui sont peut-être antérieures à l'époque romaine; celles du dolmen de San Martin de Laguardia (pour le moins de l'eneolithique) ; les silhouettes anthropomorphiques de Sarracho et Santorcaria du comté de Trevino (de l'époque wisigothique ?); les stèles médiévales de Arguineta; les «sœurs» pétrifiées, les Mormas de Los Arcos; les stèles de Biokoitz-azpi (Alsasua) d'époque indéterminée, etc.. Ajoutons à cela que les stèles discoïdales les plus anciennes du Pays Basque représentent clairement la silhouette humaine.
Avec de pareils antécédents et la multiplication des maisons (etxeak) et des foyers permanents se produisit une extraordinaire floraison de stèles qui font du Pays Basque le pays le plus épigraphique de ce côté de l'Europe.
Nous savons que la forme discoïdale et anthropomorphique s'étend plus ou moins dans de larges territoires en dehors du Pays Basque, fait que nous devons garder présent à l'esprit pour une meilleure compréhension de ces monuments. Mais ici, nous nous sommes limités à signaler leur possible origine spirituelle ou l'idée qui leur a donné vie et signification pendant des siècles sur notre terre et à présenter seulement quelques images de stèles discoïdales de différents modèles, inscriptions et décorations prises dans l'inventaire que nous avons réalisé en Labourd et Basse-Navarre à la demande de la Commission supérieure des monuments hstoriques de la France (26).

ORIGINE DE LA STELE

Nous ne savons pas l'origine de la stèle discoïdale. Quelques exemplaires sont aussi anciens que ceux qui jusqu'à présent ont été signalés dans d'autres pays, par exemple ceux de Javier et de Liedena recensés par le P. Escalada (27).
Ses antécédents possibles, les menhirs anthropomorphiques, ne manquent pas en terre basque, bien que l'attribution préhistorique de pareils monuments ne soit pas prouvée et ne doive être acceptée sans réserve.
L'environnement spirituel capable de les créer et de les conserver vient de plusieurs siècles avant. Les plus anciennes ne portent aucune date. Parmi celles qui en ont, figure une tombe d'Isturitz de l'année 1501 d'après Colas. Mais il est indubitable que parmi celles de Arguineta, il en existe qui sont des jalons médiévaux et offrent un rattachement ou un enchaînement avec les époques antérieures.
Sa forme est très ancienne et deux de ses noms, «l'homme de pierre» (harriguizona) et «la lune» (hilargia), rappellent diverses croyances de la mythologie basque. Figures et symbole des trépassés, la stèle est, aux temps anciens, le monument qui signale une tombe et représente un foyer (28). Plus tard, elle commence à témoigner de son appartenance à une personne et à une famille.
Après une époque de floraison, le XVIIe siècle, elle est tombée en désuétude au point que, à la fin du siècle dernier, personne ne mettait de stèle discoïdale sur sa tombe. Maintenant elle réapparaît à nouveau sur beaucoup de sépultures en réaction contre le goût iconoclaste des dernières décades du XIXe siècle.

ASPECTS ET ELEMENTS DE LA STELE

Dans les pages précédentes nous avons décrit les traits de l'ambiance culturelle dans laquelle sont nés ces monuments. Nous allons signaler brièvement les éléments qui les constituent.
Dans nos stèles la forme de la tête est nettement discoïdale dans presque tous les cas anciens, et la partie inférieure reproduit la silhouette du torse humain. Il en est ainsi de la stèle de Lantabat (Ascombeguy) avec la représentation de la terre avec une croix en tau plantée sur elle, du soleil, de la lune et d'une étoile ; des stèles de Sorhapuru, Jatsu, Louhossoa (monogramme IHS stylisé) Sorhapuru, Jatsu (monogramme IHS stylisé), Louhossoa (étoile à huit pointes), Gréciette (croix de Malte), Ainhice-Mongelos (croix pattée), Cibitz, Saint-Martin d'Arberoue (fleur à six pétales), Bellocq (croix de Malte et sceau de Salomon), Aincille (croix pattée, fleurs et sceau de Salomon), Garris (croix grecque). D'autres ont, inscrite dans le disque, une figure humaine. A Sorhapuru, c'est une silhouette humaine aux bras étendus; à Béguios, une croix chargée au centre d'une tête humaine sculptée. Une plante de pied est représentée sur une stèle d'Arbonne.
Nombreuses sont les stèles ornées de figures d'astres ou d'objets célestes. Ainsi les stèles de Lantabat, Gréciette (un arc en ciel), Belloc (des rayons de lumière, la lune, la terre avec la croix, une étoile), Saint-Martin d'Arrossa (un quartier de lune et la terre surmontée d'une croix), Irouleguy (la lune), Larceveau (la lune, deux étoiles et la terre), Beguios (la lune et une croix dans les coins desquels figurent un disque et un triangle).
Des stèles avec figures d'oiseaux se trouvent à Larressore, Arbonne (IHS et deux oiseaux), Ainhoa (IHS, croix et fleur à six pétales), Jatxu (IHS et deux oiseaux), Camou-Mixe (un oiseau avec la croix et la date de 1786), Beguios (lune, disque, deux étoiles dans les coins d'une croix), Sumberraute (deux soleils, deux étoiles, un cœur, deux oiseaux, des instruments de fileuse et la date de 1642).
Le swastika (29) est un autre signe très fréquent dans les stèles discoïdales. Une de Greciette en compte trois, une autre du même endroit, un seul; à Larceveau, un ; à Bidarray, un ; à Juxue, deux.
Il y a des cas où en superposant ou croisant les lettres du monogramme IHS, on a eu l'intention de représenter un swastika ou une croix. C'est le cas des stèles de Souraïde, de deux de Greciette, de celle de Garris qui combine le monogramme avec les lettres alpha et oméga, d'une de Belloc.
L'étoile pentagonale figure sur beaucoup. A Ascombeguy avec une croix au centre et des losanges aux angles, à Beguios, Espelette, Greciette, Ainhice-Mongelos, Saint-Martin d'Arrossa, Isturitz, Cibitz (six stèles), Suhescun (avec fourche et houe dans les angles), Larceveau.
Le sceau de Salomon apparaît sur des stèles de différents villages. A Gréciette il encadre une étoile; à Isturitz, dans un cercle à rayons, à Lecumberry, à Cibitz, à Larceveau, avec la croix, le swastika et une étoile à huit rayons, à Aincille avec des disques dans les coins et la date de 1651.
La fleur qui semble parfois un peu dérivée du swastika est un autre motif symbolique ou simplement décoratif auquel ont recouru souvent les sculpteurs des stèles.
Nous pouvons la retrouver à Espelette, Itxassou, Louhossoa, Ascombeguy (avec des disques et une inscription), Bidarray, Isturitz. Le décor en bandes denticulées a été assez employé. On en a des exemples à Halsou, Jatxu, Villefranque, Mouguerre, Isturitz.
Le nom de la maison n'apparaît pas souvent inscrit sur la stèle. Sur les stèles anciennes, il n'y a en général pas d'inscription. Viennent d'abord les emblèmes et le nom de la maison à laquelle appartient le monument. Cela se dégage des exemples que nous connaissons le mieux comme celle d'Isturitz, recueillie par Colas, celle d'Ainhoa, d'Urrugne avec le nom de Mourguicoa et une fleur à quatre pétales, celle d'Itxassou avec le nom Haitsiuartia. Dans les derniers temps figure le nom du chef de famille pour indiquer à qui appartient la tombe. Il y a un certain nombre de stèles où figure le nom d'un ou plusieurs défunts comme celle d'Itxassou où lit l'inscription: «Martin de Basteretche Lanciantcico iaunaren hilberria eguina Maiatcaren, 13-1660 ».
Les figures des instruments particuliers aux travaux auxquels se sont livrés ceux qui sont ensevelis ou à quoi la maison se consacrait ou quel était son rôle, sont nombreux. Sont représentés les instruments de laboureur, de berger, de forgeron, de carrier, de charpentier, de tisserand, de fileuse, de chasseur. Ainsi, sur une stèle d'Ascombeguy se voit une charrue composée des deux éléments, soc et couteau, qui travaillaient ensemble sans être confondus. Sur la stèle apparaît l'inscription: «Ic iacet Pedro de Cerniric ann 1660». Dans la stèle de Mendionde, il y a des outils de travail, des râteaux, des houes à deux dents, des pelles entre les bras d'une croix de Malte. Sur celle de Greciette, il y a une enclume avec la croix de Malte, une étoile à cinq branches et cinq swastikas ou «lauburu». Dans celle de Labetze se voit une faux (beloi) et la date 1613. Celle de Belloc montre une main et divers instruments de jardinage: une autre présente en plus le soleil, la lune, un swastika à branches multiples et la date 1564; une autre, une charrue (goldenabar) accompagnée du monogramme IHS et d'un cœur. A Suhescun, on voit une bêche et un coutre de charrue entre les rayons d'une étoile pentagonale. A Beyrie, sont représentés les instruments de la fileuse avec la date 1626. A Sumberraute, apparaissent divers instruments de la fileuse (dévidoir, fuseau et quenouille) avec une croix aux angles de laquelle il y a un IHS et la date 1602; dans la même localité une autre stèle porte aussi les instruments de la fileuse et une autre une charrue (golde-nabar). Les stèles dans lesquelles apparaît le monogramme de l'IHS sont très nombreuses. Citons comme exemple la stèle d'Isturitz de 1501, celle de Biriatou, de Larressore, de Halsou qui a, en plus, un swastika multiple, celle de Jaxu où le IHS est combiné avec un M et une croix. A ce style se rattachent beaucoup d'autres où varie le monogramme selon que les lettres sont combinées en différentes formes ou qu'elles s'adjoignent de nouvelles lettres et formes de croix. La croix grecque est aussi fréquente généralement associée aux autres symboles comme l'IHS, un cœur, des cercles, des fleurs de lis, une étoile pentagonale, le sceau de Salomon, des disques à rayons, des figures astrales. La croix latine est moins fréquente. Quelquefois les bras se terminent en fleur de lis, comme celle de Bustince de l'année 1618 et celle de Garris de 1668. La croix de Malte est très employée en diverses formes que les sculpteurs combinent avec divers symboles, emblèmes et autres types de croix. Quant aux formes de croix on trouve pour 150 stèles prises au hasard: croix de Malte. 54; de Calatrava, 24; grecques, 22; latines, 8; tréflées. 8; recroisées, 7; pattées, 6; de Santiago, 5; fleuries, 3; fleur de lisées, 3; potencée, 1; patriarcale, 1.

CONSIDERATIONS FINALES

Nous ignorons d'où vient la stèle discoïdale. Il est possible qu'elle procède des vieux menhirs ou des cromlechs. Ses formes et ses noms actuels favorisent cette orientation. Mais il s'agit d'un fait historique qu'on ne peut reconnaître en tenant compte seulement des similitudes de formes, aussi grandes que soient les approximations qui s'en suivent.
Il est indubitable que sont arrivées ici des formes venues des quatre points cardinaux et qu'elles ont été adoptées, tantôt comme expression symbolique de réalités profondes, tantôt comme des motifs décoratifs; aussi les croyances chrétiennes et leur symbolisme sont venus interférer puissamment avec les vieilles formes et leur ont insufflé une nouvelle vie; mais les unes et les autres ne sont pas capables d'expliquer l'origine des stèles discoïdales, ni même leur existence actuelle. La ressemblance des formes peut être en certains cas un indice valable ; mais la pensée à laquelle obéit l'origine d'une fonction et d'un monument peut rester inconnue, même après que sont connus le matériau, la forme, le tracé et les figures des étoiles, tous éléments par eux-mêmes polyvalents. Et tant que nous ne savons pas la pensée qui a fait surgir et conserver les stèles, celles-ci continueront à être une énigme pour nous-mêmes. Heureusement l'emploi des stèles discoïdales s'est maintenu jusqu'à nos jours (30) et, si nous n'avons pas assisté à leur naissance, nous avons connu et vécu quelques-uns des motifs auxquels obéit leur conservation, et même l'ambiance dans laquelle ces monuments ont un sens et une explication. Décrire les motivations et mettre au clair quelques-uns des traits de la mentalité qui les anime, c'est ce que nous avons cherché un peu systématiquement dans les paragraphes précédents. L'ambiance dont ils font partie sont: la croyance dans la survie, l'apparition et la présence des morts, dans l'identité du réel et de ses figurations et dénominations, l'identité de l'âme, ou simplement celle du défunt et de la lumière, dans l'étoile et la lune, le sépulcre et l'autel, l'utilisé matérielle et spirituelle des offrandes de lumière et de nourriture, l'identité de la maison et de la sépulture, etc. Dans ce milieu, la stèle est «chez elle» (31), elle s'v est conservée et pourrait continuer à s'y conserver indéfiniment.
On a dit que la forme discoïdale est un héritage direct des vieilles tombes ibériques (32) mais maintenant nous savons que cela pourrait ne pas être vrai, puisqu'au Pays Basque de telles formes existaient à cette époque, peut-être même avant. Nous savons encore que la stèle primitive est anonyme et fréquemment anthropomorphe, ce que paraissent confirmer nos recherches. Elle signale la tombe d'une maison, non celle d'une famille ou d'un individu, et cela semble aussi confirmé. Les symboles astraux des tombes basques sont de tradition ibérique, ce qui est possible mais non démontré, étant donné que la mentalité qui les postulait existait probablement dans le pays basque lui-même. Il y a là des motifs variés des symboles et des éléments décoratifs : beaucoup de ces monuments sont formés d'éléments géométriques groupés symétriquement. Les inscriptions sont généralement en relief: les motifs décoratifs n'ont pas été inventés par les sculpteurs basques (mais cela n'a pas été démontré). Le swastika (33) et le sceau de Salomon ont été adaptés à la religion chrétienne et, par cela, acceptés par les Basques. Ceci, au moins à notre avis, est possible. Les étoiles pentagonales et hexagonales sont un écho des corps de métiers médiévaux, mais il faut garder présent à l'esprit que les premières étaient déjà connues au pays basque (la pierre de Asteguieta). Les instruments des différents métiers qui figurent sur les stèles basques sont un écho d'une tradition déjà connue, mais il n'est pas démontré que les Basques ont eu besoin des Gallo-Romains pour savoir que leurs morts exerçaient les métiers de fileuse, de laboureur ou de chasseur.
Nous savons aussi que «tout est emprunté», mais cela n'est pas plus admissible, étant donné que la plupart des symboles que représentent les stèles basques paraissent au moins dans leur dernière étape répondre aux exigences de la mentalité ou du milieu basque. Il est indubitable que cette dernière observation doit être prise en compte pour interpréter les stèles et autres faits à travers lesquels transparaît un processus historique. Dire qu'il n'y a rien d'original dans les éléments d'un complexe culturel dont les apparences visibles ont des exemples dans d'autres pays, c'est aller trop loin. D’aprés un tel code, il n'existerait aucun peuple original par le monde.
Dans les rites funéraires que nous venons de signaler, nous découvrons un système de valeurs collectives dans lesquelles la stèle discoïdale se conserve et garde un sens. A sa base apparaît la solution que le peuple basque comme d'autres a donné à un des problèmes fondamentaux de l'humanité : quelle est la mission de l'homme dans le monde? Ainsi nos ancêtres ont orienté leur vie en conservant comme idéal, bien qu'il les transcende infiniment, je veux dire d'aller à Dieu.
De nombreux symboles propres à ce système, parmi divers éléments inspirés d'autres conceptions et importés d'autres pays et de nombreuses formes et signes «sacralisés» au cours des siècles, nous arrivent comme des résidus d'un ensemble culturel qui conservent encore une vague apparence d'antiquité. Dans une telle situation, la mort et la survie d'un homme sont considérées comme des faits normaux qui ont leur justification dans les idées et les sentiments qui surgissent du système. Comme surgit aussi la certitude que la mort a été un des événements qui ont posé au Basque de la façon la plus angoissante le terrible problème de son existence.
Les rites, cérémonies et symboles avec lesquels le Basque a exprimé et enveloppé la mort nous révèlent aussi ses conceptions particulières de la survie et du passage d'un mode de vie à un autre ; certainement quelque chose de très important pour sa vie personnelle et pour son entourage. C'est pour tous une forte secousse et un pas inévitable à franchir, -—accepté avec confiance dans l'espoir d'un futur heureux — un pas que précèdent divers signes et choses qui l'adoucissent et l'orientent, et que suivent de nombreuses observances qui soulagent le défunt et assurent dés relations d'entraide entre les vivants et les morts dans une demeure mystique commune qui est la maison. Il semble que cela a été une constante au long de toute l'histoire de notre peuple.
Dans les derniers temps, l'idéal chrétien concrétisé dans un modèle à imiter qui est le Christ, a occupé un centre de vision et d'espoir dans le cadre étroit de la vie du peuple basque. A son côté et s'entremêlant avec lui, —et par moments renforcés par lui— apparaissent les éléments du vieux système comme le « substrat » d'un monde de représentations qui culminait depuis des siècles.
Sur l'une et l'autre conception, mais surtout sur le groupe des croyances et coutumes de la tradition la plus ancienne est venue s'articuler la stèle discoïdale, comme effigie des trépassés, autel, symbole et représentation de la maison. Les phases de son processus historique au Pays Basque peuvent être reconnues depuis la stèle du dolmen de San Martin (Laguardia), le soi-disant menhir de Ata (Aralar), les stèles préhistoriques de Javier et de Liedena, les figures anthroporphiques de Sarracho (Albaina), les stèles de Arguineta (Elorrio), etc., jusqu'à aujourd'hui, avec un contexte détaillé qui ne nous a été accessible que ces temps derniers et sans lequel nous n'aurions pas eu la connaissance de tous ces monuments (34).

(1) L. COLAS: La tombe basque Bayonne, 1923, p. 7. Pierre LAFITTE: Gure Herria, Bayonne, 1965.
(2) Euskalerriaren Yakintza, tome 1, page 214 (Madrid 1935).
(3) Ces chandelles sont formées de mèches enduites de cire d'un diamètre d'environ un demi-centimètre enroulées sur elles-mêmes comme des pelotes. Dans les provinces basques françaises, particulièrement en Soule, on les nomme «eskua» (N. d. t.)
(4) Signe symbolique à trois éléments courbes en usage dans les civilisations méditerranéennes et celtiques. Le swastika s'est conservé en Pays Basque sous la forme de la croix «basque» (N. d. t.).
(5) Corografia... de Guipuzcoa, p. 194, Barcelone, 1882.
(6) Cosas memorables de Guipuzcoa, T. II, Bilbao, 1967.
(7) Cosas de Antano (choses d'autrefois). Revue Internationale des Etudes Basques, Tome XIV, Avril-juin 1923.
(8) Ikuska, 1949, p. 35.
(9) Eusko folklore, première série, 1926, p. 43.
10) Annuaire de Eusko-Folklore, III passim.
(11) J.-M. de BARANDIARAN: Matériaux pour une étude du peuple basque à Uhart-Mixe, in Ikuska, N° 6-7.
(12) P. LAFITTE : Atlantika Pirene-etako Sinheste zaharrak (Gure Herria, p. 8, Bayonne, 1965).
(13) Cf les «charitons» de Normandie.
(14) Le mot espagnol «obsequiado» est curieusement apparenté au mot «obsèques» désignant en français la cérémonie funèbre. Qui dit obsèques dit régal. Persistance des mêmes traditions dans le vocabulaire. (N. du t.)
(15) P. LAFITTE, op. cit.
(16) Annuario de Eusko Folklore, T. V, p. 62, Vitoria, 1925.
(17) Jose Miguel de BARANDIARAN: Mitologia vasca, Madrid, 1960.
(18) La législation française, sous prétexte de salubrité, a cherché à mettre fin à cette coutume. Il est heureux que le bon sens et la ténacité paysanne aient maintenu la présence de nombreux «champs du repos autour des églises de campagne» (N. du t.)
(19) J.-M. de BARANDIARAN: Excavaciones arqueologicas en grutas artificiales de Alava, Vitoria, 1968.
(20) J.-M. de BARANDIARAN: El arte rupestre en Alava, Zaragoza, 1920.
(21) J.-M. de BARANDIARAN: Eusko folklore, 1926.
(22) Revue de l'histoire des religions, Tome 131, N° 1, janvier-février 1940.
(23) Jean BARBIER : Légendes du Pays Basque, Paris, 1931, p. 20.
(24) Arpeko saindua, à Bidarray.
(25) Plus connu sous le nom de Pont du Diable (N. du t.)
(26) Les fiches originales de cet inventaire (figure, dimensions, situation et appartenance) atteignant le nombre d'un millier, ont été déposées au Ministère des affaires culturelles à Paris.
(27) Fco. ESCALADA: La arqueología en la villa y Castillo de Javier y sus entornos, Pamplona, 1942.
(28) Au Moyen Age, un «feu» (N. du t.)
(29) Il s'agit d'un swastika curviligne composé de quatre virgules et appelé croix «basque» ou «lauburu» (N. du t.).
(30) Voir à ce sujet l'étude parue dans "Corde Magno" N° 109. N.-D. de Belloc (N. du t.).
(31) «At home» écrit Barandiaran.
(32) Louis COLAS: La tombe basque, Bayonne, 1923.
(33) Il s'agit bien entendu de la croix «basque» dite «lauburu»; le swastika antique aux branches coudées à angle droit qui figure sur les monuments de l'époque romaine ne se rencontre pas sur les tombes basques (N. du t.).
(34) L'auteur fait allusion aux missions de recensement des stèles discoïdales du Pays Basque français qui lui ont été confiées par le Ministère des affaires culturelles entre 1950 et 1960 (N. du t.).


















































































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