Michel Duvert: Une stèle figurée à Macaye

A propos d'une stèle figurée

trouvée à Macaye (Labourd)


Jean-Gérard GORGES, Martine LAMBERT-GORGES
Michel DUVERT
Hil harriak, Actes du colloque international sur la stèle discoïdale, 
Bayonne, 8-18 juillet 1982, Société des amis du Musée Basque, 1984.

Voici bientôt trois ans qu'à l'occasion d'un chantier de l'Association Lauburu, mené en collaboration avec la municipalité de Macaye et l'abbé Lecuona, on a procédé au recensement des pierres tombales de cette commune des Pyrénées-Atlantiques, située à quelques kilomètres au sud de Hasparren. Parmi un groupe de stèles rencontrées dans un angle du cimetière paroissial, une d'entre elles représente sur l'une de ses faces un personnage figuré, selon toute évidence un guerrier (Fig. 1).

Cette découverte est en elle-même d'un intérêt non négligeable, car ce type de représentation est rare. On ne dénombre, en effet, que très peu de stèles figurées dans le répertoire de l'iconographie funéraire basque. Par ailleurs, si l'on a —en Pays Basque espagnol notamment— des représentations de personnages relativement nombreuses sur des monuments funéraires anciens parfois difficiles à dater précisément, on n'en peut relever, en revanche, que fort peu d'exemplaires sur des stèles de forme discoïdale.
D'une façon générale, les représentations humaines trouvées en Pays Basque et en Navarre sur des stèles discoïdales peuvent être regroupées en trois grandes séries: 1°) les Christ en croix, dont on connaît deux exemples en Gipuzkoa et en Navarre, mais qui ne représentent pas un thème régional typique; 2°) les scènes composées, où figurent les représentations agencées de plusieurs personnages ; elles peuvent occuper une seule ou les deux faces de la stèle, mais, là encore, elles ne sont pas propres au Pays Basque et peuvent se rencontrer par exemple au Portugal ou dans l'aire cantabre; 3°) les effigies humaines isolées qui sont de loin, toutes proportions gardées, les plus nombreuses. Elles apparaissent notamment en Pays Basque français, en Alava et en Navarre, avec une nette prépondérance pour cette dernière province; d'une façon générale, hors de ces régions, ce type de représentation demeure rare.
Au total, les stèles discoïdales qui ne figurent qu'une seul personnage —en pied, en buste, ou en portrait— sont peu courantes. On n'en peut relever qu'une quinzaine pour l'ensemble du Pays Basque au sens large, dont la majorité est d'origine navarraise. Parmi ces figurations isolées, trois seulement représentent un guerrier armé. La stèle de Macaye serait la quatrième du genre: c'est dire, déjà, son intérêt.

I — LECTURE DE LA STELE
La stèle de Macaye se présente sous la forme d'un bloc granitique de 1 mètre de haut sur 9 à 10 centimètres d'épaisseur. Le disque, d'un diamètre de 47 centimètres, porte sur l'une de ses faces une figure en faible relief, sculptée selon la technique du champ levé, mais que la corrosion de la pierre rend de lecture difficile sans artifice technique (éclairage rasant, par exemple). Le socle, qui forme un trapèze inversé (31 centimètres sous le disque, 13 centimètres à la base), laisse penser à un possible remodelage. Il n'y a pas, enfin, de traces visibles d'inscription.
Sur sa face figurée (Fig. 2), le disque comporte, à l'intérieur d'une large bordure circulaire formant méplat, trois registres connus de l'art funéraire: un homme, des armes, un animal. Toutefois, la composition s'écarte de l'imagerie traditionnelle par l'éclatement des motifs, tous présentés séparément, et par la position diamétrale d'une épée qui coupe en deux le champ figuré, structurant la mise en page du dessin et formant un angle de 45° avec l'axe de la stèle. A l'examen, on distingue les éléments suivants.
1. Une épée. Elle parait faite d'une seule pièce ; la lame est droite, large, terminée en pointe. L'arme présente à son extrémité supérieure une fusée bien visible, ainsi qu'un pommeau rond. En revanche, on ne trouve aucune trace appréciable de garde, ce qui inciterait à penser qu'il s'agit là d'une arme de type ancien.
2. Une lance. Sa représentation peut sembler difficile à interpréter, car seule la hampe est manifeste. Toutefois, sa forme sommaire, partout cylindrique, sans renflement pour la prise de main, laisse entrevoir une chronologie haute.
3. Un bouclier. Cette arme de défense est particulièrement intéressante, tant par son aspect que par sa signification. Sa forme ronde reprend celle de la caetra ibérique; deux traits parallèles, les énarmes, nous indiquent que le bouclier est représenté sous sa face interne, c'est-à-dire renversé, conformément à une symbolique funéraire employée sur de nombreuses stèles antiques.
4. Une représentation humaine. Une silhouette humaine très stylisée tient une lance dans sa main droite, le bras étant replié. Les vêtements ne sont pas décelables et la poitrine semble plutôt être nue (figuration en creux des aréoles?). Seule une coiffe, dont la forme est délicate à déterminer, peut se distinguer. La stature carrée dégage une impression de force et de virilité. La position des jambes, enfin, ne laisse aucun dote sur la nature du guerrier ainsi représenté : jambes arquées, déportées par rapport au buste: il s'agit à l'évidence d'un cavalier.
5. Une représentation animale. Elle est très grossièrement dessinée, mais on distingue sans peine le corps, la tête orientée à droite, quatre pattes et une queue traînant jusqu'à terre. La petite taille volontaire de la figure ne doit pas tromper et la représentation du cavalier qui le surmonte ne laisse aucun doute quant à l'identification de l'animal comme étant sa monture. Cette «miniaturisation» du cheval peut trouver son explication dans un souci de réalisme (représentation délibérée d'un pottok?), mais sans doute plus probablement dans la volonté du sculpteur de donner à l'homme la place principale.
L'ensemble de la composition est orienté selon un axe 11 heures/5 heures, ce qui correspond à l'angle de travail idéal de l'artiste par rapport au corps de la stèle. Au total, nous nous trouvons en présence d'un dessin sommaire, dont les différents éléments sont «éclatés» de façon à couvrir au mieux la totalité du champ à décorer et dont la technique fait souvent appel à l'utilisation des creux (point central du disque, zone inférieure notamment...).
Il reste à nous interroger sur les problèmes posés par une telle représentation : parallèles et sources d'inspiration, signification, chronologie. Mais, auparavant, il convient de se pencher sur la seconde face du disque.
 On peut d'emblée, en considérant le dos de la stèle de Macaye (Fig. 3), faire deux constatations. Tout d'abord, le motif du revers est fondamentalement différent et se replace sans difficulté dans la thématique funéraire traditionnelle des stèles discoïdales basques. On y retrouve à la place d'honneur le pentalpha, typique étoile à cinq branches par ailleurs peu représentée, deux colombes stylisées dans les quarts supérieurs, et trois croix grecques dispersées formant un ensemble trinitaire (cf. Colas, 1923). Il s'agit là d'un décor que l'on peut dater sans difficulté de l'Epoque Moderne et dont la symbolique chrétienne est évidente. Enfin, la technique de sculpture, dégageant des reliefs importants, manifeste clairement —et c'est la deuxième constatation— que nous avons affaire à une main différente de celle qui a travaillé sur l'autre face du disque.

Fig. 4
Nous serions tentés, pour notre part, d'établir un rapprochement avec une stèle de Saint-Martin-d'Arberoue (12 kilomètres au sud-est de Hasparren) qui présente sur l'une de ses faces le même dessin (Fig. 4), avec un seul oiseau toutefois. La similitude des deux gravures sur le plan des motifs et de la technique (le fond du champ à décorer est toujours finement piqueté) permet d'affirmer qu'il s'agit bien de la même main. Mais ce parallèle entre les deux stèles est d'autant plus intéressant que sur la seconde face de la pierre de Saint-Martin-d'Arberoue nous avons aussi, comme à Macaye, un décor d'armes figurées, même si cette fois toute représentation humaine ou animale est absente (Fig. 5). 

Fig. 5
On peut ainsi relever un grand bouclier rond — représenté de face —, une épée partageant le champ décoratif en deux et orientée 1 heure/7 heures, une arbalète à étrier avec ses carreaux, un motif trinitaire enfin, représenté par trois croix grecques disséminées dans les «trous» du décor. La précision de l'armement représenté, en particulier la garde l'épée, autorise une datation possible à l'intérieur de la fourchette chronologique des XVe-XVIe siècles. La similitude de l'organisation des deux décors figurés, sur deux stèles où le même maître a travaillé, suggère une influence de l'une sur l'autre qui se retrouve dans l'inspiration qui a guidé la réalisation soignée de la face figurative de la stèle de Saint-Martin, plus «moderne» que celle, «archaïsante», de Macaye.

II — PARALLÈLES ET INTERPRÉTATION
Alors ? Il nous faut à présent revenir à la stèle de Macaye et lui chercher à son tour des parallèles, aussi bien dans la thématique générale que dans le cadre du décor imposé par la forme même du disque.
On ne peut être que frappé par le caractère «ibérique» ou «ibérisant» de la face figurée de la stèle de Macaye. En effet, si le sujet présente certaines divergences avec les représentations ibériques traditionnelles (notamment dans le caractère «éclaté» des éléments figuratifs), on observe la présence de nombreuses convergences, en particulier avec le thème bien connu du «cavalier ibérique».
Ce type de représentation trouve sa première expression —la plus abondante— dans la numismatique ibérique et ibéro-romaine. Les monnaies dites «au cavalier» ont circulé en grand nombre pendant tout le premier siècle avant Jésus-Christ, et ce jusqu'à l'époque d'Auguste. Ce motif très répandu, frappé par de multiples villes d'Espagne, a pu facilement servir de source d'inspiration pour un sculpteur, d'autant que les trouvailles monétaires attestent la présence de séries «au cavalier» au nord des Pyrénées. Parmi les éléments en faveur d'une telle hypothèse, on remarquera tout d'abord le cadre même de la représentation (un champ circulaire), mais aussi le motif du cavalier lui-même, toujours figuré avec tout ou partie de son armement typique (bonnet ou casque, épée, bouclier, lance), offrant généralement le corps de face et la tête de profil, l'ensemble étant presque toujours orienté à droite (Fig. 6).



Fig. 6
Toutefois, entre ces monnaies et la stèle de Macaye, on doit aussi relever des différences notables : sur les monnaies «au cavalier», l'homme, ses armes et son cheval forment un tout, une scène homogène où tous les éléments sont à leur place et bénéficient de justes proportions. Par ailleurs, dans presque tous les cas, la lance est horizontale ou légèrement inclinée vers le bas, mais très rarement levée. Enfin, les monnaies sont toujours inscrites, portant en caractères ibériques le nom de la ville d'émission. Dans ces conditions, la stèle de Macaye ne saurait être considérée comme une simple copie, même déformée, d'un décor «traditionnel» de médaille.
Une autre source d'inspiration peut être cherchée dans des représentations figurées offertes par certaines stèles funéraires ibériques ou romaines de tradition indigène. Le motif du cavalier y est en effet fréquemment répandu, les plus anciennes de ces pierres se présentant sous l'aspect d'un bloc rectangulaire, au décor incisé. Ce sont les Romains qui ont introduit la technique du champ levé, utilisée à Macaye. Mais, là encore, il faut noter que la plupart de ces stèles portent des inscriptions.
Fig. 7. Figure de cavalier sur une stèle de Clunia (Burgos)
Trois stèles discoïdales de la province de Burgos nous paraissent caractéristiques du type funéraire «au cavalier». Une stèle de Clunia (Fig. 7), datée du Ier siècle avant Jésus-Christ, représente sur l'une de ses faces, à l'intérieur d'une bordure circulaire formant un serpent (animal chtonique), un cavalier au galop regardant à droite et portant le bouclier (caetra) et la lance ; au revers, un bovin mordu par un animal sauvage symbolise la mort. Une autre stèle de Clunia est encore plus intéressante (Fig. 8) : un cavalier en orne les deux faces, accompagné sur l'une d'entre-elles d'une inscription en caractère ibérique (époque d'Auguste?) ; sur l'autre, où se retrouve sculpté un cavalier à gauche, on peut relever le dessin bien visible de huit boucliers représentés à l'envers, dont trois sont enfilés par leurs poignées intérieures sur la hampe de la lance tenue par le guerrier ; le bouclier personnel de ce dernier se trouve, lui, bien à l'endroit, et le renflement central protecteur (l'umbo) apparaît nettement. Quatre des boucliers retournés sont placés dans le champ, à l'image de celui de Macaye. L'ensemble des boucliers retournés correspond sans aucun doute au nombre des ennemis tués au combat.
Certainement plus tardives sont les quatre stèles de Lara de Los Infantes (Burgos), où l'on retrouve le thème du cavalier ibérique dans des décors de tresses, mais en compagnie cette fois d'inscriptions latines révélatrices de noms indigènes aux consonances indo-européennes.
Sommes-nous alors autorisés à proposer un rapprochement entre tous ces modèles et le décor figuré de la pierre de Macaye? Il est certain que si les éléments du dessin concordent, la mise en page reste toutefois assez différente. Nous avons davantage affaire à un rassemblement de détails empruntés qu'à une scène simplement copiée. Le style de la pierre de Macaye demeure particulier. Certes, nous y retrouvons tous les éléments ibériques classiques vus précédemment (coiffe, épée, bouclier, lance, cavalier et sa monture) ainsi que les caractères techniques propres à ces représentations. Même le schématisme du cheval à l'arrêt peut trouver son parallèle (Fig. 9), daté du IVe siècle après Jésus-Christ, dans une stèle navarraise d'Urbiola (cf. Barandiarán, 1968). Mais l'organisation du décor éclaté est unique et donne sa spécificité à la stèle de Macaye, de même que l'absence de toute inscription et, accessoirement, la médiocrité du dessin.
Fig. 9. Représentation de chevaux sur une stèle d'Urbiola (Navarre), IVe siècle après Jésus-Christ.
Le thème, pourtant, qui est sans aucune contestation possible celui de l'héroïsation équestre du défunt (cf. Blázquez, 1977), reste, lui, typique de l'art funéraire ibérique et ibéro-romain. Il ne peut trouver sa signification, sur un monument mortuaire, qu'à l'intérieur de ce contexte, soit par contemporanéïté historique, soit par réminiscence culturelle. Pour nous, les emprunts au répertoire funéraire antique sont évidents (IIe siècle avant Jésus-Christ—IIIe siècle après Jésus-Christ), et plus précisément au répertoire de tradition ibérique, la facture témoignant cependant d'un art propre, travaillant par copie de détails, réfractaire à l'épigraphie.

CONCLUSION
Il est bien clair que les deux faces de la stèle de Macaye sont d'époques différentes. Si l'une, géométrique et chrétienne, peut être rattachée à l'Epoque Moderne (Cf. la stèle de Saint-Martin d'Arberoue), l'autre est manifestement plus ancienne et a servi de source d'inspiration pour la face figurée de Saint-Martin, laquelle reprend de manière frappante la même organisation de l'espace, excluant toutefois le dessin du cavalier, conformément à l'usage de ne pas représenter la figure humaine ou animale dans la quasi totalité des stèles discoïdales basques de cette époque.
Peut-on alors proposer une datation pour la réalisation de la face la plus ancienne de la stèle de Macaye? Sans doute faut-il rester prudent, mais les présomptions sont nombreuses qui conduisent à pencher en faveur d'une chronologie haute. L'utilisation d'un répertoire antique complet et d'une symbolique funéraire païenne nous incite à proposer pour la stèle de Macaye une datation voisine des IIIe-IVe siècles après Jésus-Christ. Dans ce contexte, et quel que soit le véritable lieu d'origine du monument, nous serions alors en présence d'un élément tardif et original de l'influence culturelle ibérique au nord des Pyrénées, dans une région par ailleurs archéologiquement bien peu marquée par la romanisation et l'usage du latin.
BIBLIOGRAPHIE
I. OUVRAGES
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On s'attachera surtout aux chapitres sur Caballos y ultratumba en Península ibérica (pp. 261-277) et La heroización ecuestre en la Península ibérica (pp. 278-289).
COLAS L., Grafías, ornementación y simbología vascas a traves mil antiguas estelas discoideas, Libro conmemorativo del año internacional del Libro, Ed. La Gran Enciclopedia Vasca, Bilbao, 1972 (réédition de l'ouvrage de 1923).
Il faut noter que sur les 1 171 stèles répertoriées par l'auteur, 0,59 % seulement présentent le pentalpha. La colombe est souvent dessinée avec ses pattes (n° 72, 102, 415, 635, 652...) et presque toujours figurée avec une forme caractéristique : poitrail gonflé, queue épanouie. Les croix grecques, aux quatre branches égales, reprennent une tradition décorative essentiellement souletine et remplacent la croix latine, plus fréquente.
FRANKOWSKI E., Estelas discoideas de la Península Ibérica, Museo Nacional de Ciencias Naturales, Madrid, 1920, 192 p.
GARCIA Y BELLIDO A., Esculturas romanas de España y Portugal, Madrid, 1949.
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MARCO SIMON F., Las estelas decoradas de los conventos caesaraugustano y cluniense, (=Caesaraugusta, 43-44), Saragosse, 1978, 256 p.)

II ARTICLES
ABASOLO ALVÁREZ J., Las estelas decoradas de la región de Lara de los Infantes. Estudio iconográfico, BSAA, XLIII, 1977, p. 61-90.
BARANDIARÁN J., Tres estelas del territorio de los Vascones, Caesaraugusta, XXXI-XXXII, 1968, p. 199-225.
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NIETO G., La estela de Iruña (Alava), BSEAA, XVIII, 1952, p. 13-14.
ORTEGO T., Nuevas estelas hispano-romanas con jinetes en Borobia (Soria), Boletín informativo de la Asociación española de los amigos de la Arqueología, 2, 1975, p. 22-25.

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