Michel Duvert, Les stèles discoïdales basques. Marcel Etchehandy: Renouveau du cimetière basque
Les stèles discoïdales basques
Michel
Duvert
Lauburu,
Eusko Ikaskuntza
Abbaye de Notre-Dame de Belloc à Urt. Cette collection de stèles basques anciennes se trouve aujourd'hui au Centre d'interprétation de la stèle à Larceveau. |
Trimestriel
Zodiaque, n° 156, avril 1988
Cahiers
de l’Atelier du Cœur Meurtry,
Abbaye Sainte-Marie de la Pierre-qui-Vire, Yonne.
Abbaye Sainte-Marie de la Pierre-qui-Vire, Yonne.
Comment
parler des ces monuments? Nous avons de nombreuses données les
concernant, mais ces savoirs sont éparpillés, certains ne semblent
concerner que très indirectement le thème. Aucune connaissance
véritable n’émerge des ces données dont beaucoup sont très
récentes et donc fortement marquées par la personnalité des
chercheurs, leurs options, leur méthodologie. Certains de ces
savoirs ont abouti à des impasses dans la mesure où de trop
nombreux chercheurs ont placé leur démarche hors de tout paysage
culturel basque, dans des «ailleurs» où nos discoïdales n’ont
jamais été et où elles n’existent pas. En fait, ces œuvres
souffrent d’un double handicap: elles s’inscrivent dans un
contexte populaire qui est soit déprécié («follklorisé»), soit
célébré en termes obscurs par des «spécialistes». Elles se
trouvent soit en France, soit en Espagne, mais jamais en Euskal
Herri. Œuvres non élaborées traduisant une humanité de tout temps
et de tout lieu, les discoïdales sont comme nous, mémoire étouffée
d’un vieux peuple voué aux ténèbres de l’histoire.
Le
voyage que nous proposerons ici au lecteur est tout autre. Nous
voulons nous immerger en nous-même, sans complexe et avec un maximum
de profondeur et de lucidité, afin de retrouver l’Homme, mais
habillé en basque. Nous chercherons à dessiner des contours de
cette mémoire en acte (notre culture), qui se constitue, à travers
les chemins jalonnée par les aventuriers qui nous ont laissé ces
témoignages de pierre. Sans eux nous serions, mais autrement; c’est
dire combien notre regard manquera de détachement.
Abbaye de Notre-Dame de Belloc à Urt. Cette collection de stèles se trouve actuellement installée au Centre d'interprétation de la stèle de Larceveau. |
Définition,
qu’est-ce qu’une stèle discoïdale?
Chaque
stèle discoïdale est fondamentalement un moment de l’histoire des
rapports que nous ne cessons de nouer avec la mort. Elle n’est que
circonstances échappées à jamais à notre regard. Elle est le
jalon de paysage culturel disparu à tout jamais; elle est écho de
discours perdus.
Le
bon sens commun nous fait dire que la discoïdale est un monument
funéraire, au moins en Pays Basque Nord. Bien que ceci ne soit pas
une définition, on ne peut guère aller plus loin. Il n’y a
actuellement aucune définition qui puisse rendre compte de la
totalité de ce monument. En fait, cela n’a aucune importance, le
tout est d’en être conscient. Si nous voulons faire une approche
rationnelle de la discoïdales, il nous faut utiliser des définitions
opérationnelles qui permettent d’agir. La richesse de définition
d’un même objet ne fait que traduire la diversité des points de
vue que nous avons sur lui. Il y a des lectures des
discoïdales, elles apportent souvent des données éclatées, qu’il
faut mettre sans cesse en correspondances, afin d’éclairer notre
quête et nourrir notre propre conscience. Le danger à éviter à
tout prix étant celui de bâtir des systèmes explicatifs; ils ne
peuvent satisfaire que notre propre vanité. Le lecteur ne trouvera
ici aucune certitude, même pas une définition.
Stèle provenant de St Esteben (XVe-XVIe siècle. Face Est le matin, on ne voit que les contours de l'imagerie. |
En
quoi est-elle basque?
Cette
question nécessiterait un très long développement dans la mesure
où il nous faudrait parler de culture basque.
L’origine
de notre peuple n’est pas connue; ce n’est pas là une grande
originalité. En revanche, la langue basque, dans l’état de nos
connaissances, est unique au monde; c’est un très exceptionnel
privilège. Les études conduites à ce jour, dans divers domaines
(anthropologie physique, sérologie, langue, droit, archéologie…)
montrent une présence basque le long de la chaîne pyrénéenne, de
la Méditerranée à l’Atlantique et de l’Ebre à la Garonne, au
moins. On parlait du basque dans ces régions (témoignages
toponymiques, historiques...) dès le troisième millénaire avant
notre ère, c’est-à-dire à l’époque où les Indo-Européens
absorbaient peu à peu les vieux peuples constituant l’Europe de
ces époques (voir notes bibliographiques 1, 2, 3). Les Romains
rencontrèrent ici des gens de culture basque, groupes ou entités
(ou «peuples» à l’intérieur d’ensembles plus vastes comme
l’Aquitaine, par exemple, qui sera repérée sous le nom de
Vasconie au haut Moyen Age. Ce monde Wascon ou vascon, au Nord de la
chaîne, se scindera plus tard, sur le plan linguistique, en Gascons
et Basques des sept provinces actuelles.
Les
œuvres dites basques sont fondamentalement des créations
pyrénéennes. Elles nous parlent de l’homme pyrénéen, depuis sa
province restée bascophone Deux points restent à définir.
Dans
la mesure où le peuple baque est ici effectivement chez lui depuis
les temps préhistoriques, comme le propose avec beaucoup de
vraisemblance José Miguel de Barandiaran, les discoïdales que nous
connaissons ne représentent qu’un éclair dans son existence.
Elles parlent de types de basquitude de temps et de lieux réduits.
Sur
quelles bases tracer les aires de distribution des stèles basques,
Comment établir les temps et les lieux de ces basquitudes?
Existe-t-il des «seuils critiques» par rapport auxquels des œuvres
commencent à être ou finissent d‘être basques, Il y a des
catégories inopérantes et:ou des problèmes mal posés qui limitent
sévèrement notre approche.
Derrière
ces deux questions se profilent les contextes mal ou non connus, sans
lesquels il est illusoire de parler de stèle basque. Nous
voyons à nouveau que nous sommes réduits à des définitions
purement opérationnelles, à des collectes de fragments de savoir
les plus divers. Les études sur les discoïdales basques souffrent
beaucoup de ces réductionnismes dans lesquels les pratiques
«instrumentalistes» (les méthodes des chercheurs) pèsent beaucoup
trop lourdement et de façon incontrôlée.
Les
erreurs
Décrire
les discoïdales en parlant de leurs images (en termes de spécialité,
pour se rassurer), parler de leur état de conservation, des
conditions de leur survie ou de leurs longues vies, etc., c’est
uniquement situer des étapes. S’arrêter à l’une des ces
étapes, c’est fermer la porte à toute aventure, dans la mesure où
c’est parler à leur place sans les écouter.
José
Miguel de Barandiaran, le premier, nous a appris à esquisser les
paysages culturels dans lesquels ces œuvres font sens. Jusque-là,
on n’avait jamais cherché à voir en elles les fragments de
discours perdus, issus de pratiques qui constituent et mettent
en scène un englobant qui est notre mémoire en acte, notre culture.
Hors de cette perspective, nos discoïdales ne sont que des papillons
desséchés, des curiosités de musée, des passe-temps de
collectionneurs. Or nous exigeons beaucoup plus d’elles car nous
voulons savoir de quoi nous sommes l’émergence; afin de continuer
le chemin, confiants, parce que conscients.
On
comprend alors pourquoi les études menées en dehors de tout
contexte basque sont décevantes, pour ne pas dire inadéquates. Ces
types d’approche nous renvoient une image péjorative de
nous-mêmes. Philippe Veyrin, par exemple, illustre bien cette
tendance. A la suite de Louis Colas, il voyait dans nos tailleurs de
pierre des êtres primaires, sans conscience de leurs actes, qui
combinaient astucieusement des formes jaillissant spontanément sous
leurs doigts par le fait même qu’ils utilisaient règle et
compas. Cette génération spontanée, faite de rencontres fortuites
répétées donne un cachet rustique, authentique et savoureux à
tout cet art proche de la nature et pétri de naïveté. Mais alors,
comment expliquer qu’à travers ces glissades successives ait pu se
former un art basque que l’on ne saurait confondre avec nul autre?
Car aux XVIe XVIIe et XVIIIe
siècles, les monuments funéraires que nous produisons en Pays
basque Nord, en particulier en ce qui concerne les discoïdales, sont
uniques en Europe, leur originalité est incontestée.
Cette
vision naïve débouchait sur une constatation: il n’y a pas d’art
basque… Il existerait par contre un «art populaire» au Pays
Basque. Il est fait d’éléments présents «un peu partout» et à
«toutes les époques». Le Basque est alors caractérisé par le le
fait qu’il a su se laisser habiter par des «ailleurs». Ce ne sont
là que des paradigmes d’intellectuels qui ont cessé de nous
impressionner. Depuis José Miguel de Barandiaran, nous avons appris
à mettre en forme les matériaux pouvant éclairer notre aventure
collective? Nous n’avons plus de complexe. Nous savons que nous
pouvons regarder en nous avec vigilance et acuité (4).
Des
incertitudes
Toute
information naît de la conjonction de trois participants: 1-
l’observateur avec ses limites et ses préjugés; 2- la méthode
mise en œuvre (la pertinence des questions posées); 3- l’objet
constitué de toutes pièces (objet en tant que concept et réseau de
relations qui le déterminent). Cette triade baigne dans l’air du
temps, vogue au gré du génie et de l’astuce, et débouche sur des
avoirs qui se construisent (en «toute objectivité» pensent les
scientistes). Il n’y a pas de voie royale qui nous conduise à «la
vérité». Il n’y a que des chemins multiples qui nous permettent
d’aborder, sous des angles différents et nécessairement
complémentaires, ce qu’il est convenu d’appeler «stèles
discoïdale basque». C’est à ce type d’approche que nous
convions le lecteur, en affirmant avec Karl Jaspers:
«Seul le savoir critique et conscient de ses propres limites est
réellement scientifique».
Au
cours de ces voyages, nous ferons sans cesse la navette entre l’objet
«stèle», tel que nous croyons le connaître, et des paysages
culturels reconstruits à partir de fragments historiques (dans le
sens d’ethnographie du passé, de mémoire collective se
constituant). C’est dans cette dynamique, dans ces mises en
correspondances, que nous pouvons avoir des chances de restituer des
fragments de discours perdu, celui-là même qui nous constitue. Un
discours sur la discoïdale basque est nécessairement un discours
qui nous implique totalement.
Stèle provenant de Biscay (1614). Face est en fin de matinée: l'imagerie capte au maximum la lumière avant de disparaître dans l'ombre. |
Regard
sur l’histoire
Un
bilan
Les
caveaux ont été introduits dès la fin du XIXe siècle,
semble-t-il. D’abord en petit nombre et discrets, ils devinrent
vite vulgaires et envahissants. Comme partout (et nous devenions,
nous aussi, des basque «comme tout le monde»…). Ces monuments
succèdent aux sépultures en pleine terre surmontés d’une croix
ou d’une discoïdale. La croix se substitue de plus en plus à la
discoïdale à partir de XVIIe siècle. Au XVIe
siècle, la discoïdale devait dominer dans l’ensemble des sept
provinces, c’est très vraisemblable.
En
amont, tout devient flou, faute de document. Un fait semble se
dégager: celui du caractère local des productions et des types de
formes des monuments. Ce trait se dessine du haut Moyen Age au monde
romain. Dans le monde protohistorique , de rares témoignages
suggèrent que la discoïdale fut utilisée. Le jalon le pus ancien
de 2500 ans av. J. C. : dans la chambre sépulcrale d’un
dolmen en Alava (Pays Basque Sud), Barandiaran découvrit de petites
stèles anépigraphes à sommet arrondi. Cette observation ne restera
pas isolée. Là s’arrête notre fil conducteur. Constatons que les
Baques ont connu très tôt des monuments qui peuvent être reliés à
l’histoire des discoïdales historiques (5).
Des
visions non linéaires
En
fait cette histoire est très complexe comment le suggèrent trois
situations bien repérées.
Jacques
Blot a fouillé trois baratz (sortes de cromlechs, abondants
dès l’âge du fer, quelques siècles avant le Christ), qu’il a
pu dater (charbons, mobilier) des environs du Xe siècle
ap. J. C.. Dans la même optique, Telesforo Aranzadi et José Miguel
de Barandiaran ont été témoins du fait que les bergers se
signaient et récitaient des prières en passant devant ces
monuments, dans la montagne. Ils savaient que des morts étaient là.
De nos jours, baratz désigne la parcelle de terrain, sous
l’avant-toit des maisons où l’on enterrait les petits enfants
morts sans baptême ; par extension, ce mot est devenu le jardin
(mais, fait remarquer un témoin, baratz c’est le devant
même d e la porte, alors que le jardin est partout). Aucun baratz
ne content de discoïdale.
Au
Pays Basque Nord, il semble qu’il y ait eu une brusque «éclosion»
de discoïdales à une époque où le tailleur de pierre (hargina)
supplante de plus en plus le charpentier (zurgina). Cette coïncidence
est curieuse et amène à nous poser la question suivante: d’où
hargina tire-t-il toute cette imagerie qu’il déploie dans les
discoïdales. De quelle basquitude nous parle-t-il? Au XVIIIe
siècle, en Labourd, tous ces maîtres sont laboureurs et pratiquent
la taille de pierre, de père en fils. Dans bien de nos villages,
nous voyons plus des arts de famille que de l’art basque tel que
nous pourrions le concevoir d’un point de vue théorique. Et
pourtant cet art funéraire est basque (original) et cohérent, comme
nous le verrons.
Dans
le Labourd occidental, en plein XVIIe siècle, apparaît
brusquement, sans antécédent décelable) une forme tout à fait
particulière de monument et qui possède un type d’imagerie
propre : la stèle tabulaire. Son histoire viendra se mêler à
celle de la discoïdale (6).
Des
opinions contraires
Sous
l’impulsion d’Eugeniusz Frankowski, qui fit le premier grand
travail sur les discoïdales (1920), ces monuments furent interprétés
comme la représentation de l’homme (du défunt, de l’être).
C’est un des lectures vraisemblables. Le Pays basque ne compte que
de très rares pierres dont le contour évoque le buste de l’homme.
Mais, fait plus important, nous appelons ces pierres : gizona
(l’homme), harri gizona (l’homme de pierre), kurutze-buru
beltza (croix à tête noire). Mais cette appellation n’est
peut-être que secondaire, rien ne dit qu’elle fut générale, et,
enfin, il existe, à l’ouest de notre pays, de grandes stèles
prolongeant un groupe asturien riche en monuments entièrement
circulaires, dressés, et datant des premiers siècles avant notre
ère.
A
côté de cette conception anthropomorphique (pour ne pas dire
anthropocentriste), d’autres font remarquer, arguments à l’appui,
que le disque est le soleil rayonnant et non une tête qui devrait
être « sphérique » dans la cadre de l’hypothèse
précédente, ce que l’on voit effectivement en Catalogne (7).
C’est possible, mais en ce qui concerne notre pays, c’est loin
d’être évident.
Nous
pensons que la stèle est fondamentalement un cercle cosmique dressé
(8).
Quelles
que soient les lectures retenues (elles furent forcément variées
selon les lieux, les temps, les circonstances…), il est bien
difficile de croire que «la» stèle est née avec, d’emblée,
«une» signification bien précise. L’objet «stèle discoïdales
basque» est fondamentalement un espace conceptuel où sont projetées
nos propres expériences, si ce n’est, trop souvent, nos propres
désirs. C’est pourquoi, au lieu de faire entrer la stèles dans
une vision délimitée, nous avons toujours cherché à nous mettre à
l’écoute des mondes possibles qu’elle autorise et que souvent
elle accompagne (5, 6, 8, 9, 10, 11).
Regard
ethnographique
C’est
ici que nous avons le pus de matériaux, en particulier pour tenter
de reconstituer des paysages culturels dans lesquels nos monuments
prennent sens. Mais, ici aussi, les origines restent floues. A partir
de quand la christianisation constitua-t-elle le levain de nos vies?
Quand et comment la discoïdale devint-elle chrétienne? De quand
datent les cimetières paroissiaux, etc.
Résumons
quelques données essentielles.
Jusqu’au
XVIIIe siècle on enterrait dans l’église et au dehors.
Dans ce dernier cas, il y avait des discoïdales sur les tombes. Ces
dernières peuvent signaler des maîtres et des maîtresses de
maisons, des nobles…
Les
lieux de sépulture sont variés, de même les monuments funéraires,
ces derniers peuvent être de types différents et posséder des
imageries propres (plate-tombe d’église ou de cimetière, de
porche ou de nef; tabulaire, discoïdales, croix).
Il
existe des liens: catégorie de défunt, type de sépulture (et donc
imagerie), en particulier dans le cadre des tombes d’enfant.
Il
y a parfois un lien net entre la topographie du village, celle des
tombes de l’église, celle des tombes du cimetière.
Au
début de notre siècle, beaucoup de monuments funéraires étaient
peints, certains le sont encore régulièrement. Les couleurs
employées étaient variées : bleu, vert, ocre, noir, blanc.
Les imageries étaient donc sculptées et peintes. Parfois même, sur
des croix, elles étaient uniquement peintes ; dans quelques
cas, le monument est entièrement peint en blanc, sans aucune
indication (12).
Stèle provenant d'Elizaberri (XVIIe siècle). Le rayonnement issu du point central se déploie seul dans le disque. Le décor du socle figure un monde trinitaire, teint d'imagerie chrétienne. |
Stèle provenant de Lehuntze (XVIIe siècle). Dans le disque, l'imagerie chrétienne triomphe du rayonnement repoussé dans le monde du socle, où il est surmonté à nouveau d'une croix. |
Le
monument funéraire s’inscrit au sein d’un espace construit :
«l’espace funéraire » (5). Jusque dans les années
1950, dans bien des endroits, la surface e la tombe était
soigneusement ratissées, on faisait ainsi des dessins que l’on
complétait avec ces cailloux, des fleurs piquées… Ces pratiques
deviennent rares, mais, en règle générale, tous les samedis, les
tombes sont remaniées par les femmes.
Tous
les voyageurs de la fin du siècle dernier sont unanimes : les
cimetières basques sont des jardins remplis de fleurs, de parfums et
de chants d’oiseaux. Rien de sinistre. Rien qui étale la
suffisance et la vulgarité. De très rares représentations (y
compris photographiques) montrent les monuments funéraires enfoncés
dans le sol et inclus dans la végétation que l’on met à leurs
pied (des saxifrages essentiellement). Seul le tumulus est en fort
relief, sorte de houle figée. Comment concilier de telles vues et
les conceptions quasi emblématiques que certains donnent des stèles
discoïdales ? Si l’on songe de plus, qu’en dehors de la
Basse Navarre, il y a peu d’inscriptions sur nos discoïdales…
Enfin,
et ce n’est pas le moins important les maisons, par les femmes,
jouent un rôle clef dans les culte des morts, à même les
sépultures et, autrefois, dans les maisons.
Est-il
possible de gommer de tels contextes quant on prétend étudier la
discoïdale basque ? Peut-on faire comme si ce cadre ne jouait
pas… comme si la stèle était cet « objet à l’état
pur », qui n’existe que dans nos chimères?
Stèle provenant d'Orègue (1615). On aime les imageries qui affirment le rayonnement. Il est possible que l'on ignore ce qu'est le pentalpha ou "sceau de Salomon". |
Regard
de pierres
Émergeant
dans l'espace funéraire (5), laisses d'une culture en route, traces
d'une mémoire en devenir, les discoïdales
sont
avant tout des temps arrêtés, qualifiés. Veut-on approcher
exclusivement «l'objet stèle discoïdale» ? A nouveau le temps est
là, cyclique, journalier, saisonnier: la stèle vit une aventure
cosmique. Et elle est faite pour cette aventure. Le monument est
orienté Est-Ouest, à la tête du mort qui regarde chaque jour
l'astre se lever, la splendeur du Ressuscité. Le matin le monument
est écrasé de lumière, puis, peu à peu, le soleil, dans son
parcours, le «sculpte» de plus en plus. Peu avant midi les
imageries regardant à
l’est
sont dans toute leur splendeur. A midi cette imagerie disparaît dans
l'ombre. En tout début d'après-midi la face Ouest est à son tour
éclairée en lumière rasant; l'imagerie qui y figure se pare de
tous les éclats. Le soleil déclinant peu à peu, sa lumière écrase
de plus en plus le monument, gommant son imagerie que le crépuscule
absorbe. Parallèlement l'ombre du monument ne cesse de se déplacer
sur le sol. En fin de journée cette ombre s'allonge de plus en plus
sur le tumulus, comme pour le protéger et se fondre avec lui, avec
la venue de la nuit, le temps de Gaueko, l'inquiétante ténèbre
(ilhun)
où
tout s'arrête (hil
: mort)
et se noie dans l'évanescent (ilhaun)
(8).
La
taille de la pierre en champlevé est le moyen par excellence pour
jouer le rôle de capteur transitoire de lumière. Cette technique
est parallèle au développement d'un langage plastique somptueux qui
est fondamentalement un dialogue entre les pleins (les parties
laissées en relief) et les vides (la matière enlevée). L'ambiguïté
de lecture est parfois totale ; il y a ici un véritable «jeu de
langage» (9), où les parties en relief des imageries sont
inséparables de celles qui sont évidées (de la même manière
Braque dit : «Le vase donne une forme au vide et la musique au
silence»).
A droite, axes et bases de quatre. A gauche, rayonnement et imagerie chrétienne cohabitent. |
Stèle provenant de Lecumberry (1647). Comparer à la photo suivante ci-dessous: deux approches de la discoïdale et deux façons de jouer avec la région 6 (base du disque). |
Stèle provenant de Béguios (XVIe siècle ?). |
La stèle discoïdale basque est fondamentalement un monde offert à la lumière de Egu (vieille divinité plusieurs fois millénaire que l'on retrouve dans : eguzki [soleil], eguna [jour], etc.), lumière qui l'anime et qui, tour à tour, l'exalte et l'efface. Pulsions et rythmes ne sont rendus possibles que par la complicité des maîtres et de la lumière. Les stèles sont des espaces de rencontres, de quêtes ; elles sont au-delà des signes (elles sont plus que des monuments) et des imageries qui les habillent.
La
confection des stèles relève de pratiques.
Celles
que nous venons de voir comptent parmi les pratiques fondatrices qui
assurent la permanence de notre basquitude, en dépit des modes et
des circonstances. Il y en a d'autres, nous le verrons. Toutes
signifient à leur façon notre personnalité se constituant.
Stèle provenant de Lukuze (XVIIe siècle). Construction sur la base de quatre, de IHS et de MA(ria), voir note bibliographique 16. |
Les
imageries
Il
est très difficile de parler des discoïdales en termes de symboles.
Ceci tient essentiellement à deux faits: la
plupart des symboles n'ont pas de définition objective. Il n'y a pas
de pavillon où sont déposés les étalon-rosace, étalon-besant,
étalon-croix fleurdelisée... La nomenclature repose sur une
certaine intersubjectivité;
elle se prête à toutes les distorsions, pour ne pas dire toutes les
manipulations.
Les
imageries ne sont pas des juxtapositions de «symboles»; le tout
n'est pas la somme des parties, nous le verrons.
L'homme
n'est pas un robot. La création est au-delà des réductionnismes et
des catégories. Qui saura ce que mettait en scène le maître qui a
fait telle ou telle œuvre? Que pouvait-il en dire? Qu'en disait sa
culture? etc. A défaut de répondre à sa place, essayons de nous
mettre à l'écoute de ces mondes disparus qui ont dû laisser
quelques traces en nous, ou des correspondances dans d'autres champs
de vie (les thèses fonctionnalistes ne sont pas pour nous déplaire).
Stèle provenant d'Arrosa (XVIIe siècle) |
Essayons
donc de voir s'il y a des plans d'organisation dans les imageries,
c'est-à-dire des cohérences, des mises en ordre, des niveaux de
complexité trahissant des préoccupations dont elles ne constituent
que la partie formelle. Tout d'abord, la notion d'imagerie est-elle
fonctionnelle? En d'autres termes, existe-t-il un niveau de lecture
de l'image globale qui ne nécessite pas de la réduire à des
éléments constitutifs totalement arbitraires (car résultant de
notre seule décision)? La réponse est positive:
— D'une
manière générale, l'imagerie des discoïdales
n'est
pas celle des autres monuments funéraires, ni celle des linteaux,
des fonds de cheminées, des cendriers (haustegiak), etc.
— Dans
la mesure où l'on peut dater un grand nombre de discoïdales
aux
XVIe
et
XVIIe
siècles, on ne peut que constater que les imageries qu'elles
présentent sont, d'une manière générale, uniques en Europe (alors
que ce n'est pas nécessairement le cas des éléments, ou «symboles»
qui les constituent).
— L'imagerie
est dialectisée : des types d'imageries caractérisent des zones
définies de notre pays.
— L'imagerie
est périodiquement renouvelée dans certaines zones, alors
qu'ailleurs s'installent durablement des académismes. La création
oscille entre ces deux pôles.
— L'imagerie
est cohérente. Dans certains cas on peut vérifier : 1) que des
éléments d'imagerie sont statistiquement associés ; 2) que des
types d'imageries figurant sur une face sont statistiquement associés
à d'autres types sur l'autre face. Tout se passe comme s'il y avait
un langage qui n'est pas seulement plastique (13).
La
lecture au niveau de l'imagerie n'exclut nullement celle au niveau
des symboles en tant que systèmes de représentations bien définis
(IHS, MA, croix accompagnées de cierges et de chandeliers, etc.) et
qui font partie d'imageries officielles, le plus souvent. Ces
symboles se comportent fréquemment comme l'imagerie, en ce sens
qu'ils fluctuent et dévient selon des directions qu'impose le monde
structuré et hiérarchisé de la discoïdale (voir en particulier:
5, 6, 11).
L'imagerie
représente donc un niveau de lecture (= de structure) efficace. Il
nous reste donc à montrer comment il est structuré et s'il «fait
sens» lorsqu'on le replace dans des paysages culturels basques.
Il
faut souligner avec force que les imageries dont nous parlons ici
sont issues de mondes à la sortie du Moyen Age. Elles présentent
deux caractères fondamentaux sur lesquels il faut revenir : 1) elles
sont diversifiées ; 2) elles sont renouvelées. Ces œuvres sont
donc autant de fluctuations, de propositions constituant un monde
basque en devenir. Elles sont étapes de parcours, et c'est ce
dernier qui nous intéresse avant tout (il mène à nous et nous
devons continuer le chemin, transmettre et faire fructifier
l'héritage). En effet, l'étude de nos discoïdales
nous
montre que ce parcours conditionne toute étape, à des degrés
divers. On pourrait dire d'une façon à peine provocatrice : peu
importe ce que la discoïdale figure, dès l'instant où elle est
habitée de culture basque, car c'est de cette culture qu'elle nous
parle avant tout. C'est elle qui lui donne la cohésion et le sens en
dépit des modes et aventures qu'elle vit de façon formelle.
Un
résumé pour aider à fixer des idées (fig. 1)
Les
flèches signalent des faits que la recherche a effectivement mis en
évidence. A droite un monde basque de type traditionnel. On enterre
les morts dans les maisons ou dans le jardin, mais aussi à l'église
ou au cimetière. Ces deux espaces de mort sont réunis par le chemin
qu'emprunte le convoi funèbre (hil-bidea).
Les
morts sont dans un ailleurs d'où, en principe, ils ne reviennent pas
(mais ceci est à tempérer si l'on en croit récits et pratiques).
Cet ailleurs est sous terre, dans le «ciel» basque traditionnel où
vivent, ou transitent, les plus importantes divinités. Ce monde
circulaire est décentré par l'église qui le réoriente en lui
proposant une tout autre lecture. Le paysage se colore de
syncrétismes les plus divers (voir les œuvres de Barandiaran).
A
gauche hargina
(le
tailleur de pierre; en fait, le faiseur de pierres) :
1)
Apports d'imageries.
2)
Rejets d'imageries anciennes ou de fragments (renouveau des
imageries).
3)
Les académismes installés.
4)
Formation
locale des maîtres ; l'apport extérieur n'est pas, actuellement,
démontré. En revanche, on sait que les Basques formaient des
équipes itinérantes qui, en Espagne, étaient sur les chantiers (et
parfois à la direction) de palais et de cathédrales.
6-7)
Les
vieux maîtres créent de façon différente pour la maison des
vivants et pour les demeures des morts.
8)
De nombreuses boucles de rétroaction ont été mises en évidence en
particulier au niveau de choix des maisons elles-mêmes et du «stock»
d'imageries que constitue la collection des monuments funéraires de
villages donnés.
C'est
dans la mise en mouvement de ces types d'espaces que se constituent
nos discoïdales.
«Un
monde structuré et hiérarchisé» (fig.
2)
C'est
la définition de la stèle basque telle qu'elle fut proposée il y a
quelques années sur la base d'une étude qui prenait en compte
plusieurs centaines d'œuvres des sept provinces, de «toutes
époques» (11). Les principes dégagés dans ce travail ont été
plusieurs fois testés avec succès. Ils permettent même d'unifier
dans une même perspective des stèles aujourd'hui pyrénéennes et
basques. Comme si l'on rétablissait quelques fragments de discours
perdus.
Ces
principes ne font que révéler des niveaux d'organisations et des
types de correspondance; ils valent par ce qui les fonde et non par
eux-mêmes (comme c'est le cas pour toute classification ou «mise en
ordre»). Ils nous accompagnent sur une voie qui nous permet d'aller
quelque peu en nous-mêmes, vers ce qui nous constitue dans notre
basquitude.
Ce
travail ne peut être ni exposé ni illustré ici. Seules seront
exposées les grandes lignes. Structure et hiérarchie signifient en
fait un plan d'organisation qui préside à la vie des imageries (à
leur choix, à leur devenir). Malheureusement ce plan est comme le
squelette du fossile en ce sens qu'il signifie des fonctions que nous
ignorons à tout jamais. Cependant nous pouvons rêver ces fonctions
dans la mesure où nos propositions doivent respecter ce contexte et
être compatible avec les paysages culturels les plus vraisemblables
que l'on puisse proposer. Les principes dégagés par notre travail
sont donc des outils et non des éléments d'une théorie (c'est
pourquoi nous sommes confiants dans leur efficacité à l'heure de
créer des monuments modernes).
Il
y a un plan d'organisation générale de la discoïdale, il sert à
«mettre en forme» l'imagerie, à l'articuler, à établir des
correspondances. Ce plan est constitué d'un certain nombre de
repères fondamentaux. Certains sont présentés sur la fig. 2, de
façon isolée, pour plus de clarté. De gauche à droite :
—
La
région centrale qui est le siège d'un rayonnement qui cherche à se
déployer dans le disque. L'axe V qui est le seul axe polarisé (les
éléments d'importance, comme un symbole chrétien, etc.,
chercheront à occuper le sommet du monument) ; il conduit à une
vision qui se déploie de cette région axiale vers les extrémités
droite et gauche.
— Au
centre sont figurés les deux couples d'axes : les axes principaux (V
et H) et secondaires. Ces deux couples ont des valeurs différentes.
Ces
axes portent à leurs extrémités des régions qui ont des
personnalités propres. D'une manière générale les régions
portées par les extrémités de l'axe H sont équivalentes et
peuvent mimer la région sommitale (extrémité apicale de l'axe V),
qui joue un véritable rôle d'attracteur. Tout autre est la région
6,
au
contact du monde du socle ; elle a une personnalité très affirmée.
On voit donc que l'axe V est le repère majeur, il contient (et
exprime parfois) le principe de symétrie; il porte trois régions
fortes (6,
centrale
et 12).
— A
droite, un autre repère largement autonome : la base de quatre.
Ces
repères majeurs n'imposent par eux-mêmes aucune imagerie, aucun
système de représentation. Ils sont éléments de champ
morphogénétique qui déstabilisent, polarisent, orientent et
accompagnent le devenir de toute forme qui vient se poser sur la
discoïdale. Ce n'est pas l'imagerie qui est basque c'est son
organisation ; les images sont à ce monde ce que les sons sont à la
langue basque. Cet art est langue basque pour la pierre.
Ces
repères sont en équilibres dynamiques, fluctuants ; ils sont point
d'équilibre, jalons pour les chemins d'aventure. Ils autorisent et
articulent des niveaux de langage en permettant d'établir des
correspondances par niveaux (11).
Nous
retiendrons la leçon de ces vieux maîtres pour lesquels nous avons
une tendresse infinie. Ils nous ont montré les voies pour être
aujourd'hui et pour préparer le chemin pour demain (voir dans un
prochain cahier les essais de création moderne).
Stèle provenant de Lukuze (1646) |
Revers de la stèle précédente. Le centre MA est affirmé par un double rayonnement: motifs divers disposés en cercle et inscription |
Pour des rêves éveillés
Cet
ensemble de données rapidement esquissées ici, de même que
l'espace structuré et hiérarchisé, peuvent-ils être intégrés
dans un ensemble construit qui les englobe et dans lequel (ou avec
lequel) ils font sens ? Récemment, Zulaika (14) nous a ouvert des
portes recelant
des richesses insoupçonnées. L'un des buts de son travail est de
cerner au mieux cette matrice sous-jacente aux divers codes sociaux
que nous construisons et manipulons, matrice qui articule ces codes
avec notre inconscient collectif. L'ordre culturel qui se manifeste,
en particulier à travers l'ethnographie, l'art et la langue, se
déploie dans ce qu'il appelle un espace esthétique-rituel (qui, en
fait, rassemble les éléments de champs morphogénétiques
structurant notre mémoire en acte). Les propos de cet auteur sont en
résonance avec l'univers des discoïdales
tel
que nous venons de le présenter.
Exposer
les grandes lignes de ce travail nécessite un minimum de
connaissance de la langue basque de la part des lecteurs... Il nous
faut donc renoncer à aller à cet essentiel tout en recommandant
chaleureusement, au bascophone, de suivre Zulaika dans son
itinéraire, il y a là un renouveau spectaculaire du champ
anthropologique basque.
Un
art funéraire pour une culture vivante
Une
telle aventure ne pouvait rester sans lendemain. La culture basque,
même piétinée, est chair de notre chair, espace de vie qui nous
réunit. C'est tous les jours qu'elle se construit, en particulier
grâce à des aventuriers qui tentent d'ouvrir des chemins pour ceux
qui sont plus démunis qu'eux. Avec les caveaux vulgaires et
encombrants, d'une affligeante laideur, nous mourons deux fois, comme
homme et comme basque. Le caveau c'est la banalité, ce sont la
technique et le commerce qui fleurissent dans le désintérêt et
l'irresponsabilité ; toutes les déviances sont autorisées. Ceci a
été dit mille fois.
Un
art de notre temps voit peu à peu le jour. Il est le fait de gens
qui s'estiment et n'hésitent pas à mettre en commun leurs savoirs
et leurs incertitudes, pour réaliser l'œuvre commune. Certains
d'entre eux travaillent au «Conseil d'architecture, d'urbanisme et
de l'environnement», d'autres à «l'Équipement», d'autres aiment
l'art de ce pays avec passion. Des marbriers les encouragent, des
municipalités s'engagent avec eux pour s'impliquer dans une
politique culturelle digne de ce nom, celle qui remet la création
dans la vie (15).
En
nous impliquant dans cette aventure de vie nous avons la ferme
conviction que la création ne s'est pas arrêtée le septième jour.
La vie, dont nous sommes, est création continue ; marche obstinée
vers Celui qui a été, qui est, et qui vient. Il illumine notre
route. Notre fierté c'est qu'Il nous a laissé libres de construire
ce chemin et nous le faisons en basque et en Basques. C'est cette
liberté éclairée qui est notre vie.
NOTES
(1)
R. Riquet,
Anthropologie
aquitano-vasconne.
Bulletin
du musée basque, n° 92, p. 61-84, 1981.
(2)
J. Allières,
Les
Basques.
Que
sais-je ? n° 1668, 1977.
(3)
Lauburu.
Histoire
et civilisation basques.
Éd.
Lauburu, Bayonne, 1979.
(4)
J. M. de Barandiarán,
Obras
complétas,
23
tomes. Éd. La Gran Enciclopedia vasca, 1972...
(5)
«Hil-Harriak», Musée basque, Bayonne, 1984.
(6)
M. Duvert,
Contribution
à l'étude de l'art funéraire labourdin,
Kobie,
Bilbao, p. 389-447, 1981.
(7)
J. M. Miró i Rosinach,
Esteles
funeràries discoïdals de la Segarra. Aproximacío a un significat
simbòlic.
Éd.
Grup. de recerques de les terres de Ponent, 1986.
(8)
M. Duvert, L'art funéraire à Arcangues. In
«Arcangues», Ekaina, Bayonne, p. 101-167, 1986.
(9)
M. Duvert,
Remarques
sur la structure de l'art plastique basque.
In
Piarres Laffitte-ri omenaldia. Iker-2, p. 751-767, 1983.
(10)
M. Duvert,
Contribution
à l'étude des stèles discoïdales basques dans la Navarre
d'Ultra-puertos.
Dans
«Cuadernos de etnología y etnografía de Navarra». Pampelune. N°
46, p. 145-200, 1985.
(11)
M. Duvert,
Contribution
à l'étude de la stèle discoïdale basque.
Bulletin
du musée basque. Bayonne, n° 71-72, 1976.
(12)
M. Duvert, Congrès de Carcassonne.
Signalisation
de sépultures et stèles discoïdales,
1987
(sous presse).
(13)
M. Duvert,
Les
stèles discoïdales.
Archéologie
en Languedoc, n° spécial, 1980.
(14)
J. Zulaika,
Tratado
estético-ritual vasco.
Éd.
Baroja, 1987.
(15)
M. Etchehandy,
Vers
un nouveau cimetière basque. La tradition au présent.
Dans
«Corde Magno», mars 1983, p. 15-26.
(16)
L. Barbé,
Observations
générales sur les monogrammes divins à propos de leur inventaire
dans le Lectourois. Dans
«Société archéologique et historique du Gers», p. 286-304, 1983.
Espaces
verts et stèles discoïdales
Marcel
Etchehandy
Revue
trimestrielle Zodiaque, numéro 161, juillet 1989.
Cahiers
de l’Atelier du Cœur Meurtry, Abbaye Sainte-Marie de la
Pierre-qui-Vire, Yonne.
Arrosako hil herrian. Egilea: Christiane Giraud. "Axe vertical et rayonnement solaire". |
Les
XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles
virent, au Pays Basque, l’apogée d’un art funéraire
remarquablement original. Par sa forme, par la conception de l’espace
qu’elle révèle, par le jeu des symboles qu’elle met en œuvre,
la stèle discoïdale de la période classique est bien l’expression
d’une époque. Il est dans l’ordre des choses que l’évolution
des modes de vie et les changements de mentalités entraînent des
expressions différentes. Dès le XVIIIe siècle, la stèle
discoïdale amorce un déclin qui aboutit à sa disparition complète
avant le milieu du XIXe siècle, après plus de vingt
siècles d’existence.
La
croix supplanta progressivement la discoïdale. Les cimetières
basques n’en perdirent pas pour autant leur personnalité. La croix
y revêtit des formes aux contours très particuliers; croix
bas-navarraise à profil ondulé, croix souletine à cabochons et à
base trapézoïdale, croix labourdine massive et sobre. Mais le plus
remarquable est sans doute la persistance, sur les formes nouvelles,
des modes d’expression de la stèle discoïdale. On anima les
surfaces de la croix, comme celles de la discoïdale, en considérant
le point d’intersection des deux bras comme le point central de la
discoïdale. Durant la période classique, le point central du disque
considéré comme source d’énergie et de rayonnement, créait,
organisait et maintenait dans la cohésion tous les éléments de la
composition. Il n’y avait pas juxtaposition de «figures
décoratives» —comme un observateur superficiel serait porté
à le croire— mais véritable création d’un ensemble organique,
comme on commence à le découvrir grâce à des études comparatives
approfondies (travaux de Michel Duvert). Est-il étonnant qu’il en
ait subsisté quelque chose, même après le naufrage de la forme qui
suscita cette activité créatrice? Quoi de surprenant que des yeux
accoutumés depuis des siècles à un contour circulaire n’aient
pas opéré instantanément l’accommodation requise quand le
support devint cruciforme? Le poids des traditions est considérable
dans les ateliers, surtout d’expression populaire. Ainsi les
lapidaires basques continuèrent-ils à voir une discoïdale sous les
apparences d’une croix. Du point central devait continuer à
jaillir l’énergie créatrice. C’est pourquoi de très nombreuses
croix du XIXe siècle portent en ce point une structure
rayonnante, souvent un soleil (Iguzki Saindua). On sent tout
de même la grande gêne du lapidaire à pouvoir développer, sur une
surface devenue étriquée, toutes les virtualités dont il se sent
porteur et que le support discoïdal favorisait au maximum. Cette
frustration, ajoutée au fait que les traditions de la grande époque
s’estompaient progressivement dans les esprits, fit que bientôt on
«perdit le centre». On se mit à décorer. L’esprit était
perdu.
Puis
à la fin du siècle, cette expression appauvrie elle-même disparut.
L’art populaire de la pierre était mort. Du moins pouvait-on le
penser.
Premier
essai
L’intérêt
porté à la culture basque en général depuis le XIXe
siècle, des travaux sur la stèle discoïdale, notamment «La
tombe basque» de Louis Colas publiée en 1923, réhabilitèrent
le monument funéraire traditionnel. De bons connaisseurs de
l’histoire basque dessinèrent d’opulents ensembles composés
d’une stèle discoïdale et d’une plate-tombe richement décorée.
Réalisée par de bons artisans dans un superbe matériau (grès de
Larrun ou de Bidarray), ces projets tranchaient sur la banalité
régnante. Ces premiers essais convainquirent et créèrent un
mouvement. Allait-on assister à une renaissance de la stèle? La
volonté de renouer avec une tradition interrompue, et ce afin de
mieux sauvegarder une identité enfouie ou niée, fut malheureusement
desservie par la conviction funeste qu’il suffit de reproduire pour
s’insérer dan une tradition vivante. Reproduire n’est pas se
reproduire. Un outil reproduit un modèle, seul un organisme vivant
se reproduit. Reproduire n’est pas créer.
De
plus, on voulut bientôt concilier caveau moderne et stèle
discoïdale, en plantant la seconde sur le premier. L’amalgame
était disgracieux parce que les proportions étaient mauvaises.
Simultanément l’imagerie s’appauvrit. L’avènement massif du
granit dans les années 60 porta le coup de grâce à cette
renaissance déjà bien aléatoire. En effet, tant que l’on utilisa
la pierre traitée à l’ancienne, les reliefs jouaient le rôle de
pièges à lumière. Le soleil animait les surfaces et les volumes.
Il rachetait bien des carences. Le granit poli agissant au contraire
comme un réflecteur de lumière effaça les reliefs en champlevé.
Il aurait fallu imaginer, non sans doute un autre monument —les
ressources de la discoïdale sont loin d’être toutes exploitées—
mais une autre manière de le traiter.
Nouvel
essai…à transformer
Devant
le constat d’échec de cette tentative, un nouveau mouvement est
né, qui s’est donné pour tâche une véritable renaissance de la
sépulture basque. Pour les modernes, l’activité de production
funéraire même est marginalisée. La simple idée en est souvent
refoulée, car la pensée de la mort est devenue insoutenable. Il
n’en fut pas toujours ainsi. On a écrit que le degré de culture
d’une civilisation se mesure à son attitude face à l’au-delà,
donc face à la mort et à tout ce qui l’accompagne. Les tombeaux,
les rites et les apprêts mortuaires divers absorbaient une partie
notable de la vie. Que l’on songe à l’Egypte ancienne. La mort
était intégrée à la vie, sans morbidité. Naître, vivre, mourir
et renaître étaient aussi naturellement acceptés que le cycle des
saisons : on naît avec le printemps, on vit avec l’été, on
meurt avec l’automne et on renaît avec le solstice d’hiver au
moment où le soleil, vainqueur des ténèbres (sol invictus),
s’élance dan sa phase ascendante. Quel plus beau symbole de vie?
N’a-t-on pas placé la naissance du Christ précisément à cette
date?
Un
renouveau du monument funéraire ne peut se dispenser de retrouver
l’esprit hors duquel il n’y a pas de vie, mais seulement
répétition. Partout c’est la croyance qui a guidé les gestes en
ce domaine. Pour un chrétien, la foi en Christ mort et ressuscité,
l’espérance qu’il porte en lui sont une lumière qui lui permet
d’apercevoir, quoique obscurément, la terre nouvelle et les cieux
nouveaux où il parviendra par le «passage» obligé entre
vie et Vie. Et puisque tout, en lui, chante cette espérance, comment
ne la manifesterait-il pas, surtout en ce lieu et en cet instant où
la désespérance du grand nombre atteint son paroxysme. Ainsi la
tombe d’un chrétien devait-elle briller non par les feux glacés
de ces énormes monuments de granit poli où s’affirment une
dernière fois la volonté de puissance, la conformisme et l’espoir
vain de se survivre, mais par l’humble rayonnement de la pauvreté
où la matière n’est là que pour manifester l’esprit. C’est
possible, cela a été, et nous en avons des témoignages merveilleux
sous les yeux.
Retrouver
l’esprit évangélique c’est aussi redécouvrir un monde de
symboles qui manifeste précisément cet esprit. Ce qui risquerait de
n’être qu’un énoncé de principes, un discours intellectuel,
devient, par le truchement du symbole, un langage accessible aux sens
et par eux à l’intelligence. Le symbole rend la matière
transparente. Il lui restitue sa véritable destination qui est de
donner corps à l’esprit. Ainsi les chrétiens, dès l’origine,
ont-ils puisé à pleines mains dans l’immense trésor des symboles
venus du fond des âges, en en modifiant souvent le sens pour
l’adapter à leur foi. Par exemple le soleil devenait le symbole du
Christ ressuscité; le lion était à la fois symbole du Père
ressuscitant le Fils, et du Fils ressuscité. En effet, on croyait
dans l’Antiquité que la lionne mettait bas des lionceaux mort-nés.
Le troisième jour le lion arrivait, soufflait dans les narines des
lionceaux, et ceux-ci se mettaient à vivre. Nous ne sommes plus
sensibles à beaucoup de symboles anciens, mais certains sont si
fondamentaux qu’ils nous parlent encore et souvent avec une
actualité saisissante. Le sens de beaucoup de symboles figurant sur
les discoïdales basques nous échappe. La redécouverte des plus
importants d’entre eux ne peut qu’être d’une grande fécondité
pour le renouveau actuel du monument funéraire.
Le
monde mental d’un peuple pré indo-européen
C’est
un fait bien établi que sur la chaîne des Pyrénées et de part et
d’autre de celle-ci une très ancienne civilisation préhistorique
a fleuri. Dans les temps historiques encore, malgré le terrain perdu
sous la pression des invasions venues de l’Est, elle couvrait
l’espace compris entre Garonne et Ebre pour le moins. Strabon
écrit: «Les Aquitains sont complètement distincts, non
seulement par leur langue mais aussi par leur aspect physique, plus
semblables aux Ibères qu’aux Galates» (Géogr., 4,1). Le
professeur Lafon, spécialiste de l’Aquitain, écrit que cette
langue n’était autre que le basque sous une forme ancienne. Les
études hématologiques sont venues confirmer les étonnantes
particularités de ce ou ces peuples circum-pyrénéens (voir
notamment «Le sang et l’histoire» du Pr. Bernard, 1983).
Parlant une langue (euskara) à laquelle on ne connaît ni ascendant
ni descendant, vivant dans un régime matriarcal doté d’institutions
inconnues des envahisseurs, les Basques —il est raisonnable de le
penser— devaient cultiver un monde symbolique bien particulier.
Mais l’esprit humain étant ce qu’il est sous toutes les
latitudes, il ne paraît pas douteux que les habitants de cette
région vivaient aussi des schémas mentaux communs à toutes les
civilisations. Quelle était la spécificité de la symbolique
basque? Il est bien difficile de le savoir. La colonisation romaine
puis l’emprise de l’Eglise —pour ne retenir que ces deux
facteurs essentiels— ne manquèrent pas de modifier le monde mental
basque, sans toutefois le vider de son contenu propre comme
d’innombrables études ethnographiques modernes l’attestent. La
riche tradition de la discoïdale basque est bien la résultante d’un
substrat basque très ancien, amalgamé à des apports hétérogènes
plus ou moins intégrés. Interrogées à l’aide du vocabulaire
d’une symbolique générale, témoin d’un fonds commun de
l’inconscient collectif, ces formes répondent; ça fonctionne.
Certes pas toujours, loin de là. Et sans doute une très large part
de ce monde nous restera à jamais hermétique. Mais ce que nous
croyons en décrypter peut déjà féconder un renouveau qu’il
faudra élargir et enraciner.
Pl. n° 1. Mauleko hil herrian. Egilea: Michel Duvert. "Divers symboles de vie. Le nom du défunt s'inscrit dans la mouvement ascendant terre-ciel. De même sur les monuments des planches 5, 9 et 16". |
Pl. n° 2. Milafrangan. Egilea: Michel Duvert. "Arbre de la chute de nos premiers parents (Gn 3-4), surmonté de l'arbre de la rédemption, la croix". |
Pl. n° 3. Larresoron. Egilea: Michel Duvert. "Thème solaire. Rayonnement du point central". |
Pl. n° 4. Zokoan. Egilea: Michel Duvert. "Tombe de prêtre". |
Pl. n° 5. Ahetzen. Egilea: Michel Duvert. "L'arbre de mort du paradis terrestre surmonté de l'arbre de vie qu'est la croix". |
Pl. n° 6. Larresoron. Egilea: Michel Duvert. "Thème solaire, symbole trinitaire, affirmation du centre". |
Pl. n° 7. Jatsun. Egilea: Michel Duvert. "Affirmation du centre: croix du Christ, centre de l'univers". |
Pl. n° 8. Larresoron. Egilea: Michel Duvert. "L'arbre de mort du paradis terrestre surmonté de l'arbre de vie qu'est la croix". |
Pl. n° 10. Maulen. Egilea: Michel Duvert. "Pur rayonnement du centre siège de l'Invisible, de l'Inexprimable". |
Les
pesanteurs de la mentalité scientifique
Une
réelle gêne s’empare de l’homme moderne dés qu’il s’agit
de symbolisme. Il ne se sent pas en terrain ferme. Il est bien vrai
que le symbole n'est pas de l'ordre du rationnel, et qu'il s'évanouit
même totalement dès qu'on le passe au moulinet de la rationalité.
«Analyser intellectuellement un symbole, c'est peler un oignon
pour trouver l'oignon, écrit Pierre Emmanuel. Le symbole ne
saurait être appréhendé par réduction progressive à
ce qui n'est pas lui; or il n'existe qu'en vertu de l'insaisissable
qui le fonde. La connaissance symbolique est une, indivisible et ne
peut être que par l'intuition de cet autre terme qu'elle signifie et
cache à la fois» (Etudes carmélitaines, 1960). Autant dire que
le symbole relève de l'art, de la création. Il faut l'aborder avec
l'audace, l'esprit d'aventure, la liberté du surfeur qui affronte
les grandes vagues sur sa frêle et périlleuse planche. Cela suppose
que l'on soit habité par la fraîcheur spirituelle du «primitif»,
que l'on pénètre dans son univers, que l'on accepte de vivre dans
l'incertitude, en renonçant à la «preuve scientifique»
plus sécurisante que réellement établie. L'hypothèse symbolique
est-elle si différente de l'hypothèse scientifique toujours en
quête d'une certitude qui ne cesse de se dérober? Le lecteur est
donc prévenu; il n'existe pas de catalogue millénaire nous donnant
la signification précise et exhaustive de chaque forme, signe ou
rite symbolique. Il s'agit d'un langage fluctuant. Chaque
civilisation, chaque peuple, chaque époque a infléchi ou coloré le
sens de signes universels. Un même symbole a souvent plusieurs sens.
L'incomparable avantage du symbole est de s'adresser à l'imaginaire,
ce qui ne veut pas dire à la fantaisie débridée. Toute
interprétation a un fundamentum in re qui est là pour
«donner à penser» et non à divaguer.
Un
monument cosmique
Une
stèle discoïdale est composée de deux parties bien distinctes: le
socle et le disque. Le socle est carré (ou rectangulaire, ou
trapézoïdal, ce qui en symbolique, a le même sens). Or le carré
symbolise la terre; non pas simplement notre planète, mais le
matériel, le créé en tant qu'il s'oppose à l'incréé, au
transcendant, au ciel. Et cela en raison du lien étroit qui lie le
carré à la croix. Le symbole premier de l'univers est en effet la
croix. Ses bras allongés à l'infini dans les directions cardinales
n'embrassent-ils pas tout le cosmos? De la croix on est passé tout
naturellement au carré. Ces deux figurent expriment l'universalité
spatiale.
Le
cercle —qui est inséparable de son centre— semble bien être une
figure archétypale que l'homme porte inscrite en son inconscient. La
fascination qu'il exerce reste vive chez les Basques. Les cromlechs
peuplent leurs montagnes. De très nombreuses danses sont toujours
exécutées en rond. Le mode d'occupation du sol communautaire, en
des temps reculés, atteste le même schéma mental: le berger
recevait la jouissance de deux parcelles, l'une en haute montagne
pour la saison d'été, l'autre en piémont pour l'hiver. Or ces deux
parcelles étaient circulaires. Au centre du cercle se trouvait une
pierre sur laquelle était gravé un carré, dans lequel figuraient
les diagonales et les médianes (croix) indiquant les huit directions
de l'espace. Aux huit points où ces lignes, imaginairement
prolongées, touchaient le cercle, on dressait une pierre, délimitant
ainsi le saroi ou aire de pacage (1). Ces mêmes bergers
pyrénéens pratiquaient jusqu'à une date récente un jeu, urdanka
(2), dont l'aire
circulaire comportait un trou central où logeait une balle
sphérique. Le jeu consistait en échanges de balles entre un joueur
central et des partenaires postés sur le cercle. Il n'est pas
jusqu'à la langue basque qui ne témoigne de l'importance du centre
et du cercle. Par exemple, arriver à ses fins se dit erdietsi
(erdi: centre; etsi: fermer, esi: clôture). Il semble que la
réussite, le succès soient conçus comme le résultat d'échanges
centre-périphérie (recherches de J. Zulaika). Il serait étonnant
que la stèle discoïdale ne manifeste pas un aspect du même univers
mental. L'Eglise adopta ce monument, souvent sans y ajouter le
moindre signe chrétien, qu'elle a pu penser superflu. Le cercle par
excellence, celui qui ne pouvait que frapper l'imagination de stupeur
et d'admiration n'était-ce pas la rotation cosmique du ciel tout
entier gravitant autour d'une étoile mystérieuse, point primordial,
axe de l'univers? Y a-t-il image plus grandiose que cette ronde des
astres, parfaite et sans variations, pour symboliser l'éternité, le
transcendant, le ciel, c'est-à-dire le tout autre que la «terre»
en perpétuelle mutation?
Nous
posons comme hypothèse que la stèle discoïdale est un monument
cosmique, un microcosme, où le schéma cercle sur carré symbolise
l'univers, simplifié au binôme ciel-terre. Cette structure est bien
connue sous la forme, surtout architecturale (par exemple dans une
église romane), du rectangle surmonté de l'arc de cercle de la
voûte. Le cas de la discoïdale est original en ce sens que nous
sommes ici en présence d'un cercle complet muni d'un point central
affirmé, ce qui est une image parfaite du cercle céleste gravitant
autour de son axe. «La figure circulaire adjointe à la figure
carrée est spontanément interprétée par le psychisme humain comme
l’image dynamique d’une dialectique entre le céleste
transcendant auquel l’homme aspire naturellement et le terrestre où
il se situe actuellement, où il s’appréhende comme sujet d’un
passage à réaliser dès maintenant grâce au concours des signes»
(Le Monde des symboles, Zodiaque 1980). La discoïdale
matérialise, de manière suggestive, ce «passage» qu’effectue le
défunt du carré au cercle, de la terre au ciel. Sous ce rapport,
l’imagerie est secondaire. Les formes mêmes disent bien la
fonction du monument. Non que l’imagerie qui le revêt soit
inutile. Elle apporte un plus qui est loin d’être négligeable
pour préciser et compléter le message. Un exemple fera mieux
comprendre ce que nous voulons dire. Il est un thème capital que
l’accomplissement du salut que nombre de discoïdales modernes
mettent en lumière: la rencontre avec Dieu, l’ouverture des
cieux. Le rêve de Jacob (Gn 28,14) voyant une échelle à monter
au ciel, l’aspiration d’Isaïe soupirant: «Ah! si tu
déchirais les cieux, si tu descendais» (63, 19) se sont
réalisés: «Le Verbe est devenu chair, et il a séjourné parmi
nous» (Jn 1, 14). En gardant l’image biblique, on peut dire
que le Christ, pour descendre sur la terre, a déchiré les cieux, et
par là même, l’homme accède auprès de Dieu: «Alors que nous
étions morts… [Dieu] nous a relevés ensemble et
nous a fait asseoir ensemble dans les régions célestes avec Christ
Jésus» (Ep 2,5-6).
En
somme, au plan de la représentation symbolique, l’Incarnation a
aboli la séparation entre le cercle et le carré. Il y a désormais
libre circulation entre les deux espaces. La montée au ciel est
figurée de diverses manières: par un carré (terrestre) vide (pl.
2, 3, 6, 18); par une imagerie disposée en colonne ascendante le
long du grand axe vertical du monument (pl. 1, 4, 9, 16); par l’arbre
cosmique dont les racines plongent dans le carré, tandis que la
frondaison emplit le cercle (pl. 5, 8, 19). Le tronc est alors le
substitut de l’échelle permettant l’ascension dans «les
régions célestes».
Il
est un autre aspect que la discoïdale dont il faut essayer de rendre
compte. Dans un monument si simple et rigoureux, rien n’est laissé
au hasard ou à la fantaisie. Pourquoi donc, traditionnellement, le
socle en est-il très souvent trapézoïdal? Dans l’imaginaire
religieux, la montagne tient une grande place. Elle est le lieu où
la terre s’étire à la rencontre du ciel. Elle figure le désir de
l’homme tendu vers la divinité. Plus, la montagne joint le ciel à
la terre. La gravir, c’est monter au ciel. Innombrables sont les
montagnes sacrées, naturelles ou artificielles comme les ziggourats
(immenses tours en troncs de cône) de Mésopotamie, les pyramides
d’Egypte ou des civilisations précolombiennes. La symbolique
chrétienne s’inscrit dans cette perspective. Que l’on songe au
mont Sinaï, lieu de la rencontre de Dieu avec Moïse, à la montagne
de la Transfiguration où la gloire de Jésus se manifesta, au mont
des Béatitudes, lieu de la charte de la Nouvelle Alliance, au mont
de l’Ascension du Seigneur, et surtout au Golgotha sur lequel fut
dressée la croix, la véritable et seule échelle entre terre et
ciel, car c’est bien grâce au sacrifice de Jésus sur la croix que
les croyants ont accès auprès du Père, qu’ils sont «unis à
la divinité de celui qui a pris notre humanité» comme
s’exprime la liturgie. Le socle trapézoïdal ne serait-il pas le
symbole de la montagne sacrée dont le sommet pénètre dans le ciel?
O
Soleil Levant, viens !
Après
ce qui vient d’être dit de la dimension cosmique de la discoïdale,
on ne s’étonnera pas que nombre de réalisations modernes de nos
cimetières soient des disques solaires. C’est là une autre
lecture, proche de la précédente, de notre monument (pl. 3, 10, 12,
17). Sa forme fait plus que la suggérer. Le soleil a été pour les
anciens et reste pour les modernes la sourde de vie. Les chrétiens
ne pouvaient manquer de faire d’une réalité aussi essentielle et
signifiante le symbole par excellence du Christ qui a dit: «Je
suis la lumière du monde». Qui dit lumière pense soleil, même
en nos temps de lumières artificielles. Les chrétiens des premiers
siècles soulignaient que le Christ était ressuscité justement le
dies solis, le jour du soleil, premier jour de la semaine
romaine sous l’Empire. Le Christ était le sol justitiae
(soleil de justice) ou le sol invictus (soleil invaincu —par
les ténèbres— du solstice d’hiver.
Fait
remarquable : depuis que Jacques Blot a fait l’inventaire et
l’étude systématique des monuments pré et protohistoriques du
Pays Basque Nord, il s’avère que les nombreux dolmens (qui sont
des sépultures à inhumation) de ce pays sont orientés: ils
présentent généralement leur entrée à l’est. Cela se passait
aux troisième et deuxième millénaires av. J.C. Quand l’ère de
la construction des dolmens s’acheva vers le huitième siècle
avant J. C., les cromlechs qui sont des sépultures à incinération,
prirent le relais. Or on ne les trouve que sur les crêtes et les
cols largement ouverts vers le soleil levant. On sait par les
fouilles récentes que l’on construisit des cromlechs au moins
jusqu’au onzième siècle ap. J.C., une époque où le
christianisme était déjà largement implanté. Celui-ci trouva sur
place cette tradition de l’orientation qui lui convenait si bien,
et qu’il adopta, de sortes que les tombes chrétiennes de nos
cimetières, jusqu’à nos jours, étaient face à l’est. Depuis
quelques décennies, parce qu’on ne comprend plus le sens de cette
tradition, que l’on manque de terrain pour implanter des caveaux,
parce que certaines lois, implicites, de l’urbanisme régissent
aussi les cimetières (allées bordées de deux rangées de maisons
mortuaires se faisant face), parce que l’un des soucis des
municipalités est l’occupation maximum du terrain, les cimetières
basques sont devenus, pour la plupart, un bric-à-brac de caveaux
désorientés tous azimuts au gré des parcelles disponibles. En
perdant l’est, ils ont perdu leur sens. Ils assument une fonction
matérielle —recueillir les morts— mais ils ne signifient plus
l’essentiel de la foi: l’espérance en la résurrection si
magnifiquement exprimée naguère par le soleil levant symbole du
Christ ressuscité vers lequel étaient tournés et tendus ceux qui
«dorment dans la nuit de la mort». L’aurore était, chaque
matin, l’expression cosmique radieuse et grandiose du Marana tha
exaucé par l’apparition incandescente. Beauté de l’antienne
grégorienne que les moines chantent pour accueillir la naissance du
Christ et qui est si parfaitement en situation sur la pierre tombale
du croyant: O soleil levant! splendide éclat de la lumière
éternelle, soleil de justice, viens, illumine ceux qui sont établis
dans les ténèbres et la nuit de la mort (pl. 13).
Renaître
au sein de la terre
Il
est une autre réalité à laquelle nos contemporains sont sensibles:
la terre. En complément à une civilisation citadine où règne le
béton, des frustrés du travail abrutissant à toutes les victimes
du stress, qui ne se surprend à rêver «veau, vache, cochon,
couvée»? Platoniquement. Et le fameux «retour à la terre» de
tant de jeunes, rêve sans cesse caressé et toujours plus
impossible. La terre à l’air libre devient très rare dans les
cimetières. Il n’y a pas si longtemps encore, elle y régnait en
maîtresse, comme à la ferme; là-bas on la labourait, on la
hersait, on l’ensemençait; puis au soir tombant, les mains sur les
hanches, on la regardait longuement, plein de satisfaction et
d’admiration; quoi de plus beau qu’un champ ensemencé, sinon ce
champ mûr pour la moisson? On retrouvait au cimetière une parcelle
de cette même terre. On la creusait aussi, profond, pour y déposer
le corps du défunt, grain de blé enfoui en vue d’une mystérieuse
moisson dont on ne savait rien, sinon qu’elle aurait lieu aussi
sûrement que le soleil se lève tous les matins, ponctuellement, de
tout temps à jamais. Le grain de blé dans le champ de la ferme et
le corps dans le champ des morts, c’est tout un. On sait bien que
la vie en jaillira au printemps. Dans l’un et l’autre cas, c’est
affaire de soleil.
C’était
ainsi. Il n’est est plus de même. La terre n’est plus la
terre-mère (Ama-lur). Nous ne faisons plus le lien entre le
sein maternel d’où nous sortons à la lumière de la vie, et le
sein de la terre où l’on nous dépose, semence, pour une nouvelle
génération qui s’épanouira en lumière et en vies renouvelée.
Job, se prosternant sur le sol, s’était écrié : «Nu je
suis sorti du sein maternel, nu j’y retournerai» (1, 21). Il
assimilait tout naturellement la terre au sein maternel. N’y a-t-il
pas là de quoi nous réconcilier avec la terre ? Car les
modernes la détestent, du moins dans le contexte de la mort. La
preuve : on ne lui confie plus le corps des êtres aimés. Au
contraire, on leur évite à tout prix son contact. On place le corps
dans un cercueil de bois quasi imputrescible, ce cercueil
soigneusement fermé est encore défendu de la terre par un caveau
que l’on souhaite étanche. Le tout surmonté d’un monument de
granit rutilant, reflet de la condition sociale du propriétaire. Le
refus crispé des modernes à rejeter, en le retardant, l’inéluctable
retour à la poussière, un chrétien ne peut que le trouver
dérisoire. La remise, pleine d’espérance, de sa vie, à la
miséricorde du Père qui a relevé son Fils d’entre les morts, et
l’abandon confiant de son corps à la terre, mère de toute
germination, qui fait lever en moisson d’or les pauvres graines
enfouies, le croyant pressent que ces deux mouvements vont de pair et
s’appellent mutuellement. C’est dans l’ordre: on naît au sein
d’une mère, on renaît au sein de la terre.
Pl. n° 11. Jatsun. Egilea: Michel Duvert. "Revers de la stèle de la planche 7. Trinité". |
Pl. n° 12. Ahetzen. Egilea: Michel Duvert. "Affirmation du centre. Le nom est intégré dans le rayonnement: le défunt est entré dans la lumière". |
Pl. n° 15. Arruntzen, Uztaritzeko auzoa. Egilea: Michel Duvert. "Affirmation en même temps de l'axe vertical par la croix, et du centre. Alpha et oméga". |
Pl. n° 16. Milafrangan. Egilea: Michel Duvert. "Affirmation de l'axe vertical qui se termine par la croix glorieuse". |
Pl. n° 17. Egilea: Jesus Echeverria. "Rayonnement solaire". |
Pl. n° 19. Milafrangan. Egilea: Michel Duvert. "L'arbre de mort du paradis terrestre surmonté de l'arbre de vie qu'est la croix". |
Pl. n° 20. Arruntzen, Uztaritzeko auzoa. Egilea: Michel Duvert. "Affirmation du centre par les six directions de l'espace". |
L’arbre-échelle
Voici
un autre thème d’une singulière richesse, aisément compris par
les Basques qui ont fait du chêne de Gernika le symbole même de
leur peuple : c’est le symbolisme du végétal, et plus
précisément du roi des végétaux: l’arbre.
L’arbre
est symbole de vie en perpétuelle évolution. Il vit l’été,
meurt l’hiver et revit au printemps. Il signifie ainsi le cycle
ternaire de l’homme, dit et redit sans cesse par le cours des
saisons que la mort est vaincue, que la naissance à une vie nouvelle
n’est possible que par la mort. La tradition la plus ancienne et la
plus universelle associe intimement vie et sein maternel. Ainsi
l’arbre comme symbole de vie a une fonction maternelle, à l’instar
de la terre. Un usage germanique prescrivait l’ensevelissement dans
des cercueils creusés à même un tronc. On devine le sens mythique
de cette coutume: le défunt est remis à la mère-arbre pour être
ré-enfanté. On a depuis longtemps oublié cette signification
profonde, pourtant directement liée à l’espérance chrétienne,
du cercueil de bois dont on ne perçoit plus que la fonction
matérielle. Ici encore, on a amputé la réalité de sa dimension
spirituelle. Si le signe lui-même s’est dégradé, du tronc creusé
à la caisse de planches vernissées, il lui reste encore
suffisamment de substance pour que nous lui rendions toute son
épaisseur symbolique.
L’arbre
dont les racines pénètrent en terre et dont la frondaison s’élève
dans le ciel, ne peut vivre que dans ces deux «milieux»
simultanément. Les sucs montant des racines (apport de la terre) ne
deviennent vie que par l’assimilation chlorophyllienne (apport du
ciel). Il est ainsi universellement considéré comme un symbole des
liens qui s’établissent entre la terre et le ciel. C’est le long
de son tronc que l’homme quitte le carré terrestre pour le cercle
céleste, comme indiqué plus haut.
Dans
un contexte chrétien, ce donné traditionnel prend un sens
particulier. Il est en effet deux arbres célèbres dans la Bible,
qui se répondent: l’arbre de la connaissance du bien et du mal
—arbre de vie qui fut aussi arbre de mort, puisque son fruit coûta
à l’homme d’être chassé du paradis et de devenir mortel (Gn
2-3)— et son correspondant la croix, arbre de mort qui est aussi
arbre de vie, puisqu’il a ouvert de nouveau le paradis à l’homme
déchu. Leur superposition dans l’espace cosmique de la discoïdale
donne un raccourci saisissant de toute l’histoire du salut, des
origines à la fin des temps (pl. 5, 8, 19). D’après cette
représentation, le Christ est crucifié sur une croix à tronc
vivant et branches vertes. L’arbre auquel était suspendu le fruit
de mort porte désormais l’arbre auquel fut suspendu le fruit de
vie, le Christ. A ces deux arbres, il faut superposer le troisième
arbre biblique, l’arbre de vie planté au milieu du jardin d’Eden,
car ces trois arbres qui n’en font qu’un, sont au centre du
paradis terrestre, au centre du monde, au centre de l’univers. Ils
sont l’axe même du cosmos, comme l’exprime bien leur position
sur le grand axe vertical de la discoïdale.
Allons
jusqu’au bout de la cohérence de ce symbole. Puisque l’arbre
assure le lien entre la terre et le ciel, mais que le seul médiateur
entre Dieu et les hommes est le Christ, on ne peut qu’identifier ce
dernier à l’arbre. Comme dans un autre contexte saint Paul put
écrire que «Ce rocher était le Christ» (1 Co 10,4) en se
référant au rocher d’où Moïse fit jaillir l’eau dans le
désert (Ex 17,6), de même ici l’arbre médiateur, peut-il être
appelé Christ. Le Christ géant que Zadkine a taillé dans un arbre,
tout d’une pièce, est une illustration contemporaine de cette
identification du Christ à l’arbre. On comprendra dès lors que ce
végétal, planté dans les cimetières ou figuré sur les monuments,
est beaucoup plus qu’un agrément. Il est, comme le soleil et la
terre, une affirmation de la vie sur le lieu même où la mort semble
triompher.
Le
rayonnement du centre
Nous
avons déjà dit comment la réalité du centre a pu être perçue
par l’observation du ciel où un point semble jouer le rôle d’axe
autour duquel tournent les astres. Mais l’esprit humain l’a conçu
également, de façon plus abstraite sans doute, mais non moins
significative. Un exemple nous introduira dans cette nouvelle vision.
L’anthropologue
Burckhardt raconte comment il assista un jour, dans une tribu de
Peaux-Rouges animistes d’Amérique du Nord, à ce l’on pourrait
appeler la consécration d’un autel. Le célébrant, armé d’un
tomahawk, s’approcha de l’autel, se tourna vers l’est et frappa
le sol de son arme. Il fit de même successivement face à l’ouest,
face au sud et face au nord. Puis il porta deux coups de tomahawk,
l’un au ciel au-dessus de lui et l’autre à la terre devant lui.
Et Burckhardt de commenter : le célébrant venait de placer
rituellement l’autel au centre de l’univers en traçant la croix
des quatre directions de l’espace (plan horizontal) plus la ligne
du zénith et celle du nadir. On a donc ainsi deux croix : la
croix horizontale des directions cardinales, et la croix verticale,
formée par la ligne zénith-nadir et l’une ou l’autre des
droites de la croix horizontale. En réalité, les deux croix ne font
qu’une, la croix tridimensionnelle, qui embrasse l’espace dans
ses trois dimensions et dont le tracé n’a d’autre but que de
localiser le centre de l’univers au point de jonction des six
lignes mentionnées. L’important est donc ce point: le septième
élément. Peut-on y voir la raison pour laquelle le nombre sept est
«sacré»?
Une
structure aussi simple et riche à la fois convenait à merveille
pour exprimer la foi des chrétiens. Saint Paul, le premier,
l’applique au Christ: «Soyez enracinés dans l’amour et
fondés sur lui, afin d’avoir la force de comprendre avec tous les
saints ce qu’est la largeur,
la longueur, la hauteur et la profondeur, et de connaître
l’amour du Christ qui surpasse toute connaissance, pour que vous
soyez remplis de toute la plénitude
de Dieu» (Ep 3, 17-19). Dès le début du christianisme, on a
vu au cœur de cette structure, le Christ principe de tout le créé,
puisque «tout fut par lui, et rien de ce qui fut ne fut sans lui»
(Jn 1,3). Tout le cosmos jaillit de ce point (mouvement centrifuge)
et tout retourne à cette origine (mouvement centripète) selon la
vision grandiose de saint Paul encore: « [Dieu] nous a fait
connaître le mystère de sa volonté, le dessein bienveillant qu’il
a d’avance arrêté en lui-même pour mener les temps à leur
accomplissement: réunir l’univers sous un seul chef, le Christ,
ce qui dans les cieux et ce qui est sur le terre» (Ep 1,9-10).
Comment
la croix tridimensionnelle fut-elle représentée en surface plane ?
Il fallait nécessairement que deux droites sur six fussent
rabattues. Bien avant l’apparition du christianisme, on troue la
figure de six lignes rayonnant à partir d’un point central: *. Les
chrétiens y lurent sans difficulté les deux lettres initiales
grecques, superposées, du nom de Jésus Christ, en usage encore
aujourd’hui. Avec une légère boucle au sommet de l’ave
vertical, le signe antique donna les deux premières lettres grecques
de «Christ». Ce fut le chrisme, figure simple initiale, souvent
enrichie d’autres éléments comme alpha et oméga.
Pour
ce qui est de la représentation de la croix tridimensionnelle sur
les discoïdales anciennes, on est réduit à des conjectures.
Beaucoup de ces monuments portent, occupant tout le champ du disque,
l’étoile à six branches. Très souvent au centre de cette étoile,
donc au centre même du disque, apparaît une fleur à six pétales
grêles (rosette). Qu’est-ce qui empêche, l’histoire ne
fournissant aucune certitude sur ce point, de lire dans ces deux
formes des expressions de la croix tridimensionnelle ? La
démarche symbolique de toujours nous invite à ce type d’aventure,
pourvu que nous respections la cohérence, la logique de la pensée
symbolique. La rigueur historique est toujours nécessaire, mais elle
risque de faire des symboles des stéréotypes sclérosés. Dans le
domaine qui nous occupe, il convient certes d’être attentif à
l’histoire, mais ce sera le cas échéant, pour s’en affranchir
en connaissance de cause. Selon le mot de Jean Chevalier dans son
introduction au Dictionnaire des symboles, sur la vérité du
symbole, on peut reprendre le titre de la fameuse pièce de
Pirandello: Cosi è se vi pare, chacun sa vérité.
La
nouvelle tombe basque offre diverses manières d’affirmer le
centre. Tel disque exprimera le pur rayonnement où «réside»
l’Invisible, l’Inexprimable (pl. 10, 11, 12, 15). Tel autre y
montrera la croix du Christ cœur de l’univers (pl. 7); tel autre
encore représentera, de façon inédite, les six directions de
l’espace et leur relation au centre (pl. 20). On reconnaîtra
facilement la concrétisation de cette idée en d’autres
mouvements.
Notre
futur s’enracine dans notre passé
Si
nos cimetières sont devenus des lieux morbides et ne témoignent en
rien de l’espérance qui habite le croyant, et cela malgré la
multiplication de la croix devenue un simple accessoire du caveau, un
badge d’appartenance religieuse, c’est que le moderne a désappris
le langage des choses, il a dépouillé la matière de sa dimension
métaphysique, dans la mesure même de sa régression spirituelle
personnelle. Un renouveau du monument funéraire basque ne peut se
concevoir que dans un milieu spirituellement vivant et créateur qui
«émet» sa richesse intérieure vers l’écran de la nature
dont il reçoit l’image magnifiquement lumineuse et colorée. La
qualité de l’émission, nul doute, est fonction de la qualité
d’âme.
Certes,
des idées, même excellentes, ne suffisent pas à produire un
chef-d’œuvre. L’artiste puise aussi à une source intérieure
qui n’est pas d’ordre conceptuel. Mais la référence à une
tradition riche en formes et en symboles le sauvera de la tentation
de se raconter sans cesse et de s’anémier. Après mille ans
d’oubli, l’Antiquité romaine féconda merveilleusement la
Renaissance. On ne peut admirer la coupole du dôme de Florence par
Brunelleschi, sans penser à la coupole antique du Panthéon; tous
les éléments architecturaux utilisés par Michel-Ange appartiennent
au répertoire gréco-romain: ordres dorique, ioniques, corinthiens,
frontons divers, corniches, médaillons, etc. On ne prétendra pas
pour autant que Michel-Ange ne fut pas un génie. Les bas-reliefs de
la Cantoria,
de Luca della Robbia, ne peuvent cacher leur parenté étroite avec
les sarcophages antiques que Luca pouvait voir partout sur les places
de Florence. On aura compris qu’utilisation d’une source
d’inspiration n’est pas copie, et que tradition n’est pas
traditionalisme. La première est vie, le second est répétition,
sclérose. La tradition de la stèle discoïdale basque est
suffisamment riche et féconde pour susciter un nouvel essor. Non un
regard nostalgique en arrière, mais un élan résolument novateur,
en même temps enraciné et libre.
Christiane Giraud Arrosan. |
Christiane Giraud Arrosan. |
(1)
Voir Michel Duvert: Sels et saroi, espaces circulaires et peuplements
en Iparralde, Anuario de Eusko folklore, n°49, 2010-2011.
http://www.barandiaranfundazioa.eus/images/AEF49/049181208.pdf
(2)
Voir Michel Duvert et Arnaud Aguergaray: Etude d’un jeu de bergers
basques en Soule, 1ère
partie données ethnographiques, témoignages oraux, Anuario de Eusko
folklore, n° 35, 1989. 2e
partie, approche sémantique n° 36, 1990. 3e
partie, bilan et généralisations, n°37, 1991.
http://www.euskomedia.org/PDFAnlt/folkl/036051060.pdf
Et
Michel Duvert et Arnaud Arguergaray: Urdanka, jeu de bergers basques
en Soule, Lauburu, col. Uzta.
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